Admirable « Secret de Brokeback Mountain »

par Bettina Soulez
jeudi 23 février 2006

Trois toits qui abritent trois couples, un appartement (placé au-dessus d’une laverie) et qui devient immonde : désordre, abandon, manque de soin, à l’image de ce couple où la femme est mal aimée...Une maison clinquante et propre, mais vide de sens : elle n’est qu’une représentation d’un statut social, à l’image de ce couple dont le mari n’est pas estimé, et où tout l’apparat vient de la femme... Une montagne haute, belle, aux nombreux vallons, tantôt abrupte, tantôt câline, et qui, dans sa beauté, son dénuement et son absence de référence à la société des hommes, accueille cette union de deux hommes, sans jugement possible, comme elle accepte, par ailleurs, depuis la nuit des temps, le foisonnement de vies aux formes différentes.

Jack a un coup de foudre pour Ennis, Ennis del Mar comme il le baptise aussitôt. Ennis, si seul, muré et perdu, qui vivait sans conscience une période de transition. Transition entre une enfance cahotante et une vie d’adulte conventionnelle toute tracée : il va se marier, comme son frère, comme sa soeur. Et le désir de Jack pour Ennis fait peut-être exister Ennis pour la première fois. Car cet Ennis est un gars solide mais indécis, il n’a pas de plan, on a souvent décidé pour lui et il ne sait ni choisir ni renoncer : sa vie entière est ainsi, un pas après l’autre, avec sincérité. Et Jack, lui, l’aime tel quel, en dehors de ses références habituelles.

Oui, nous sommes très loin, en effet, des grands classiques du western ! Pourtant des thèmes usuels sont là : la rudesse des hommes, la dureté de la vie, la beauté éclatante de la nature quoi qu’il arrive, la passion entre deux personnes, la filiation, l’absence réelle ou ressentie du père, le manque de mots pour dire ce que l’on ressent, le corps qui réclame le toucher doux ou violent, qu’importe, mais le toucher, l’empathie d’une mère qui n’a pas les mots mais accepte ce que vit son fils et connaît les éternels gestes de la tendresse, les jeunes femmes qui se marient pleines d’allant, puis qui s’affadissent et s’enlaidissent lorsque leur couple les laisse déçues, les enfants qui ne jugent pas les adultes mais prennent ce qu’on leur donne, l’importance du "matériel" dans la vie de tous les jours parce que le dénuement absolu ferait trop souffrir... et d’autres thèmes encore, tels que l’évolution et la solitude de ces deux femmes qui n’osent comprendre, font face et portent leur famille... l’intolérance d’une société de mecs blindés bien pensants... cet amour impossible, incontrôlé et sincère... le désert que provoque cette marginalisation difficile à assumer... cette communication qui passe si mal entre les êtres...


Oui, j’ai tout aimé dans ce film : le choix de ces deux acteurs masculins, superbes... et les symboles... Par exemple, ce mouton, toison blanche sacrifiée le jour du "péché", attaqué par le loup, ce mouton sacrifié qui me rappelle aussi le sacrifice du fils auquel Abraham s’était résolu pour obéir à son Dieu... Car, ici, l’image du père tuant des homosexuels est évoquée au moins une fois.... Par exemple, encore, ces habitations (riches comme pauvres) aussi étouffantes les unes que les autres... Ou encore cet enfant silencieux qui mange enfin sa soupe quand il choisit d’obéir à son père, quel qu’il soit, au détriment du grand-père... Enfin, sublime image, la chemise de l’un, enveloppe qui contient ou qui protège l’enveloppe de l’autre, puis l’inversion...

Si vous craignez que cette histoire d’homo. vous impose des scènes offusquantes, vous vous trompez. Nous sommes transportés loin du racolage et de la provocation. Et ce film est exceptionnel, parce que nous sommes face à deux personnages qui vivent un lien unique, indestructible, qui, en dépit du contexte, reste admirable.


Lire l'article complet, et les commentaires