Antonetti, le Passeur
par olivier cabanel
mercredi 27 mai 2015
L’histoire du théâtre est auréolée de grands noms : Vilar, Planchon, Dullin, Barrault, Maréchal, Py, et tant d’autres, et pourtant, l’un des plus novateurs en la matière n’a eu que rarement les honneurs médiatiques.
il s’appelle Charles Antonetti, et Bernard Mermod, l’un de ses ex-élèves, devenu journaliste, puis réalisateur TV, a tenu à mettre en pleine lumière cet homme essentiel à la pratique théâtrale.
C’est ce que l’on peut découvrir dans un ouvrage qui vient de paraitre, « Charles Antonetti, les techniques du jeu dramatique », (Slatkine éditeur), livre témoignage, particulièrement complet, riche en photos historiques, et décrivant les méthodes théâtrales préconisées par Antonetti.
On peut même découvrir inséré dans le livre un CD qui permet d’entendre la voix de Charles Antonetti : il s’agit de documents émanant de RTF France 2, (entraînement à l’expression orale), de l’ORTF (éducation et réussite, hommage à Pierre Mabille), d’un entretien avec Marie-Hélène Dasté, et de la bande sonore du ballet des spectres de Richard III.
Comme l’écrit Yves Lorelle, l’un de ses anciens élèves, introduisant ce livre : « Charles Antonetti, cadet des novateurs du théâtre des années 40 et 50 (…) fut principalement le diffuseur des règles fondamentales d’apprentissage pour un art dramatique exigeant. Homme de théâtre et formateur exceptionnel, il s’adressait à l’acteur en évolution vers « l’athlète affectif » d’Artaud. Éloigné des pleins feux de l’actualité et des trompettes d’Avignon il fut oublié avec ceux qui défrichaient le terrain de l’éducation populaire. Acteur, mime, metteur en scène, il a été l’un des premiers instructeurs nationaux du Théâtre (…) dans le but de répandre la pratique artistique. (…) Charles Antonetti reste l’entraîneur généreux qui activa en nous la voie du sensible au service de l’art vivant ».
Ce novateur, né à Courbevoie le 25 juin 1911 nous a quitté le 4 mars 1999, mais le travail en profondeur qu’il a mené pour faire vivre le théâtre n’est pas prêt de s’éteindre, même si la notoriété de ce « passeur » mériterait mieux.
La pédagogie de Charles Antonetti portait sur des exercices organiques, notamment sur la respiration, la décontraction, la voix : articulation, souffle, et l’entraînement dramatique par l’improvisation et l’imagination sensorielle.
Dans la foulée de Charles Dullin, Antonetti fut le seul qui s’engagea dans la voie de l’éducation populaire, et il envisageait d’étendre l’activité dramatique à toute la collectivité.
En 1945, après 10 ans de pratique théâtrale, il publia un ouvrage « Drame et Culture » (éditeur Corti), qui eut un retentissement assez considérable à l’époque, livre dont le cinéaste Chris Marker déclara : « dans ce chemin qui reste à faire au théâtre pour retrouver l’homme, l’ouvrage d’Antonetti aura été le premier guide et le premier guide et probablement le plus héroïque »…le médecin psychiatre Pierre Mabille (à qui fut dédié le livre) ajoutant : « Antonetti met le merveilleux dans l’homme et lui demande de l’exprimer », Gaston Bachelard concluant : « j’ai lu votre ouvrage comme une invitation à regarder de plus près les personnages. C’est vous dire que la lecture de vos pages m’a été bien précieuse ».
Mais pour décrire avec le plus de justesse possible ce qu’était Antonetti, donnons encore la parole à Yves Lorelle : « sur le plancher impersonnel de la petite salle où se déroulaient les cours d’art dramatique de Travail et Culture, un instructeur faisait naître le vent en marchant. il ne marchait pas comme un acteur sur la scène. Ses pieds et jambes poussaient une terre absente. En pesant sur le sol, il transformait le parquet en paysage de notre imaginaire. Ce terrain pour qui le théâtre était un acte de création, c’était Charles Antonetti. (…) Charles Antonetti n’a hélas pas été reconnu à temps. Il valait mieux que des médailles. Son livre « Drame et Culture » est un irremplaçable jalon dans la réflexion sur la valeur éducative du jeu dramatique ».
Ajoutons pour être plus complet qu’Antonetti fut aussi le traducteur d’un ouvrage essentiel au monde du théâtre : « la construction du personnage », de Constantin Stanislavski, à qui l’Actor’s Studio doit beaucoup. lien
Loin de vouloir chercher à transformer les gens en « comédiens » il s’agissait pour Antonetti de découvrir quels bienfaits nous pouvons tirer de l’utilisation rationnelle des techniques d’expression dramatique appliquées aux relations sociales, mais aussi de démontrer qu’avec un entraînement fort simple, on peut améliorer la diction, le son de la voix, et, d’une manière générale, les facultés d’expression, sans rien perdre de sa propre personnalité.
L’un des enseignements notoires d’Antonetti est ce qu’il appelle « l’invention sensorielle ».
Dans la droite ligne d’un Dullin qui écrivait dans son « souvenir et note de travail d’un acteur », publié en 1946 : « ressentir avant de chercher à exprimer, regarder et voir avant de décrire ce qu’on a vu, écouter et entendre avant de répondre à un interlocuteur », ou de Firmin Gémier, l’un des artisans les plus novateurs de la « révolution théâtrale », qui demandait à ses élèves de « recréer une sensation », voire d’un Stanislavski (la construction d’un personnage-1949), il propose de créer une « sensation imaginaire ».
Pour assurer son enseignement, il s’appuie aussi sur les recherches scientifiques du Docteur Pierre Mabille, (la construction de l’homme, éditeur Flory-1936), qui explique comment l’on peut modeler à vide l’objet de notre représentation. lien
Imaginant un réfrigérateur fictif, Antonetti décrit dans celui-ci une assiette fictive elle aussi, sur laquelle est posée une imaginaire tranche de citron, laquelle posée sur la langue de l’acteur fera naitre une réelle acidité.
Le livre est riche aussi en témoignages de ceux qui ont croisé la route d’Antonetti et qui ont fait carrière, tel Victor Azaria évoquant « un très grand spécialiste des techniques d’expression orale et gestuelle, bref d’un homme de théâtre complet (…) un très grand pédagogue ».
Roger Dabert fut, en 1991, après une carrière bien remplie, habilité par le ministère de la Culture, pour enseigner l’histoire de la danse, mais il ne fit jamais l’impasse sur la Commedia dell’arte, les forains, le mime, et naturellement sur Antonetti.
Jacques Dumur évoque un homme généreux (il ne lui faisait pas payer les cours), et affirmait que son enseignement lui avait appris la diversité, l’éclectisme…
Ulf Ekeram, plus lyrique, lui déclarait : « vous m’avez fait découvrir la vie. Vous avez été mon patron, mon maître et un peu mon père ».
L’ouvrage fait donc un tour d’horizon très complet de la pensée de Charles Antonetti, qui tombe à pic au moment ou la culture devient le parent pauvre de cette République qui se veut pourtant socialiste, et où une centaine de festivals ont été annulés, faute de crédits. lien
Quand on avait demandé à Churchill de couper dans le budget des arts pour l’effort de guerre, il avait répondu : « alors, pourquoi nous battons-nous ? »
Et la culture, par la fenêtre du théâtre, voulue par Antonetti, se voulait d’abord « pour tous », y compris pour nous permettre de mieux comprendre et vivre dans cette société.
C’est tout l’intérêt de ce livre qui vient de paraitre, puisque on y découvre en détail toutes les techniques théâtrales que préconisait ce grand homme de théâtre, ainsi qu’un CD, et nul doutes que les acteurs en devenir qui liront ces lignes, s’empresseront de se le procurer.
Comme dit mon vieil ami africain : « la nature nous a donné 2 oreilles et une seule langue, afin d’écouter d’avantage et de moins parler ».
L’image illustrant l’article vient de 2014.losttheoryfestival.com
Merci à Bernard Mermod pour son aide précieuse
Olivier Cabanel