1 essèmesse pour 2 : le SMS nuit-il à l’orthographe ?

par Ben Ouar y Villón
mercredi 10 juin 2009

À l’heure où des cabinets de recrutement trouvent des jeunes cadres de niveau Bac +5 malmenant comme des charretiers la langue de Victor Hugo, je trouve très curieux la façon dont les opérateurs facturent leur service de SMS. L’on sait qu’un sms leur revient à 1 centime d’euros (disent-ils). Eux qui engrangent des milliards d’euros de chiffres d’affaires, qui sont devenus les pétroliers du tuyau d’informations, les voilà qui mégotent sur des accents !

L’évolution intrinsèque d’une langue vivante peut quelquefois laisser perplexe l’amateur de Voltaire, de Cohen ou de Pagnol. Il y a toujours une limite au-delà de laquelle l’orthographe nuit gravement à la fluidité de la lecture, même pour un texte simple d’un contemporain. Les difficultés que pose la lecture de Gargantua dans l’écriture originale de Rabelais tiennent, elles, à la fois de la graphie des mots ainsi qu’à l’usage qui en est fait.
 
Mais la lecture d’un SMS devrait être plus aisée aujourd’hui que ces merveilles peu à peu oubliées de notre patrimoine linguistique. Elle peut se révéler quelquefois aussi déroutante qu’un bon vieux Villon. Je reçus un jour un énigmatique “sen dekoné !”. Sommes-nous revenus à la veille du XVI° siècle où l’on déplorait la “cacographie” ? Les efforts conjugués des lexicographes et des grammairiens depuis cette époque seraient-ils bientôt réduits à néant ?

Je m’applique toujours à respecter la langue française dans son orthographe, surtout par respect pour le lecteur, car je suis moi-même gêné de devoir lire quelquefois des manuscrits que des amis bienveillants m’envoient. Lorsque j’y trouve : “Quel honneur se fût pour moi...” ou encore “sept années c’était écoulée” au sein d’une phrase qui déjà peine à se développer, ma vigilance orthographique m’empêche de saisir le sens du texte. Un texte truffé de fautes exige de son lecteur qu’il mette en marche une sorte d’activité cérébrale supplémentaire, s’ensuit une peine à lire.
 
La langue est difficile en son orthographe, la chose est connue depuis qu’au XVI° siècle déjà un certain Robert Estienne s’employa dans son “dictionnaire francoislatin” à en réformer la notation.
Mais aujourd’hui, sans être un conservateur acharné d’une langue amenée de toute façon à s’enrichir des apports extérieurs ou à évoluer selon les usages du français tel qu’on le parle, selon le cours des sciences et techniques, des pensées, du cours de l’histoire, je trouve choquant qu’une disposition technique des opérateurs de téléphonie prime cet archéo-créole régressif.

En effet, j’apprends avec stupéfaction une sur-facturation de la part d’un opérateur de téléphonie mobile. On m’explique qu’un sms de plus de 160 caractères coûte le prix de deux messages. Je ne comprends alors pas pourquoi il m’a été facturé 52 sms lorsque j’ai envoyé le même message à 26 destinataires, comme suit :
 
“Chers amis, nous y fûmes, et tout le mérite a été le nôtre. Ah, se réveiller entre des nymphéas, même à Trouville... un rêve !” Ce message comprenait 153 caractères, espaces compris.
 
Mais la comptabilité particulière des opérateurs en décide autrement puisque, si les espaces comptent pour un seul caractère, les virgules, les points d’exclamations et les accents comptent pour deux caractères !

Grâce à ses accents, ou à cause d’eux, ce message est comptabilisé à 175 caractères. Supérieur à 160 caractères, il me coûte donc 24 centimes d’euros.

Si j’avais écrit (comme j’aurais dû) :
 
“Cherzami nouzy fum e tou le merite a ete lenotre Ah se reveiller entre dé n1phea, meme a trouville... 1 reve !”. Ce sms typique m’aurait coûté 12 centimes. Il est comptabilisé à 110 caractères.
 
J’aurais même pu être prolixe, continuer sur 50 caractères à massacrer l’orthographe pour le même prix ! Pas sûr que mon directeur artistique eût trouvé mon français si élégant !

Donc sur un même message, 65 caractères de différence selon que vous êtes respectueux de la langue ou que que vous ne le soyez pas. 45% moins d’espace pour qui écrivent en bon françois.
Dans mon cas, 52 messages à 12 centimes x 2 messages (dus au dépassement du plafond de 160 caractères) ça fait 6, 24 €, au lieu 3 € 12.

Vous avez dit “pouvoir d’achat” ? Vous avez dit “lutte contre l’illettrisme” ?

Les opérateurs ont beaucoup de clients parmi les jeunes de moins de 18 ans, encore en formation.
Cette comptabilité d’apothicaire désargenté revient à pénaliser ceux qui respectent la langue officielle. Je ne suis pas certain que cela encourage l’effort ni le goût du bien écrire (à défaut du bien parler) chez les plus jeunes qui sont de gros utilisateurs de messages.
 
Notre langue compte parmi les plus difficiles à bien écrire. Elle exige à un bon élève une dizaine d’années de fréquentation quotidienne et surtout d’attention avant d’être maîtrisée à peu près.
Le service de la Francophonie au Ministère de la Culture ne pourrait-il pas exiger un tarif unique du sms ? Ou cela serait-il trop demander aux opérateurs que de faire un geste pour la langue française ?

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