American McGee’Alice : l’antidote contre Disneyland

par Lachésis
vendredi 9 avril 2010

Je ne vous le cacherai pas. Je fais partie des milliers de gogo qui ont payé, cher, pour aller voir le Alice au Pays des Merveilles réalisé par Tim Burton en 3d. Et comme beaucoup d’autres, j’ai été très déçue de voir qu’ils n’avaient plus assez de sous pour engager un scénariste. Trêve de sarcasmes, ce film aura eu moins le mérite de me rappeler une tout autre Alice, sacrément moins fade et plus tourmentée.

American McGee’s Alice est un jeu vidéo sorti en 2000, créé par Rogue Entertainement et par Mr American McGee, Game Designer et donc principal créateur de l’oeuvre (d’où le titre). Pour résumer l’histoire : Toute la famille d’Alice meurt dans un incendie. Seule survivante, très gravement traumatisée, la jeune héroïne sombre dans la catatonie et échoue dans un asile psychiatrique. Conséquence inévitable, son esprit dérangé défigure le pays des merveilles : Un monde glauque et sinistre dont la plupart des habitants sont complètement pervertis, jusqu’au terrain lui-même, combinant allègrement abîmes sans fond, mares d’acides, lacs de lave et autres surprises délétères.

 
Et comment qu’on arrange tout ça ? Me demanderez-vous. Réponse : On progresse dans les niveaux, on distribue les gnons et on survit ! Simple mais radical !
 
Le jeu est normalement déconseillé aux moins de seize ans, mais il n’y a pas tant de quoi se laisser effrayer. Parents, sachez que les législations entre les jeux vidéos et les films n’ont pas du tout les mêmes échelles de valeurs, au point de créer de véritables absurdités. Ainsi, des films comme Millenium ou The Watchmen, tout deux déconseillés aux moins de douze ans, présentaient pour l’un une scène de viol dans son intégralité, pour l’autre un presque viol et une amputation de deux bras à la tronçonneuse. Rien d’un tel niveau dans American McGee’s Alice, même si l’héroïne doit sans cesse se battre contre des bestioles toutes plus sinistres les unes que les autres avec de jolis bruitages de chair qui éclate. Mais point d’humain là dedans, rien de sexuel, et si elle se bat contre une bestiole, c’est toujours de la légitime défense. Le jeux est loin d’être tout public, mais la pertinence de la catégorie d’âge est discutable, selon moi (mais ce n’est pas le premier ni le dernier jeu vidéo pour lequel c’est le cas). On peut aussi décider d’élever les interdictions pour tout le monde plutôt que l’inverse, c’est vrai, et je ne suis pas là pour faire un débat là-dessus. Néanmoins, ceci reste un jeu pour les adultes et les adolescents. Je déconseille de le laisser aux plus jeunes. Si l’avertissement est certainement incohérent par rapport à d’autres médias, il n’en reste pas moins nécessaire.
 
A la poursuite de l’authentique Alice
 
Bon, présenté comme ça, le pauvre Charles Dodgson ( le vrai nom de Lewis Carrol) peut se retourner dans sa tombe. Quoique. Le pseudonyme est destiné à préserver l’identité d’un professeur de logique et de mathématique d’Oxford. La véritable Alice Liddell, la vraie, l’authentique, était la fille de l’un de ses collègues. Ses histoires sont sans doute influencées par son travail, où il glisse volontiers des éléments absurdes (nonsense) qui les démarquent des contes traditionnels. Ces éléments permettent d’ailleurs une lecture à plusieurs niveaux rendant extrêmement dommage la conservation quasi-exclusive de leurs éléments les plus enfantins. A noter que l’on confond souvent deux livres différents, Alice au pays des merveilles et Alice de l’autre côté du miroir, ce dernier ayant été écrit alors qu’Alice Liddell avait déjà seize ans.
 
D’ailleurs, autre bon point du jeu : Les créateurs ne se sont pas fait enfermer dans le filtre Disney (ça, normalement, vous l’aviez déjà compris) et ont donc conservé et fait ressortir d’autres éléments originaux qui, sinon, seraient passé à la trappe. Par contre, ils nous ont épargné l’épée vorpaline qui il est vrai, apparaît déjà dans tous les supplément pour Donjons et Dragons ou peu s’en faut. Je doute même que les joueurs de ce jeu de rôle sachent d’où vient ce terme. Autant dire qu’elle n’aurait rien évoqué du tout à des joueurs avec un peu de culture dite "geek" derrière eux, même si le créateur est bel bien Lewis Carrol.
 
On y retrouve ainsi, certaines entités ou détails différents de chez Disney, comme la chevelure brune et non blonde d’Alice, la Duchesse ou le Bredoulocheux (absent du dessin animé). Autant dire que ce dernier déjà démoniaque dans la version originelle ne s’est pas vraiment bonifié dans American McGee’s Alice. Il s’agit de la créature connue en anglais sous le nom de Jabberwock et pour laquelle les traducteurs français du film de Burton n’ont vraisemblablement pas fourni l’effort d’ouvrir le livre à la bonne page. Mais j’avais promis de ne pas faire de sarcasmes. Puis bon, tirer sur les versions françaises des films, c’est comme tirer sur un corbillard...

Parce qu’un coup dans le chat et un coup dans le chapelier, ça ne donne ni un bureau ni un corbeau.
 
L’aspect « nonsense », est sans doute plus respecté dans le jeu que dans le film de Burton : Ce Pays des Merveilles là ne se soucie pas une seule seconde de faire quelque chose de réaliste. Il regorge de ciels psychédéliques dans lequel volent des montres géantes, de monstrueux engrenages et d’autres choses toutes aussi étranges, au gré des niveaux traversés, et ne cherche pas à expliquer les actes des personnages par un quelconque traumatisme d’enfance, si ce n’est ceux de l’héroïne. Cet univers entier n’est que le reflet de son psychisme malade.
 
A ce titre, le jeu entier peut se voir et se vivre comme un voyage cathartique, mot qui signifie littéralement "purification". Ce n’est pas le seul jeu vidéo basé sur ce principe, je pense notamment à Silent Hill 2. Il faut en effet savoir que certains jeux manient volontiers des concepts voisins de ceux employés par Boris Cyrulnik.
 
Au niveau des musiques, on notera la participation de Chris Vrenna, maintenant membre du groupe Marilyn Manson, et auparavant des NIN (ou Nice is Neat, ie. être gentil c’est bien... Ou Nine Inch Nails, pour éviter les poissons d’avril, et puis je vous avais promis un antidote contre Disneyland). Je vous rassure, rien de la batterie d’un groupe de métal indus dans la bande son. Aussi bien ficelée que discrète, elle évoque plutôt la mélancolie d’une boîte à musique oubliée dans un coin que la batterie de Eat me, Drink me. Le compositeur est batteur et percussionniste pendant la tournée de promotion de cet album (quoique, avec un titre pareil, y aurait-il une coïncidence ?).
 
Le jeu a eu son petit succès à l’époque et a failli être adapté au cinéma avec Sarah Michelle Gellar dans le rôle titre. Si si, vous savez, l’actrice qui faisait Buffy dans la série éponyme. En fait, y échapper a peut-être été plutôt une bonne chose...
 
 
 
(sinon, lien pour voir la vidéo)
 
Si les jeux vidéos sont votre tasse de thé.
 
Pour tous ceux qui sont intéressés par le gameplay (c’est-à-dire le potentiel ludique, les actions que peut réaliser le joueur et ce genre de chose, si vous ne connaissez rien de rien aux jeux vidéos).
 
Le jeu tourne sur le moteur de Quake 3 et fonctionne sur un principe comparable à Lara Croft, où grosso modo, il y a une jauge pour mesure la « santé » et une autre pour le, faute d’un meilleur terme, le « mana » (en pratique, utiliser une arme puise dans cette réserve. Autant dire que vous êtes tout nu si elle tombe à zéro...).
 
Les armes, parlons en, à propos. La plupart sont inspirées par des jouets plus ou moins surannés, du paquet de cartes aux osselets en passant par le diable à ressort ou les dés (mais ce ne sont pas les moins dangereux !). Chacun aura son joujou préféré, mais notons que cet arsenal peu commun est susceptible de provoquer de mauvaises surprises s’il est mal employé, Il existe de nombreux accidents potentiels si le joueur n’est pas assez prudent avec ces dangereux gadgets...
 
Le reste du gameplay, n’est pas spécialement impressionnant, quoiqu’en plus de savoir se battre à l’arme blanche, Alice sait aussi nager (mais gare à l’asphyxie et aux carpes !), sauter (certains passages tiennent du jeu de plateforme) voire utiliser la vapeur ascendante pour surmonter un obstacle (peut-être le seul élément du jeu qui rappelle le dessin animé de Walt Disney), mais disons que c’est un peu l’équipement minimal dans un environnement aussi dangereux que le Pays des Merveilles.
 
 
Au niveau des graphismes, aujourd’hui il fait forcément un peu pauvre. Mais le nombre de polygones à l’époque de la sortie du jeu était tout bonnement impressionnant. Comme il a maintenant dix ans, il devrait tourner à peu près n’importe où, aux changements d’OS près. Mais il est certainement possible de trouver sur Internet un fan qui aura bidouillé quelque chose pour faire tourner le jeu sous le nouveau Windows.
 
Il faut laisser le temps au temps. Chaque chose reprends cours en son temps, à moins d’être mort.
 
Finalement, le plus gros défaut de ce jeu, c’est sa durée. Dix lamentables heures, pas de quêtes annexes, vraiment pas de quoi pavoiser, surtout avec un contenu sacrément prenant qui aurait mérité plus.
Bah, il vaut mieux peu mais bon. Et au moins, avec quatre niveaux de difficulté (de mémoire, facile, moyen, difficile et cauchemardesque) les fanatiques comme moi peuvent quand même rallonger leur petit moment de bonheur.
 
Alors moi, quand je trouve un jeu aussi bien que celui-là, je dis merci. Maintenant, si vous aussi vous espériez voir une oeuvre un peu gothique, dérangeante, loufoque, basée sur les histoires absurdes d’un prof de maths anglais, vous savez par où commencer plutôt que d’aller chez la souris à grosses oreilles.
 
Et comme j’ai moi aussi des accès de sadisme pas piqué de la tasse de thé, je vous laisse partir à la chasse d’un jeu vieux de dix ans sans téléchargement illégal et sans qu’il ne plante sur votre système d’exploitation. Bon courage !
 
Pour aller plus loin :

Pour en savoir plus sur la vraie Alice, qui a inspiré Lewis Carrol.

Le concept de la résilience.
 
 
Le compositeur de la bande son du jeu.

le poème originel sur le Brodoulocheux

le site officiel de American McGee, le "papa" du jeu.

la vraie critique d’un vrai site sur les jeux vidéos pour des informations plus détaillées.(et pour constater que je ne suis pas la seule à en faire une critique dithyrambique !)

provenance des images, par ordre d’apparition :
 
http://www.youtube.com/view_play_list?p=91118F0B6101E032 capture du menu de jeu (bon lien pour entendre la bande son !)
http://rsa.esigetel.fr/Mad/Journal/lss21_txfr.html une des premières illustrations du Bredoulocheux
http://www.giantbomb.com/jabberwocky/94-2825/ Le Bredoulocheux d’American McGee’s Alice Capture d’écran (attention, léger risque de spoil...)
http://games.softpedia.com/progScreenshots/American-McGees-Alice-Screenshot-52057.html Capture d’écran avec Alice (et pour en voir quelques images de plus, notamment le chat et le lapin)
 
 
Edit : Au moment où je m’apprête à appuyer sur la touche "publier le message" de mon blog, j’apprends que les miracles existent. Un second American McGee’s Alice est prévu. Faut-il encore espérer qu’il soit à la hauteur de ce joyaux qu’est le premier.
 

(si la vidéo ne marche pas, essayez ici )
Demi poisson d’avril : la vidéo a été faite par un fan. Par contre, le second volet est bien prévu...
 

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