Adamsberg et le venin de la recluse

par Fergus
mardi 13 juin 2017

Le 10 mai est sorti en librairie le dernier polar de Fred Vargas : « Quand sort la recluse  ». Rappelé des brumes d’Islande pour une affaire criminelle, le commissaire Adamsberg, personnage récurrent des romans de l’auteure, se trouve confronté à une série de décès de vieillards imputables au venin de la recluse. « Impossible ! », affirme un éminent spécialiste des arachnides : pour tuer un homme, il faudrait des dizaines de morsures simultanées de recluses ; or, cette petite araignée se caractérise par une nature très craintive et vit isolée dans des anfractuosités de mur ou de vieux tas de bois...

Tandis qu’il finit de résoudre, grâce à ses déroutants cheminements intellectuels, l’affaire qui l’a ramené de la lointaine Islande*, Jean-Baptiste Adamsberg, commissaire à la brigade criminelle, est attiré par les informations recueillies sur son ordinateur par son collègue Voisenet, ichtyologue amateur qui, pour l’heure, transporte dans son sac une tête de murène dont l’odeur empuantit les locaux. Il est question, dans les recherches que mène le jeune enquêteur sur le net, des décès rapprochés de trois octogénaires de sexe masculin, tous morts des suites d’une morsure de recluse dans la région de Nîmes. Or, pour grave que soit habituellement une morsure de cette petite araignée du fait des nécroses plus ou moins étendues qu’elle engendre, en aucun cas la dose de venin ne peut expliquer ces décès.

À moins que le venin de la recluse n’ait muté, comme le suggère une rumeur qui commence à se répandre sur internet, au risque de créer une psychose dans la population méridionale...

À moins qu’il n’y ait derrière ces étranges trépas la main d’un machiavélique assassin...

Une hypothèse criminelle dont ne tarde pas à être convaincu Adamsberg. Et c’est ainsi que, sans être mandaté par sa hiérarchie – comment celle-ci pourrait-elle ajouter foi aux délirantes intuitions de cet atypique policier au cerveau si souvent perdu « dans les brumes » ? –, le commissaire réussit à entraîner son équipe, non sans un douloureux conflit interne, dans une enquête pleine de rebondissements et de révélations sordides.

C'est avec un grand plaisir que l’on retrouve sous la plume de Fred Vargas tous les protagonistes de la brigade, à commencer par le commandant Danglard et sa culture encyclopédique dans un rôle à contre-emploi, l’imposant lieutenant Violette Rétancourt et ses étonnantes ressources – « elle vaut dix hommes », à moins que ce ne soit « une femme » tout simplement –, le lieutenant Veyrenc de Billhc, originaire du même village béarnais qu’Adamsberg et curieusement doté d’une mèche rousse dans sa chevelure brune, sans oublier l’hypersomniaque brigadier Estalère ou Hélène Froissy, partagée entre ses talents d’enquêtrice du web et ses solides réserves alimentaires. Seul personnage indifférent à tout ce remue-ménage, La boule : fidèle à ses habitudes, le chat dort sur la photocopieuse.

Fred Vargas – de son vrai nom Frédérique Audoin-Rouzeau – sait de quoi elle parle en mettant en scène l’araignée recluse, également appelée araignée violoniste, dont la morsure peut occasionner de graves dégâts sous la forme de nécroses potentiellement étendues et profondes. Et pour cause, avant d’être romancière, elle a été archéozoologue au CNRS. Pour autant, elle entretient une ambiguïté relativement répandue dans le Midi où l’on confond Loxosceles refuscens, espèce endémique dans le Languedoc, et Loxosceles reclusa, présente uniquement en Amérique du Nord. À cet égard, il convient de rassurer les promeneurs sur le danger que présente la recluse languedocienne, ce qu’a fait Christine Rollard, aranéologue au Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris dans un article de « désintox » paru dans Sciences et Avenir en juillet 2015 (lien).

Mais qui dit recluse ne parle pas forcément d’araignée. Une recluse peut être l’une de ces femmes qui, principalement aux temps médiévaux, étaient extraites de la société ou s’en éloignaient volontairement pour être enfermées, voire emmurées, dans un « reclusoir » afin d’y expier une faute ou de se consacrer à Dieu dans le dénuement le plus total. Parfois réprouvées, souvent considérées comme des saintes femmes en charge de la protection d’une paroisse ou d’une communauté, les recluses devaient se satisfaire de la maigre nourriture qui leur était donnée par une petite ouverture ménagée dans un mur du reclusoir. Or, une recluse, Adamsberg en a connu une lorsqu’il était enfant : emmurée dans un étroit pigeonnier du pré d’Albret, non loin de Lourdes, elle était effrayante à voir, et des décennies plus tard, le commissaire en perd le sommeil...

Quand sort la recluse est assurément l’un des meilleurs opus de Fred Vargas, et l’on prend un immense plaisir à suivre le cours erratique des pensées de ce commissaire en apparence fantasque et rêveur tout au long d’une terrible histoire où l’effroi se mêle au cocasse et au baroque. Un roman foisonnant où l’on découvre que le pire venin n’est pas forcément celui que l’on croit. Mais de cela, quiconque vit dans la compagnie des hommes en est déjà persuadé.

Intitulée « Temps glaciaires », la précédente enquête du commissaire Adamsberg a eu pour cadre l’île de Grimsey, battue par les vents et les flots sur le cercle arctique au large de la côte nord de l’Islande.


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