Il est question, tout au long de cette page d’Internet, de la
compassion, de la manière de mourir « dans la dignité »,
de la souffrance, etc.
Avant de » mourir dans la dignité », peut-être
faudrait-il être capable, déjà, de VIVRE DANS LA DIGNITE, et de
ne pas nous offrir le spectacles répugnant de la
faiblesse et de la trouille des dégonflés face à l’inévitable.
Je recopie ci-dessous, en soulignant plusieurs phrases, un extrait
d’une très belle page de Servitude et grandeur militaires
d’Alfred de Vigny. Le 17 août 1819, la poudrière de Vincennes
explose accidentellement. Plusieurs soldats sont déchiquetés.
N’importe qui, parmi ceux qui étaient là, aurait pu être victime
de l’explosion. Pourtant, rien qui ressemble dans les réactions des
survivants aux niaiserais qu’on peut lire ici à propos de la
souffrance et de la pitié. Cette page donne une
excellente idée de ce que peut être une vie digne dans un
monde où la souffrance et la mort sont le sort commun.
On trouvera le chapitre entier à cette page :
https://fr.wikisource.org/wiki/Servitude_et_grandeur_militaires/II/13
Comme la pierre d’une fronde, sa tête avait été lancée avec
sa poitrine sur le mur de l’église, à soixante pieds d’élévation,
et la poudre dont ce buste effroyable était imprégné avait gravé
sa forme en traits durables sur la muraille au pied de laquelle il
retomba. Nous le contemplâmes longtemps, et personne ne dit un
mot de commisération. Peut-être parce que le plaindre eût été se
prendre soi-même en pitié pour avoir couru le même danger. Le
chirurgien-major, seulement, dit : « Il n’a pas
souffert. »
Pour moi, il me semble qu’il souffrait encore ; mais,
malgré cela, moitié par une curiosité invincible, moitié par
bravade d’officier, je le dessinai.
Les choses se passent ainsi dans une société
d’où la sensibilité est retranchée. C’est un des côtés
mauvais du métier des armes que cet excès de force où l’on
prétend toujours guinder son caractère. On s’exerce à durcir son cœur, on se cache de la pitié, de peur qu’elle ne ressemble à
la faiblesse ; on se fait effort pour dissimuler le sentiment
divin de la compassion, sans songer qu’à force d’enfermer un bon
sentiment on étouffe le prisonnier.
Je me sentis en ce moment très haïssable. Mon jeune cœur
était gonflé du chagrin de cette mort, et je continuai pourtant
avec une tranquillité obstinée le dessin que j’ai conservé, et
qui tantôt m’a donné des remords de l’avoir fait, tantôt m’a
rappelé le récit que je viens d’écrire et la vie modeste de
ce brave soldat.
Cette noble tête n’était plus qu’un objet d’horreur, une
sorte de tête de Méduse ; sa couleur était celle du marbre
noir ; les cheveux hérissés, les sourcils relevés vers le
haut du front, les yeux fermés, la bouche béante comme jetant un
cri. On voyait, sculptée sur ce buste noir, l’épouvante des
flammes subitement sorties de terre. On sentait qu’il avait eu le
temps de cet effroi aussi rapide que la poudre, et peut-être le
temps d’une incalculable souffrance.