Mes premières vendanges

par C’est Nabum
mardi 23 octobre 2018

Journal d’un béotien.

Il me fallait bien un jour arrêter de faire le sot pour assumer ma redoutable appétence, me munir de deux seaux et d’un sécateur pour cueillir en rêvant les fruits de la vigne et d’une passion vinicole. À force de vider les cruchons, il était inévitable qu’un jour je dusse satisfaire à ce terrible penchant en m’inscrivant dans l'association « des vignerons associés », ces esthètes tout autant que gourmets qui joignent l’utile à l’agréable en travaillant les ceps sans se cacher derrière une feuille de vigne.

Le baptême idoine était à n’en point douter de participer à la vendange. J’avais bien encadré, du temps jadis où j’avais des élèves, une telle activité, toujours dans le même secteur d’ailleurs. Mais j’étais bien trop occupé à surveiller les élèves, à remettre dans la bonne rangée ceux qui s’égaraient en batifolage, à contrôler leurs récoltes de manière à ne pas y découvrir trop de feuilles ni de grappillons acides pour me livrer moi-aussi à ce dur labeur.

Cette fois je ne pouvais y couper quoique l’expression est ici fort mal choisie. Au petit matin, à l’heure jadis où le laitier passait à la maison, un responsable de l’association vint me chercher. Jean-Paul redoutait le passage à la retraite, la vigne lui tendit ses sarments et de son côté, il lui fit le serment de s’en occuper à plein temps. Il est vrai que l’association s’active de mille et une manières pour tenter de maintenir en vie un vignoble qui fut, jadis le plus important et le plus réputé du Royaume de France : entretien des dernières vignes, production de vin, balades contées dans les vignes, conférences, repas et animations dans l’ancienne cave coopérative, activités dédiées aux scolaires, cueillettes et distribution de fruits pour les écoles et bientôt une ferme pédagogique.

J’ai trouvé dans cette liste bien des actions pour lesquelles je pouvais apporter ma contribution à défaut de lumières. C’est ainsi que j'ai décidé d’adhérer moi qui assez souvent, venais déjà apporter une contribution amicale à ce qui se tramait là dans ce repère de doux rêveurs, de joyeux anarchistes, de bienheureux hédonistes. J’avais le sentiment de pouvoir être des leurs.

En ce petit matin de la mi-octobre aux allures d’été finissant, nous étions une dizaine à attendre le coup d’envoi de la cueillette du jour. Chaque personne, armée comme il se doit d’un sécateur attendait que notre vigneron indépendant, donne le feu vert. Nous commençâmes par une belle parcelle d’un cépage qui donne un rouge vif et corsé, un nouveau venu dans notre territoire maintenant que la réglementation s’est faite plus souple pour ceux qui agissent en dehors du cadre trop rigide des AOC et AOP.

Le rendement est exceptionnel tout autant que la qualité. Le millésime 2018 restera sans doute dans les mémoires comme un cru majeur de ce siècle. Il n’est qu’à voir la taille et la forme des grappes, véritable appel à une vinification de qualité. Points de raisins maigrichons ni rabougris, tout est bon cette année au point d’obtenir des rendements qui dépassent tous les pronostics. Nous avions de l’ouvrage en perspective.

Les deux seaux se remplissaient environ tous les quatre pieds, nous multipliions les allers-retours vers les cassettes. Bien vite la camionnette fut pleine et il fallut que notre vigneron aille au domaine pour en vider le contenu. En bon patron qui se respecte, il revint armé de deux vins qu’il désirait nous faire goûter, tout autant pour nous redonner du cœur à l’ouvrage que pour nous remercier tout en nous démontrant l’excellence de son travail de vinification.

J’avais entendu parler de son art, lui qui par esprit d’indépendance sortait du cahier des charges de l'appellation pour produire des vins atypiques, délicats, au caractère affirmé et au goût à rendre jaloux les grandes régions réputées. Son blanc « Rive droite » a tout d’un grand Bourgogne ; du nez, du retour, de la cuisse, du minéral et du végétal, un pur délice Quant à ses rouges constitués d’un assemblage mystérieux de 10 cépages : l’Authentique et l’Insoumis, ils sont d’une rare complexité aromatique. Des produits exclusivement réservés à l’exportation : Australie – Nouvelle-Zélande et Japon.

Puis comme l’homme est curieux de nature, toujours à l’affût d’une belle découverte, il nous servit un rosé fait de grenache qu’il dénicha chez Joseph Maccya dans les Pyrénées Orientales. Une robe proche de celle d’un rouge, des parfums subtils, de la tenue tout autant qu’une longueur en bouche qui échappe habituellement aux rosés. Nous étions parés pour achever notre travail en attaquant quelques rangs d’hybrides, des cépages qui allaient rentrer dans l’assemblage de ce diable d’alchimiste.

Le soleil était à son zénith quand nous arrivâmes à la cave pour l’opération d’égrappage. Je laissai mes camarades s’activer tandis que je rédigeais ce présent reportage, pris sur le vif. Je découvrais par la même une exploitation artisanale qui fleure bon le naturel. Les raisins une fois débarrassés de leur rafle, des feuilles et autres impuretés furent foulés au pied par Jean Paul.

Je repensais immanquablement au grand Gaston Couté tout en me réjouissant d’avoir franchi le pas et d’avoir osé rejoindre ces joyeux lurons au risque sans doute de licher un peu plus que de raison le fruit de la vigne après macération. Tant qu’on boit du bon et qui plus est, du bio travaillé comme autrefois, des vins sans sulfites, le risque est moindre et le plaisir décuplé.

Voilà vous savez l’essentiel. Je tairai le repas d’après vendanges, il est des choses qui ne doivent pas s’ébruiter. Nous vécûmes fort bien, le travail avait été rude, le dos était douloureux, il convenait de réjouir le corps après l’avoir quelque peu martyrisé. Dans deux jours nous recommencerons. Il faut ménager nos montures, les vignerons associés sont tous des retraités et l’abus en tout est préjudiciable.

Bientôt viendra le temps du travail de la vigne. Vous ne manquerez pas de suivre mes pérégrinations vigneronnes. Vous pouvez apprécier le sens du sacrifice qui est le mien, je fais tout ça, non pour assouvir un vice quelconque, mais bien pour vous tenir informés. Je ne manquerai pas de le faire d’ailleurs, dussé-je mettre ma santé en péril !

Dégustement vôtre.


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