Le retour d’Ulysse

par C’est Nabum
lundi 29 mars 2021

 

Le mystère planera toujours

 

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Il était une fois un gamin des bords de Loire que ses parents avaient prénommé Ulysse. Sa mère y avait tenu parce qu'elle appréciait tout particulièrement le sonnet trente et un de Joachim Du Bellay qu'elle répétait sans cesse avec la nostalgie de son Anjou natal. Pour des raisons qui lui échapperont toujours cette jeune fille avait éprouvé le besoin irrépressible de quitter les rives de la Maine sur un bateau qui, une fois à Bouchemaine partait à la remonte sur la Loire.

L'aventure avait été fort belle en dépit de l’espièglerie des mariniers toujours prompts aux mots ou aux gestes fripons. Elle avait su se faire respecter, la langue lui avait servi de bouclier, deux ou trois répliques cinglantes lui avaient octroyé une réputation qui avait mis un terme à ces détestables comportements coutumiers chez ces hommes éloignés de leurs épouses durant de longues périodes.

Elle avait découvert de nouvelles villes, se disant à chaque fois que c'est là qu'elle aimerait poser son baluchon. La gentille Jacquenote était orpheline, elle venait de perdre sa grand-mère qui avait pris le relais de ses parents partis trop tôt. La vieille venait de rendre son dernier souffle et la demoiselle avait choisi de changer d'air pour repartir du bon pied. Prendre un bateau de Loire n'était certes pas indiqué pour remplir à la lettre son projet mais lui avait permis de tailler la route toutes voiles dehors.

Chaque escale avait été pour elle un sujet d'émerveillement. Elle se disait à chaque fois qu'elle avait trouvé son port d'attache, qu'il y avait là des gens charmants et une douceur de vivre qui lui rappelait son petit village. Puis, hésitante, elle repartait, poursuivant sa remontée de la belle rivière de Loire.

Elle s'émerveillait toujours. Elle découvrait des paysages merveilleux, des demeures princières d'une formidable délicatesse, des villes grouillantes d'une vie laborieuse et peuplées de personnes hautes en couleur. Les accents changeaient quelque peu, les patois différaient d'une province à l'autre sans qu'elle ne soit véritablement désarçonnée. La Loire semblait être son royaume, elle aurait vécu sur les flots le reste de son âge.

Il se trouva cependant un moment où Germain, le voiturier qui était un lointain oncle à la mode de Bretagne en eut assez de cette donzelle qui quoique ne donnant pas sa part aux chiens pour aider à l'ouvrage et à la manœuvre, finissait par échauffer l'esprit de ses compagnons de voyage. Il lui fit comprendre arrivés en Orléans qu'il faudrait songer à mettre pied à terre.

Elle le fit d'autant plus que la remonte s'achevait là pour le bateau de son oncle Germain, c'est ainsi qu'elle le nommait avec malice. Elle trouva moyen de poursuivre sa route sur un bateau plus petit, faisant douces œillades à un jeune marinier qui s'en retournait chez lui sur un petit fûtreau : une bascule ou basoule qu'il menait avec dextérité à la bourde ou à la voile. Il avait mené dans cette ville son poisson vivant grâce à ce bateau vivier.

Quand il accosta à Bouteille, le cœur de Jacquenote avait été conquis par la délicatesse de son Jacques, un prénom qui ne pouvait que s'accorder au sien. La suite est assez aisée à deviner. Jacquenote devint l'épouse et la collaboratrice de son pêcheur de mari. Ils vivaient chichement sans jamais ne manquer de rien. Un bonheur simple qui se matérialisa par ce charmant gamin qu'elle appela Ulysse.

Ulysse, enfant, chaque soir pour s'endormir se voyait réciter le sonnet de Du Bellay puis sa chère maman lui narrait un épisode de ce fabuleux voyage qui l'avait conduite jusque-là. Il n'en fallut pas plus pour que le gamin grandisse avec des rêves d'ailleurs plein les yeux. Il avait même une fièvre en lui qui se matérialisa très tôt non par des fugues, le mot est trop définitif, mais par des escapades de plusieurs jours.

Il revenait, toujours exalté, racontant des aventures plus extraordinaires les unes que les autres, décrivant des personnages baroques, extravagants, romanesques, exaltés qui s'étaient trouvé sur son chemin. En ayant épuisé le récit en peu de jours, Ulysse disparaissait à nouveau pour revenir à chaque occasion, un peu plus tard que la fois précédente.

Ses parents ne s'en étonnaient pas. Au début, Jacques avait reproché à son épouse d'avoir mis de telles idées dans la tête de leur fils, puis il se dit que lui aussi aurait aimé découvrir la Loire comme son rejeton le faisait. Le pauvre Jacques ne connaissait de la rivière qu'un petit secteur qui allait de Gien jusqu'à Orléans, vendant surtout son poisson au marché de Sully-sur-Loire. Jacquenote quant à elle avait beau être folle d'inquiétude le temps de son absence, elle n'attendait qu'une chose, le récit à son retour, lors des veillées, de ce qu'avait vécu son cher enfant.

Un jour pourtant Ulysse ne revint plus. Personne du reste parmi les mariniers qui faisaient courte escale à Bouteille n'était en mesure de donner des nouvelles de celui que tous les gens de Loire avaient fini par croiser un jour. C'était un mystère, une sourde inquiétude gagna les parents qui se mirent en tête les pires explications. La noyade pour commencer, sort hélas trop fréquent pour les gens qui vont sur l'eau, une mauvaise rencontre qui s'achève par un coup de surin, un incident avec les gabelous ou pire encore, un contrat signé de force avec la Royale pour aller servir de bouche à canon sur le lointain Océan.

Le temps passa, Jacquenote et Jacques avaient perdu de leur bonhommie. Ils subsistaient sans enthousiasme ni espoir, n'ayant plus d'héritier pour transmettre le peu qu'ils avaient. C'est dix ans plus tard que quelqu'un frappa à leur porte, un inconnu pour eux. Un homme au visage buriné, aux muscles saillants, portant une petite balafre sous le menton, les cheveux longs tenus par une queue de cheval et un splendide diamant incrusté dans son oreille.

Après de longues secondes de silence durant lesquelles les yeux du visiteur se mouillèrent de larmes, Ulysse finit par ouvrir la bouche pour dire simplement : « Bonjour les parents, je reviens à la maison ! » Ce fut tout, Jacques et Jacquenote se précipitèrent dans ses bras, il y eut des embrassades à n'en plus finir, des regards tendres, des gestes de l'enfance qui revinrent à la surface.

Puis, la vie reprit son cours comme autrefois à la différence qu' Ulysse resta étrangement taiseux. Lui qui autrefois était disert, racontant alors sans difficulté ses escapades, ajoutant moult détails, ne dit jamais rien de ces dix années passées loin de la maison. Sa mère eut beau insister, il n'y eut jamais moyen de lui tirer les vers du nez.

Ulysse se contenta un soir qu'il avait du vague à l'âme, que la chopine avait été son réconfort : « Je suis heureux d'avoir fait un beau et long voyage. Je suis revenu entre mes parents vivre le reste de mon âge sans regret et surtout sans le désir de vous narrer mes pérégrinations. Rassurez-vous, je n'ai rien à me reprocher ni rien de fâcheux sur la conscience, mais parler ce serait prendre le risque de repartir pour ne jamais revenir ! »

Ulysse n'en dit jamais plus. Les plus beaux voyages ne se partagent pas, c'est du moins ce qu'avait compris celui qui devenu un homme sage, se contenta de vivre en son Val d'Or sans plus jamais le quitter. Il trouva épouse et eut des enfants qui ne surent jamais le secret de ce bon père si taiseux.

Quant à Jacquenote, heureuse d'être grand-mère, elle ne se résolut jamais à renoncer à réciter ce merveilleux sonnet à ses petits-enfants. L'histoire ne nous dit pas ce qu'il en advint pour eux.

Mystérieusement sien.

 


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