Un vingt-deux septembre au diable vous partītes...

par rosemar
mercredi 22 septembre 2021

Le début de l'automne évoque traditionnellement le déclin, la perte, une certaine nostalgie du passé...

Pour Brassens, le 22 septembre est associé à une rupture amoureuse dans une célèbre chanson intitulée "Un vingt-deux septembre".

"Un vingt-deux septembre au diable vous partîtes..."

L'expression est savoureuse car elle ne traduit pas vraiment un désarroi, une tristesse : elle exprime au contraire une certaine désinvolture, comme si le poète avait souhaité le départ de la belle... ou comme si, le temps étant passé, la rupture semblait moins amère.

Et pourtant, chaque année, cette date était ponctuée par des pleurs : 

"Et, depuis, chaque année, à la date susdite,
Je mouillais mon mouchoir en souvenir de vous..."

Les thèmes du souvenir et du temps qui passe sont ainsi entremêlés dès le début de la chanson : l'alternance des temps, passé simple, imparfait, présent suggère bien cette fuite du temps, ainsi que les adverbes de temps qui scandent le texte : "aujourd'hui, jadis, à présent."

Le présent marque un changement total souligné par cette image : "Or, nous y revoilà, mais je reste de pierre" et par une expression brutale et triviale :

"Plus une seule larme à me mettre aux paupières 
Le vingt-deux de septembre, aujourd'hui, je m'en fous."

Et le poète revient pourtant sur la force de cet amour qui lui faisait accomplir des prouesses :

"Jadis, ouvrant mes bras comme une paire d'ailes,
Je montais jusqu'au ciel pour suivre l'hirondelle
Et me rompais les os en souvenir de vous..."

On perçoit un élan, un enthousiasme avec l'image de l'hirondelle...

Mais cet élan a disparu et on trouve comme souvent dans les chansons de Brassens, une référence littéraire et mythologique :

"Le complexe d'Icare à présent m'abandonne,
L'hirondelle en partant ne fera plus l'automne :


Le vingt-deux de septembre, aujourd'hui, je m'en fous."

On aime aussi ce renversement du dicton "Une hirondelle [arrivant] ne fait pas le printemps", qui signifie qu'un seul signe ou indice ne constitue pas une preuve.

Brassens n'oublie pas d'évoquer de nombreux thèmes associés à l'automne : le départ des hirondelles mais aussi les feuilles mortes, le deuil :

"On ne reverra plus au temps des feuilles mortes,
Cette âme en peine qui me ressemble et qui porte
Le deuil de chaque feuille en souvenir de vous...
Que le brave Prévert et ses escargots veuillent
Bien se passer de moi pour enterrer les feuilles."

Sans oublier la référence littéraire aux poèmes de Prévert...

On retrouve le thème des pleurs et des souvenirs tristes dans la strophe suivante :

"Pieusement noué d'un bout de vos dentelles,
J'avais, sur ma fenêtre, un bouquet d'immortelles
Que j'arrosais de pleurs en souvenir de vous..."

Les "immortelles" que Brassens arrose de pleurs semblaient, pourtant, être là pour signifier un amour éternel.

Mais la suite vient à nouveau former un contraste saisissant avec cette déclaration d'un amour sans fin :

"Je m'en vais les offrir au premier mort qui passe,
Les regrets éternels à présent me dépassent :
Le vingt-deux de septembre, aujourd'hui, je m'en fous."

Brassens n'oublie pas de jouer malicieusement sur le sens du verbe "passer", ce verbe signifiant aussi par euphémisme "mourir".

L'amour s'en est allé, et c'est une rupture qui semble définitive, comme le suggère l'emploi du futur dans la strophe suivante :

"Désormais, le petit bout de coeur qui me reste
Ne traversera plus l'équinoxe funeste
En battant la breloque en souvenir de vous..."

Finis la tristesse et le désarroi...

Et Brassens de reprendre les clichés traditionnels de la poésie amoureuse et galante, avec ces images précieuses mêlées à un vocabulaire familier... c'est là tout le talent de Brassens de mélanger les genres !

"Il a craché sa flamme et ses cendres s'éteignent,
A peine y pourrait-on rôtir quatre châtaignes :
Le vingt-deux de septembre, aujourd'hui, je m'en fous."

 

Et, le poème s'achève sur ce vers :

 

"Et c'est triste de n'être plus triste sans vous"

 

 Ainsi, cette chanson exprime, malgré tout, la nostalgie d’un bonheur passé et … l’indifférence nouvelle.

Quelle richesse dans ce texte, que de références littéraires, quelle culture et quelle bonhomie aussi !

Brassens nous livre ici un véritable poème de facture classique en alexandrins, un poème où se mêlent jeux de langage, culture, humour, tendresse...

 

 

Le blog :

http://rosemar.over-blog.com/2020/09/un-vingt-deux-septembre-au-diable-vous-partites.html

 

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