Analyse du film « Hostel II »

par J.Lander
vendredi 22 juin 2007

Hostel II est, comme vous l’aurez compris, la suite de Hostel premier du nom, film sulfureusement contemporain, tant par les thèmes abordés que par les moyens utilisés dans le cadre de sa production. Réalisé par Eli Roth, remarqué pour son Cabin Fever (vendu plus pour ses vertus épileptiques que pour l’originalité de son script), produit en partie par Quentin Tarantino, qui s’est très récemment illustré avec son film Boulevard de la mort, le film narre les déboires de trois Américaines (par corolaire, naïves) dans une Europe où le commerce local consiste à offrir aux riches capitalistes la possibilité de laisser libre cours à leurs pulsions de tortionnaires. Vous aurez bien compris qu’une telle société ne saurait être cotée en bourse, ce qui naturellement effraie davantage nos candides.
Si aux premiers abords le film semble surfer sur la vague lucrative d’un intérêt lubrico-voyeuriste émergeant au sein du public occidental, une analyse poussée se doit de souligner combien ce film est révélateur de nombre de phénomènes sociaux.

Mais commençons par le début. Hostel II est-il réellement une révolution dans le cinéma, marque-t-il un stade effectif dans une commercialisation massive de produits cinématographiques auparavant limités aux vidéo-clubs ? Si l’on y réfléchit bien, Hostel ne marque aucunement une rupture évolutive mais, au contraire, la logique évolution du cinéma dit "de genre". Ainsi, si l’on prend l’art ou simplement les manifestations sociales dans l’histoire de l’humanité, l’on se rend compte combien la morbidité, qu’elle soit pornographique ou artistique, a toujours su provoquer l’intérêt des foules, voire de l’élite. Ainsi, que ce soit dans la Rome antique aux travers des violences publiques et autres folies du pouvoir (que Suétone décrit fort bien dans Vie des 12 Césars), au Moyen Age de l’Inquisition où les tortures les plus horribles furent développées et représentées dans nombres de gravures, à la Renaissance où notamment Le Caravage représentait nombre de corps mutilés ou décapités, ou bien simplement durant la Terreur, période où les exécutions publiques provoquaient l’intérêt des foules (quelques quarante années auparavant, l’exécution de Robert François Damiens avait déjà pris une horrible tournure), chaque époque connut ses attractions morbides. Le corps est aujourd’hui non plus maltraité dans son intégrité physique, mais dans sa virtualité. Ce processus permet de préserver le plaisir que signifie sa sécurité pour le spectateur, tout en évacuant la culpabilité (puisque le corps n’existe qu’en tant qu’illusion). Ainsi, le cinéma qu’incarne Hostel II n’est finalement que la continuation de cet intérêt sur un support différent tant dans sa forme que dans son incommensurable capacité de diffusion.

Si l’on situe Hostel II dans l’histoire du cinéma contemporain, l’on se rend rapidement compte des limites de son originalité. Cela se ressent à la fois dans sa photographie fincherienne (Se7en), déjà grotesquement plagiée par les différents épisodes de Saw, que dans les thèmes abordés. En effet, la torture à déjà été moult fois évoquée dans nombre de films, allant de la torture psychologique pour Orange mécanique (Kubrick), à la torture physique dans Funny Games (Hanneke) ou des films comme Audition, Ichii the killer ou La Maison des sévices de Takashi Miike (sur lequel nous reviendrons plus tard), voire Reservoir Dogs (Tarantino). Ce thème est révélateur d’une époque hantée à la fois par Abu Ghraib, un support Internet facilitant l’accés aux images choquantes (que ce soit par pure perversion ou par simple intérêt de divertissement) ou encore des tueries comme celle de Columbine ou de Virginia Tech. Les années 2000 sont celles de la proximité, du réalisme et de la multiplication d’une violence éloignée mais non perçue comme telle. Farenheit 9/11 et sa palme d’or révèlent également ce point. Or le voyeurisme (ou plutôt l’intérêt, si l’on veut écarter tout jugement de valeur dans ce fait social) est réutilisé par l’industrie du cinéma. Le mythe du snuff est clairement significatif de ce fait, et Tesis de l’Espagnol Amenabar rappelle cet intérêt, de même que Cigarette Burns de John Carpenter (l’on retrouve le thème du snuff jusque dans la bande dessinée Largo Winch). Gaspard Noé, réalisateur particulièrement critiqué pour son Irréversible (mais également pour Carne puis Seul contre tous, réalisé en 1998), justifiait le fait de faire un film réaliste centré sur un viol par la nécessité du cinéma de représenter le réel. L’argument, déjà utilisé par Flaubert face à ses critiques sur Madame Bovary, est évidemment sujet à débat, chacun étant libre de considérer la limite que peut se permettre le cinéma dans ses représentations. Dans une époque d’élargissement de la morale, le problème posé par Irréversible, mais également par Hostel II, est celui de la bienséance, du politiquement correct. Certains crient à la censure, d’autres à la perversion. Si personne n’est évidemment obligé de se rendre dans les cinémas, la question qui se pose est celle du rapport au réel que ces films rendent parfois flou. Un film comme Cannibal Holocaust utilisait déjà cette incertitude.

Mais Hostel II assume entièrement l’héritage qu’il manipule, et loin de tomber dans la caricature facile, au contraire il réutilise les codes, à la fois afin de dénoncer ce voyeurisme cinématographique (auquel il prend paradoxalement part) et afin de détourner ces codes. Ainsi, Eli Roth se distingue intrinsèquement d’un Alexandre Aja qui en reprenant La Colline à des yeux y apportait simplement une facette mythique, quasi théologique, et y injectait le dynamisme de la caméra numérique. Roth, lui, crée son cinéma après avoir digéré la production contemporaine. Un exemple très simple se trouve dans le clin d’oeil quelque peu insolent qui est fait quant à la dérive, la bifurcation du cinéma de Sam Raimi. Ainsi, la cultissime scène du baiser de Spiderman, reprise à nouveau dans Spiderman III comme s’il s’agissait d’un objet warholien, est détournée dans Hostel II. Ici, une femme, curieusement amplie d’une frénétique envie de se détâcher des gonds qui la retiennent en l’air, la tête vers le bas, est face à une autre femme, lubrique et sadique comme les hommes dans les romans de Sade. Le héros, terré sous son latex criard est remplacé par l’agneau que l’on s’en va sacrifier au plaisir sadique et morbide. La philanthropie est remplacée par une consommation égoïste, à la fois profondément primitive et en même temps dotée d’une sophistication moderne. Roth signifie à Raimi combien notre société n’est plus celle, idyllique, du star-system feutré des années Monroe. Superman est en chaise roulante, James Bond lui aussi subit la torture et en devient violent (plus de temps pour refaire son noeud de cravate sous l’eau), Shrek a remplacé le prince charmant : le cinéma reflète le regard cynique d’une société quelque peu désillusionnée qui trouve paradoxalement son réconfort dans un cinéma qui lui présente cette désillusion. La dernière scène du film présente d’ailleurs très bien cela, quelques enfants jouent au foot avec une tête fraichement découpée, la musique est gaie, entrainante, Roth nous dit : "Voyez, voyez le spectacle que vous offre notre cinéma". L’absurde est à son apogée à tel point qu’il en devient grotesque et participe du message du film, à la fois en temps qu’hommage assumé, et en temps que réflexion sur l’archaïsme de la notion de divertissement. Le même type de scène se retrouve dans The Descent où l’actrice sort d’une mare de sang, comme une résurrection du cinéma de genre, mais dotée de moyens modernes. Cette résurrection se ressent également dans la "renaissance" à laquelle l’on assiste à la fin de Gozu du japonnais Takashi Miike, bien loin de la poésie et de l’optimisme romanesque d’un Dreams kurosawaïen. Cette résurrection est industrielle, pro-mondialiste, et les nombreuses suites (dont Hostel II fait partie) qui s’enchaînent en soulignent l’ampleur (Saw, Massacre à la tronçonneuse, Hannibal, La Colline à des yeux, etc.).

L’intelligence d’Eli Roth se trouve dans sa capacité à maitriser jusqu’aux débordements. Ainsi finalement, il suit la même trame d’intensité qu’Audition, les trois quarts du film ne font que préparer calmement le plaisir coupable du spectateur jusqu’au brutal retournement de situation (à la fois au niveau scénaristique, et donc du cadrage, qu’au niveau des personnages). Hostel II est en quelque sorte le Starbucks du cinéma américain, alors que Saw n’en est que le McDonald. Ainsi, alors que Saw III commence par ces mots, sur un fond noir bien sûr : "Aaaahhh !" "I’m gonna kill you" "motherfucker" (si mes souvenirs sont bons), Hostel II prend, lui, le temps de présenter la candeur facile de l’Amérique qui observe l’Europe de l’oeil du colonisateur (le seul mot que prononceront nos Américaines en la langue des autochtones sera : "nasdrovia"...). La transition, elle, se fait justement en soulignant la virginité dans son apogée avant qu’elle ne tombe dans le péché. De même que l’avait fait Coppola avec sa caméra suivant Winona Rider vétue de soie (dans Dracula), sa robe frottant avec légèreté les statues d’un labyrinthe mystique avant de ne découvrir son amie interrompue dans quelques ébas bestiaux, Roth exprime, lui, la solitude d’une virginité menacée dans ce paysage cotoneux et désert (peut-être une référence à 28 days later de Danny Boyle).

Il est une contradiction entre le rejet profond de la censure et la persistance quasi conservatrice d’intouchables thèmes. Il en va ainsi de l’orphelin, certes supprimé suite à ses excès occidentalisés, mais supprimé avec une pudeur puritaine. Le poids qui repose sur le spectateur sera celui de la menace et non celui de l’exécution en soi (qui, elle, se déroule hors champ). L’on pourra d’ailleurs interpréter cette scène comme significative de la nécessaire prohibition du film de genre à un certain public. La sacro-sainte morale (au sens de morale moralisatrice) ne saurait elle aussi disparaitre et se trouve soulignée par la justice : l’équilibre se rétablit, la vengeance s’abreuve et crée l’illusion de l’effacement du passé. Le leurre de l’amnésie. Il s’agit là d’une constante dans le cinéma américain conventionnel. Ainsi, le parallélisme société/cinéma ne peut s’affirmer totalement, une portée moraliste limitant celui-ci.

Hostel II s’attaque finalement à la Trinité, sans pour autant se débarrasser du poids du puritanisme. On émascule donc le père, le soldat, puisque celui-ci a succombé aux délices morbides (c’est là le soldat en Irak, celui qui n’est plus le parangon idylique et protecteur). Il n’est plus le géniteur dans une société qui n’en a plus l’utilité, mais également pour la raison qu’il a échoué dans son rôle. Le sacré, lui, est également absent, comme l’Arlésienne, il fera constamment défaut. Quand au fils, l’enfant, nous avons déjà vu plus haut, qu’il était pudiquement supprimé.

Tout ce travail n’empêche pourtant pas Eli Roth d’offrir au spectateur ce qu’il n’a jamais vu (encore que l’on retrouve une scène quelque peu similaire dans le premier épisode de Nip/Tuck). Ainsi, le paroxisme est atteint dans l’émasculation in vivo du capitaliste perverti. Loin de la subtilité d’un Farinelli, Roth crée ici un eunuque symbolisant le spectateur qui soudain se rend compte de l’énormité du rapport qu’il entretient avec le cinéma de genre. Il signifie ainsi au "client" : "Vous vouliez du sexe et du sang, alors servez-vous, nourrissez -ous comme des bêtes", la métaphore est patente, et le spectateur en redemande. Car, malgré le choc, il en redemandera. Comme le soulignait Beigbeder dans 99 francs, même une critique acerbe du système vient finalement renforcer son fonctionnement, tant la machine est bien huilée.

La volonté de puissance nietzschéenne est clairement au coeur de l’attrait à la fois des personnages, qui se transformeront face à la cruauté du réel, mais également des spectateurs qui, emplis d’un profond sentiment d’impunité, jouissent dans la pénombre.


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