15 décembre
par Henri Masson
mercredi 13 décembre 2006
A l’initiative de Steven Brewer, directeur du Centre de ressources informatiques de biologie à l’Université du Massachussets, à Amherst, la traditionnelle Journée de l’espéranto ("Esperanto-tago") prend cette année une nouvelle tournure. Cet universitaire ne se contente pas de plaider pour la langue internationale que le monde doit au Dr Zamenhof (né le 15 décembre 1859), mais il prend les choses à pleines mains et ose aussi afficher autrement qu’en anglais sa fonction de "vic-prezidanto" de l’Esperanto League for North America (ELNA). Et il traduit volontiers son nom par "Bierfaristo" : faiseur de bière = brasseur !
Le 15 décembre est habituellement marqué, dans de nombreuses villes du
monde, par des festivités, rencontres, conférences, spectacles
par lesquels les locuteurs de l’espéranto commémorent à la fois un
homme et une langue sans frontières à laquelle Internet donne des
ailes. Et
c’est bien ce qu’a remarqué Steven Brewer, puisqu’il a eu l’idée de
proposer à tous les blogueurs, pas seulement espérantophones,
d’écrire un billet d’humeur bilingue sur leur blog, à la fois dans leur
langue maternelle et en espéranto. Il suggère d’y traiter les problèmes
de langues du point de vue de leur foyer, de leur ville, de leur pays
ou région. Le but est de faire mieux connaître les défis des langues au
XXIe siècle, c’est-à-dire le manque de communication, les
malentendus, la disparition de langues minoritaires et d’identité culturelle,
les coûts élevés des services de traduction, etc.
Le phénomène blog ne pouvait que séduire les usagers de l’espéranto, puisque la première motivation de toute personne qui apprend cette langue est l’accès rapide au dialogue sans distinction de pays, aux échanges sans frontières. Des listes de blogueurs peuvent être trouvées sur Wikipedia ou sur des blogs d’usagers de l’espéranto tels que Luis Guillermo Restrepo Rivas (Medellin, Colombie), David Dougherty (Washington), qui s’est lancé dans l’espéranto en mars 2005, Lúcia Marder (Porto Alegre, Brésil), qui répond au doux pseudo de "Karesema" (enclin à caresser...), Celumio, de Changchun (Chine), de José Rafael Núñez Toso (Chili ), de Réza Torabi (Téhéran), qui en a créé aussi un second uniquement en persan sur l’espéranto.
Le 15 décembre est en outre la journée mondiale du livre d’espéranto, car le Dr Zamenhof est aussi à l’origine de la fondation, en 1894, de la "Biblioteko de la Internacia Lingvo". La littérature totalise aujourd’hui plus de 30 000 ouvrages dont près de 75% originaux. Elle s’enrichit chaque semaine de plusieurs livres dans cette langue qui se prépare à fêter ses 120 ans d’existence en 2007. Cette même année 2007 marquera le 90e anniversaire de la mort du Dr Zamenhof. Sa disparition, le 14 avril 1917, n’affecta guère la longue marche de l’espéranto. Georges Clemenceau avait tenu à lui rendre hommage dans son journal L’homme Enchaîné, dans l’édition du 18 avril : "Ne laissons pas partir sans un adieu cet homme de bonne foi, de volonté et d’apostolat... Il passa sa vie à bâtir de toutes pièces une langue internationale, l’esperanto, qui a peut-être des chances, même après la mort de son créateur, de rester une oeuvre vraiment vivante." Et, effectivement, malgré bien des obstacles, cette oeuvre a survécu aux pires épreuves du XXe siècle. L’espéranto a fait l’objet d’un rapport favorable du Secrétariat général de la Société des nations en 1922, malgré une farouche opposition du gouvernement français, d’un voeu de quarante-deux savants de l’Académie des sciences en 1924, de deux recommandations de l’Unesco, en 1954 et 1985, et de sept propositions de loi entre 1907 et 1995 en France, d’une admission au Pen-club-international en 1993, seule association mondiale d’écrivains admise au sein de l’Unesco, et il a été pris en considération en 2006 dans le rapport Grin sur "L’enseignement des langues étrangères comme politique publique" commandé par le Haut Conseil de l’évaluation de l’école.
Par une décision de son Comité Exécutif, en 1959, l’Unesco souligna les
mérites du Dr Zamenhof comme "personnalité importante universellement
reconnue dans les domaines de l’éducation, de la science et de la
culture". Nombreuses aussi sont les villes qui ont honoré sa mémoire et
son oeuvre par l’attribution de son nom, ou de celui de l’espéranto, à
des rues, places, ponts, édifices publics, arbres, monuments et autres
: environ 1300 dans 54 pays jusqu’à ce jour. Même des astéroïdes
portent ces deux noms. Des administrations postales leur ont aussi
consacré des timbres-poste et des flammes. Le dernier en date sera émis
le 17 décembre en Israël justement pour commémorer les 120e et 90e
anniversaires mentionnés plus haut.
Actuellement,
Internet permet la découverte de cette langue autrement que par le
ouï-dire et contribue fortement à son application pratique dans
diverses sphères de l’activité humaine. Avec près de 62 000 entrées, la
version en espéranto de Wikipedia occupe la 15e position parmi 250
langues et témoigne de sa vitalité.
Autrement dit, la fête continue.