Apprentissage précoce des langues : deux études récentes

par Krokodilo
mercredi 24 juin 2009

Comment les médias et certains pédagogues extrapolent à partir de résultats modestes pour coller au dogme actuel.

1. Une étude suisse sur les langues étrangères au primaire a été récemment rapportée dans les médias

« Une équipe de chercheurs de la Haute école pédagogique de Suisse centrale à Lucerne, conduite par la spécialiste en sciences de l’éducation Andrea Haenni Hoti, a examiné ce modèle dans le cadre du PNR 56. »

Le site APLV des professeurs de langue a titré :
« Un article sur l’apprentissage précoce des LVE : selon une étude suisse, aucune surcharge pour les élèves du Primaire »

Le Nouvel obs, lui, a choisi l’autre conclusion de cette étude :
« L’anglais précoce conduit à de meilleures connaissances du français, selon une étude suisse »

Voici ce que dit réellement cette étude :
« Les élèves du primaire ne sont pas débordés par l’apprentissage de deux langues étrangères. »

Que veut dire « débordés », comment ça se mesure, avec un instrument ? 

Renseignements pris, le critère "débordés" (ou pas) été évalué par un questionnaire, dans le groupe test et dans le groupe contrôle.

L’autre conclusion de l’étude est celle-ci :
« Ils profitent de la première langue étrangère dans l’acquisition de la seconde. »
« Les enfants scolarisés en Suisse centrale et qui ont commencé par apprendre l’anglais apprennent mieux le français. »

On peut supposer que l’inverse serait vrai également, hypothèse d’ailleurs mentionnée : « Cette conclusion ne permet cependant aucunement de faire un plaidoyer pour l’anglais précoce : "L’ordre inverse, le français avant l’anglais, pourrait avoir des effets tout aussi positifs", relève Andrea Haenni Hoti. »

« Et ceux qui grandissent dans un environnement plurilingue sont avantagés dans leur apprentissage du français. »

2. Deux remarques sur cette étude suisse

Voyons d’abord l’absence de surcharge, titre utilisé par divers médias, mais pas par l’étude. Selon le dictionnaire en ligne TLFI, une surcharge est une charge supplémentaire ou excessive, en excédent de la charge normale, autorisée.

L’ambigüité vient de la définition elle-même, car une matière scolaire supplémentaire est forcément une charge supplémentaire !

Par contre, une charge excessive se définit par rapport à une norme – inexistante à ce sujet – ou à une résistance des élèves, inconnue.

Le simple bon sens nous dit qu’ajouter l’initiation à une ou deux langues étrangères est forcément un apprentissage supplémentaire... donc une surcharge.

Les médias, en passant de la formulation « pas débordés », à « pas de surcharge », nient l’évidence des heures de cours d’une matière supplémentaire, là où l’étude vérifiait simplement l’absence de nocivité !

L’autre conclusion signifie que des enfants étudiant une première langue étrangère semblent un peu plus à l’aise que les autres dans l’initiation à une troisième langue, ce qui paraît assez logique : ils ont pris connaissance d’autres structures linguistiques, du fait que la langue telle qu’ils la connaissent n’est pas la seule organisation grammaticale possible, ils se sont en quelque sorte assoupli les neurones sur le plan linguistique.

Comme faire un sport plutôt qu’aucun favorise la coordination musculaire et l’apprentissage d’un deuxième sport. Comme une initiation à la musique facilite une étude ultérieure.

Enfin, et surtout, ce sont des résultats quasiment ponctuels, après un an d’étude primaire. Qu’en est-il à 11 ans, voire à la fin de la scolarité ?

3. Le site du FNS (Fonds national suisse de la recherche scientifique) fournit d’autres éléments intéressants
(c’est le même lien que précédemment)

« La Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique a décidé en 2004 que les élèves du primaire devaient apprendre deux langues étrangères, une langue nationale ainsi que l’anglais ou une autre langue nationale. »

Il s’agit donc à la base d’une décision politique.

« Le préacquis linguistique : une ressource précieuse » :
« Les résultats de ces travaux montrent que les connaissances linguistiques préalables sont utiles à l’enseignement des langues étrangères. (...) Les chercheurs en concluent qu’à côté de l’allemand et de l’anglais, la connaissance d’autres langues de migration comme l’albanais, le portugais, le serbe ou le croate est une ressource précieuse pour l’apprentissage du français. »

« Pas d’effet négatif sur la motivation »

Sur le plaisir et le bien-être des enfants :

« La grande majorité des élèves prennent plaisir à apprendre une langue étrangère, davantage toutefois dans le cas de l’anglais que du français. Cependant, certains enfants se sentent débordés ou trop peu sollicités. Le nombre des enfants se sentant submergés est le même dans les deux disciplines : environ un enfant sur quatre est stressé et a peur de faire des fautes. Mais le sentiment d’être dépassé pendant les cours de français ne dépend pas du fait que l’enfant apprend déjà l’anglais ou non. Tandis qu’un enfant sur quatre se sent trop peu sollicité en anglais, le rapport est d’un sur six pour le français. »

On a vu que c’est l’absence de mal-être qui a été recherchée.

Quand on sait à quel point ils sont influencés par l’ambiance de la classe, l’enthousiasme des enseignants, le contexte familial et social, on peut penser que ces résultats sur le plaisir que prennent les enfants jeunes à apprendre les langues étrangères ne sont pas extrapolables à tous les pays.

Peut-être est-ce le cas en Suisse, où de nombreux enfants doivent déjà avoir de petites notions des autres langues du pays et en comprendre l’utilité, mais d’après ce que m’ont raconté les miens de leur classe, très peu prenaient plaisir à l’initiation à l’anglais (imposé), ni n’en voyaient l’intérêt autour d’eux.

Comme disait un prof d’anglais facétieux : « L’effet principal de la réforme du primaire, c’est qu’elle amène en 6e des élèves déjà dégoûtés de l’anglais » !

Nous ne racontons pas cette boutade pour dénigrer l’anglais, mais pour rappeler que les problèmes de la Suisse en matière linguistique sont bien spécifiques, et que l’environnement familial et social des élèves peut influer sur ce type d’études.

Quant à savoir pourquoi ils prennent plus de plaisir à l’anglais qu’au français, on peut supposer qu’après leur avoir imposé l’anglais au primaire, le français peut être perçu comme un fardeau supplémentaire !

3. Le contexte de ces recherches (2006) est important à considérer


Il s’agit de choix difficiles en matière de politique linguistique pour un pays doté de quatre langues nationales, où certains veulent favoriser l’anglais comme 5e langue et comme langue universitaire... Bref, il s’agit surtout de planification scolaire, de logistique et de politique plus que de pédagogie :

« L’enseignement des langues étrangères au degré primaire est en pleine réforme. Les cantons de Suisse centrale – UR, SZ, OW, NW, ZG et LU – ont opté pour l’anglais en 3e primaire. La majorité des départements de l’instruction publique sont favorables à l’enseignement du français comme deuxième langue étrangère à partir de la 5e, la décision politique finale n’étant pas encore arrêtée dans tous les cantons (en octobre 2006). »

4. L’enseignement précoce et l’enseignement bilingue, sont des domaines plein d’incertitudes
(Nous en parlons simultanément car ils vont souvent de pair dans l’esprit de leurs promoteurs.)

« Le label « maturité bilingue » est aujourd’hui un véritable argument de marketing pour le positionnement des gymnases. Les pouvoirs publics investissent des moyens financiers considérables dans cette innovation pédagogique. Avant de procéder à l’ancrage définitif de la « maturité bilingue », il faut être sûr que l’enseignement en immersion représente un avantage. »
(même site suisse)
 
Je dirais même plus : il faudrait être sûrs !

« Le projet abordera les questions suivantes : Quelle est la contribution de l’apprentissage de langues supplémentaires (langue étrangère, deuxième langue) à la formation de l’identité des enfants et des adolescents ? Quel type de multilinguisme l’école doit-elle encourager et développer ? Nous observerons et décrirons l’introduction de l’anglais en cours dans deux communes scolaires différentes (cantons d’Appenzell Rhodes-Intérieures et Zurich). Une attention particulière sera attachée au groupe des élèves bilingues issus des migrations.
(...) L’étude pourra aussi alimenter, qualitativement, la réforme de l’enseignement des langues étrangères.
(même lien que précédemment)

 Comme on le voit, des questions, beaucoup de questions, beaucoup de facteurs difficiles à isoler les uns des autres pour former des groupes de contrôle.

On met la charrue avant les boeufs : avant toute confirmation scientifique, certains pédagogues veulent promouvoir l’enseignement bilingue, à la logistique complexe, expérimental, coûteux, élitiste parfois (en France). Il s’agit d’hypothèses, testées sur nos enfants qui font office de cobayes, et la maigreur éthique des preuves expérimentales oblige à les exagérer.

Il s’agit de dogmes, d’opinions qui cherchent à s’imposer.

5. Autre étude récente : sur le bilinguisme précoce
(Cyberpresse.ca)

« "Le bilinguisme améliore la performance cognitive bien avant l’apparition du langage", affirme Jacques Mehler, neuropsychologue à l’École internationale supérieure d’études avancées de Trieste, qui est l’auteur principal de l’étude publiée dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences. »

« Certains chercheurs pensent que cela nuit à l’acquisition du langage, parce que l’enfant ne maîtrise bien aucune des deux langues, dit M. Mehler. Nos résultats montrent que le bilinguisme permet d’améliorer les fonctions exécutives, qui permettent de décider quelles actions on doit faire. Il est possible que plus tard, ces enfants en viennent à s’appuyer davantage sur les fonctions exécutives. Cela n’est pas nécessairement un avantage, mais ce n’est certainement pas un désavantage. »

« Les chercheurs de Trieste veulent maintenant voir si ces fonctions exécutives améliorées peuvent être transférées à d’autres décisions que le langage. »

« L’idée que les bénéfices du bilinguisme dépassent les simples capacités langagières n’est pas nouvelle, note M. Mehler. Au début de l’étude, il cite l’écrivain argentin Borges : « Quand je parlais à ma grand-mère paternelle, je devais parler d’une manière qui, je l’ai découvert plus tard, s’appelait l’anglais, et quand je parlais à ma mère ou à ses parents, je devais parler une langue qui, par la suite, s’est révélée être l’espagnol. »

Ce qui saute aux yeux, c’est l’amplification immédiate par les journalistes des résultats modestes de cette étude, par un titre choc : « Le bilinguisme est bon pour les bébés », titre qui sera souvent repris tel quel par d’autres médias !

Mais « bon » de quelle façon ? Sont-ils plus intelligents, plus heureux, plus grands, meilleurs nageurs ? Et si oui, cela se confirme-t-il à l’entrée au collège, à l’adolescence, ou à l’âge adulte, en terme de l’intelligence, ou d’épanouissement ? Ou sont-ils simplement meilleurs dans l’exercice qu’on leur a fait répéter ?

« Lorsque la récompense - l’image d’un chiot - était déplacée sur l’écran d’un ordinateur, les enfants bilingues avaient plus de facilité à la suivre du regard. L’étude suggère qu’il s’agit d’une augmentation des « fonctions exécutives » dans le cerveau, ce qui contribue à acquérir simultanément deux langues. »

En gros, l’obligation faite à ces enfants d’apprendre simultanément deux langues les a (peut-être) obligés à développer ou accélérer une fonction exécutive mal définie. Or, il a déjà été essayé aux USA il y a longtemps de stimuler des bébés (dans le but d’en faire des surdoués) avec des résultats catastrophiques quelques années plus tard. Il est donc important de suivre cette modeste performance pendant des années avant de conclure quoi que ce soit. Ce qui est parfois naturel dans une famille bilingue n’est pas forcément extrapolable à tous les enfants scolarisés. En outre, le bilinguisme familial ne se passe pas toujours bien, mais les parents n’osent pas en témoigner car ils culpabilisent.

Rien n’est étudié sur le long terme ni même à moyen terme, pour savoir si cette différence se maintient, si elle s’applique à d’autres apprentissages.

Ce sont des données très limitées, fragmentaires, ponctuelles, dont l’interprétation est très délicate. C’est de la recherche balbutiante dans un domaine où les inconnues sont nombreuses.

6. Incertitudes et manipulations

— Sur l’étude suisse : on a vu plus haut « pas débordés » devenir « pas de surcharge ».

— Sur l’étude italienne, ce titre récent  : « Les bébés bilingues apprennent plus vite », qui laisse entendre que cela s’applique à tout apprentissage ultérieur, en gros qu’on a fabriqué des surdoués ! Alors que la réalité est bien plus limitée.

Ce mensonge (appelons les choses par leur nom) du développement intellectuel est un argument très porteur auprès des parents quand on a quelque chose à vendre, comme l’inscription à une école privée, des cours de soutien ou une méthode soi-disant innovante. Dans le business des langues, on se bouscule au portillon :

« Un autre avantage du bilinguisme actif précoce est le développement de capacités intellectuelles supérieures, de tolérance et de compréhension culturelle. »

Comment ont-ils bien pu mesurer la tolérance et la compréhension culturelle ?

Autre exemple du marché juteux qui pourrait s’ouvrir :
« Une heure d’anglais hebdomadaire suffit-elle à faire parler les bébés ? L’AFP signale l’ouverture à Bordeaux d’une école privée pour initier les bébés à l’anglais. Elle s’appuierait sur des travaux en neurosciences qui montrent que plus on apprend jeune une deuxième langue, meilleur sera le niveau atteint. »

Notons la présence bienvenue du conditionnel « s’appuierait » !

Certains professionnels gardent quand même les pieds sur terre. Commentaire (avisé) du Café Pédagogique, qui signale cet article dans "L’Expresso" du 22 mai 2009 :

"Le problème c’est que si le cerveau s’initie très tôt à la reconnaissance des phonèmes, les études effectuées portent sur des enfants en immersion familiale dans un nouveau pays et donc soumis en permanence aux deux langues jusqu’à au moins la puberté. L’efficacité de quelques heures par semaine de deuxième langue, comme c’est le cas dans le système scolaire, n’a pas été étudiée et les cognitivistes n’ont pas de réponse à cette question. C’est ce que soulignait Annie Christophe lors d’un colloque organisé par le groupe Compas en 2008". (Lire le compte rendu sur le site du Café Pédagogique.)
(et lu sur APLV)

« "L’investissement dans un apprentissage très précoce des langues est rentable" affirme Anne Christophe, CNRS. Son raisonnement s’appuie sur une série d’études qui montrent que plus on apprend jeune une deuxième langue, meilleur sera le niveau atteint. C’est particulièrement vrai pour les bébés bilingues qui, très tôt sont capables d’apprendre deux langues. Le cerveau humain est apte à s’habituer et traiter plusieurs langues dans ses premières années. Plus tard, selon Anne Christophe, il y a un âge critique à partir duquel l’apprentissage est plus difficile. Il se situe peut-être après 6 ans. Après la puberté, il est certain que les mécanismes cérébraux qui n’ont pas été sollicités ne peuvent probablement plus être éveillés et l’efficacité des apprentissages diminue fortement. Pour la première langue il faut que la sollicitation arrive avant 3 ans. »

Avec le respect qu’on doit aux chercheurs, que signifie cette accumulation de « peut-être après 6 ans », « ne peuvent probablement plus être réveillés » ?

La journaliste aurait pu donner le détail de cette mystérieuse série d’études... Il y en aurait même toute une série convergente ! De telles études nécessiteraient un suivi longitudinal de quinze ans... sous réserve de disposer d’un groupe témoin de même milieu socioculturel qui aurait étudié la même langue mais en commençant plus tard. D’ailleurs, l’aveu du manque d’études ne tarde pas :

« Les études effectuées portent sur des enfants en immersion familiale dans un nouveau pays et donc soumis en permanence aux deux langues jusqu’à au moins la puberté. L’efficacité de quelques heures par semaine de deuxième langue, comme c’est le cas dans le système scolaire, n’a pas été étudiée et les cognitivistes n’ont pas de réponse à cette question. »

Dans ce domaine, les articles ressemblent à l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours : tout le monde parle d’études concluantes, de préférence en casant des mots savants tels que neurosciences et cognitivistes, mais qui cite précisément ces mystérieuses études ?

« Peut-on oublier une langue ou celle-ci reste-elle gravée à jamais dans le cerveau ? La recherche montre que des orphelins transplantés dans un autre pays avant la puberté peuvent totalement oublier leur langue première. Passée la puberté par contre, le cerveau garde des traces actives de celle-ci. Tout cela montre une étonnante plasticité du cerveau et amène à poser bien des questions. Le cerveau reste un continent encore à explorer. »
(Café pédagogique)

Ces données sont en totale contradiction avec les affirmations précédentes ! Pourquoi commencer précocement si on oublie quasiment tout en fonction des hasards de la vie, d’un changement de pays, d’une absence de prof de la langue commencée, d’un désintérêt soudain de l’élève – l’exemple type étant fourni par les langues régionales où l’utilité n’est pas égale dans toutes les régions, où il est difficile de poursuivre à mesure que la scolarité avance.
 
7. Bibliographie sur l’apprentissage précoce des langues

Avis d’Europa sur l’apprentissage précoce, favorable, rapport en anglais, résumé en anglais ! Navré, mais je crains trop de commettre des erreurs de traduction et de déformer les preuves scientifiques irréfutables contenues dans ce mystérieux rapport qui confirme qu’il est vital pour le développement cérébral de tous les petits Européens de commencer l’anglais à la maternelle, si possible, dès la petite maternelle. Et pour les pays qui n’ont pas de maternelle, il restera les dessins animés en VO anglophone sous-titrée.

Leur précédent rapport collégial était plus que précautionneux, limite sceptique, mais il n’est plus disponible sur le site Europa, pour non-conformité au dogme ?

Une bibliographie préparée par le Centre de ressources documentaires du CIEP, signalée par le site APLV
Télécharger la bibliographie au format PDF

Il ne faut pas compter y trouver un seul article critique... Néanmoins, le programme Evlang, éveil aux langues non spécialisé dans une langue y est cité (cf. Michel Candelier). Il s’agit d’une initiation à la diversité des langues, par exemple leurs aspects phonétiques, ou un comparatif de diverses langues européennes, bref, une préparation à l’enseignement ultérieur de langues
Dans le même esprit, une expérimentation d’une année en 2003, à Liège, grâce aux outils EOLE (destinés aux élèves de 4 à 12 ans, alors qu’Evlang ciblait 10-12 ans.)
(cliquer au centre de la page sur télécharger en pdf)

Mon article d’Agora vox sur le programme Evlang

8. L’enseignement des langues est un dysfonctionnement permanent !

Un système bancal, qui ne connaît pas ses objectifs, dont la gestion est très lourde en raison des contraintes structurelles (nombre de profs de langue, répartition par langues, engagement à vie), qui empêchent de proposer un large choix de langues dans chaque établissement scolaire. 

« Or, le contraste interpelle entre les plaidoyers officiels et leur traduction concrète. Ni l’introduction des langues à l’école primaire, ni le développement de l’apprentissage d’au moins deux langues dans le second degré n’ont efficacement contribué à remporter le pari de la diversification, bien au contraire : »
Rapport sénatorial Legendre 2003

Déjà son précédent rapport présentait une sorte de bateau ivre, doté de plusieurs capitaines (Ministère, Académies, etc.), ne sachant pas réellement où il va (politique linguistique), ne connaissant pas son équipage pour la prochaine rentrée (langue disponibles).

 À mesure que les langues se généralisent à l’école, la part de l’anglais va croissant et le « tunnel de l’anglais » contre lequel réagissait la mission en 1995 se prolonge et se consolide.

9. Mêmes’ils sont systématiquement occultés, divers experts et quelques études sont sceptiques voire défavorables à l’enseignement précoce des langues !

Je renvoie à mon précédent article sur le sujet .

10. Notre propre proposition de réforme

Au primaire, initiation aux langues, axée sur les langues européennes.

C’est le programme Evlang (cf.), et le matériel Eole (cf.). On pourrait y étudier comparativement des phrases de base de diverses langues, les différents alphabets (ce qui peut inclure l’espéranto), y ajouter une prise de contact avec l’alphabet arabe et quelques idéogrammes, bref n une initiation linguistique nécessaire et suffisante pour profiter des potentialités auditives et musicales de l’enfance. Il suffit d’un ou deux enseignants par établissement scolaire, ayant le goût des langues, et formés par des stages à utiliser le matériel pédagogique préétabli, ainsi que les technologies interactives. Beaucoup plus simple que l’actuelle validation de langues par les IUFM...

Au secondaire, choix de deux langues par modules de niveau successifs, parmi celles possibles au collège, ou parmi d’autres langues. Mais un véritable choix, rendu possible par une complémentarité public-privé-associations parentales-familles.

Si un enfant a des connaissances d’une langue par sa famille, il pourrait ainsi les voir validées et reconnues à leur juste valeur. Un module culturel lié à cette langue peut être exigé (afin de pallier la critique langue de communication ), sous réserve de rester lucides dans les exigences.

La validation restant l’apanage de l’Éducation nationale - ce qui économise tout l’argent qu’on s’apprête à jeter dans la validation par Cambridge.

Enfin, si les modules étaient scindés en trimestres (l’échelle CECRL a justement la possibilité d’être scindée à l’infini pour se rapprocher de l’apprentissage naturel), cela permettrait aux élèves d’essayer, par exemple, un trimestre de latin, pour voir si cela éveille en eux le goût de poursuivre dans cette voie.

Les langues étrangères sont un domaine à part dans le cursus scolaire, pour diverses raisons, et leur organisation devrait refléter ces particularismes.

Conclusion

Une étude suisse a montré que les enfants n’étaient « pas débordés » par l’étude d’une autre langue au primaire.

Les médias transforment « pas débordés », c’est-à-dire absence de nocivité, en « pas de surcharge », comme si une langue supplémentaire au primaire n’était pas une surcharge ! (voire deux en Suisse)

L’étude d’une deuxième langue semble avoir favorisé l’étude d’une troisième, évaluée un an après ; l’hypothèse est émise que ce serait valable quel que soit l’ordre d’introduction.

Sur un plan plus général : l’apprentissage précoce des langues n’est pas une question pédagogique mais politique.

Il est soutenu par toutes les boîtes privées du business des langues, car c’est potentiellement un énorme marché !

On veut imposer l’apprentissage précoce de l’anglais dans toute l’UE – dans le fol espoir de faire de tous nos enfants des native english or same level !

Qui a lu un seul article sur l’apprentissage précoce de l’italien, du suédois, de l’espagnol ou du grec ancien ?

La diversité des langues à l’école est en chute libre : « (...) et la palette des langues enseignées se restreint. » rapport Legendre 2003

Des observations de simple bon sens sont mises de côté :


— On peut arriver à un excellent niveau dans une langue étrangère en la commençant à douze ans, comme on peut oublier les bases déjà apprises si l’on interrompt son apprentissage.


— On peut même oublier sa langue natale – cas des enfants adoptés, par volonté de s’adapter, et rejet inconscient du passé.

La problématique de l’apprentissage précoce est née de situations particulières : les pays à plusieurs langues officielles doivent résoudre des contraintes logistiques et politiques, les familles bilingues sont dans une situation et ont une motivation (éventuelle) qui ne peuvent être étendues à tous les enfants, à quoi s’ajoute la construction européenne dont la parole officielle fait croire que l’apprentissage précoce « des » langues résoudra l’incommunicabilité... On a érigé ces cas particuliers en dogme dans des pays où la question ne se posait pas, où le besoin n’était pas ressenti !

Pour faire bon poids, on répète ad nauseam l’échec de l’enseignement des langues en France. Or, il n’y a ni échec, ni problème, ni désastre des langues en France ! Les profs de langues doivent cesser de culpabiliser et d’accepter en silence de tels mensonges.

Ou alors, si désastre il y a, il est partout dans le monde, à commencer par les pays anglophones, de loin les plus mauvais en langues étrangères ! Etudier une langue étrangère est un immense travail, long, difficile et vite oublié, ingrat, et l’école ne peut être que le lieu d’une initiation plus ou moins poussée (B1 dans le meilleur des cas, sans soutien extrascolaire ni séjours), et c’est tout à fait normal.

Le malentendu (sciemment entretenu...) vient de la comparaison avec les pays nordiques qui étudient l’anglais depuis le berceau et sont allés jusqu’à le préférer à leur propre langue à l’université ! Évidemment, nos lycéens sont plus faibles en anglais que ces lycéens-là, mais veut-on pour le français le même avenir fatal à moyen terme qui est promis au suédois ? Soyons clairs : ce n’est pas un malentendu mais de la manipulation.
 
L’école primaire est le lieu de la découverte, de l’initiation à la diversité, pas celui de la spécialisation dans une langue étrangère, fût-elle l’anglais. (Comme on le fait en musique ou en sport.)

Les rares études disponibles ne montrent que des résultats limités, ponctuels ou à très court terme (alors qu’il s’agit de 18 ans de développement mental), peu signifiants, difficiles à interpréter, dont les médias et les chantres de l’anglais précoce s’emparent immédiatement pour leur faire dire infiniment plus – en général que ça rend les enfants plus intelligents !
Alors que ça a surtout prouvé que ça ne les rendait pas plus bêtes ! « Pas débordés » ce qu’il fallait effectivement vérifier...

On ne sait pas si ça les rend plus intelligents, ni si ça améliore les résultats scolaires des autres matières, ou si ça les rend plus heureux. En fait, on ne sait pas grand chose !

Enfin, rappelons que l’apprentissage précoce de l’anglais consiste à introduire auprès d’enfants qui peinent déjà avec le français une langue très difficile sur le plan phonétique, au point que les pays anglophones ont un taux de dyslexie nettement plus élevé que l’Italie, dont la langue est largement plus régulière.
(La croix)
(Time)

L’apprentissage précoce de l’anglais est une absurdité pédagogique qui repose sur des dogmes et des bases expérimentales plus que fragiles. Nos enfants sont des cobayes à qui on veut injecter l’anglais dès la maternelle ! Principalement à cause de l’UE dont les principales forces politiques et économiques soutiennent l’anglais comme langue véhiculaire commune, sans vouloir discuter ni tester les autres possibilités.

La seule chose réellement prouvée est une plus grande aptitude musicale des enfants, et pour profiter de ces capacités appliquées aux langues étrangères, il suffit de faire de 8 à 10 ans une initiation linguistique à la diversité des langues, des alphabets et des sons (phonèmes), puis de faire choisir en 6e et 5e une ou deux langues étrangères, mais un vrai choix parmi de nombreuses langues, grâce à une complémentarité école-privé-associations-familles.

Libérez les enfants, libérez les langues ! Trop simple – ou pas assez anglophone ?

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