Autour du Lapin Agile
par Taverne
vendredi 26 juillet 2013
"Le Lapin agile, c'est le coffre-fort de l'éternité", déclara Claude Nougaro. Ce fut en tout cas d'abord un lieu de perdition. Aujourd'hui chargé d'histoire de forfaits et de crimes, comme de chansons, d'art et de poésie, il fut le lieu témoin de la mise en scène du fameux canular du tableau peint par la queue d'un âne ! C'est là aussi que Charlie Chaplin entendit pour la première fois "Je cherche après Titine", chanson qui est devenue en quelque sorte son emblème. De grands noms peuplent les murs de ce cabaret mythique : Brassens, Mac Orlan et tant d'autres...
Le bâtiment fut construit en 1795. C'était une auberge de rouliers mal fréquentée, d'où le nom qui lui sera donné vers 1860 : "Au rendez-vous des voleurs" puis le "Cabaret des assassins" parce qu'y était accrochée une série de gravures représentant des assassins célèbres, de Ravaillac à Troppmann, exécuté en 1869.
Pendant la Commune, le cabaret est fréquenté par une faune d'artistes dont André Gill (1840 - 1885) qui réalise l'enseigne, le "Lapin à Gill".
Les peintres et poètes du Chat noir vont prendre leurs habitudes au Lapin agile. en 1886, on y trouve régulièrement Charles Cros, Alphonse Allais, Jehan Rictus, Jules Jouy, Aristide Bruant...Mais aussi des peintres connus (Toulouse-Lautrec), des écrivains (Courteline...), hommes politiques (Clémenceau)...
Le Lapin Agile de Frédé au début du XXème siècle : Bruant, Paul Fort, Gaston Couté...
En 1903, le père Frédé s'installe au cabaret avec une ménagerie d'animaux. Il vit arriver pour la première fois, amené par Pierre Louys, Paul Fort.
C'est là que le poète récita pour la première le fameux poème "Si tous les gars du monde".
Selon Mac Orlan, Frédé avait une allure de trappeur de l'Alaska. Il entonnait des chansons en s'accompagnant à la guitare.
Charles Dullin y récite des vers dès 1902 ; il ne vit que grâce aux quêtes qu'il fait après ses récitals.
"A la bastoche", par Daniel Guichard
"Le chat noir" par Jean Roger Caussimon
Et bien sûr la célèbre chanson "A la Bastille" chantée ici par Aristide Bruant lui-même.
Jehan Rictus y chante souvent la misère, un mal dont il mourut d'aillleurs en 1933. Ecouter : "Berceuse pour un pas d'chance", "Complainte de p'tits fanfans morts".
La présence de Roland Dorgeles reste dans toutes les mémoires à cause d'un canular qu'il fit. Lolo, l'âne de Frédé, peignit une oeuvre avec des pinceaux accrochés à sa queue. Dorgelès créa le mouvement pictural "excessiviste" pour se moquer de avant-gardes. L'oeuvre fut exposée au salon des Indépendants en 1910. Dorgelès révéla la supercherie quelques jours plus tard, ce qui créa un scandale.
L'année 1910
En 1910, Victor, le fils de Frédé, est tué derrière le bar d'une balle en pleine tête.
Ecouter "Le doux caboulot".
"L'Orgue des amoureux" (musique de Varel et Bailly, chanté par Édith Piaf en 1949)
"Chanson tendre" : sur une musique de Jacques Larmanjat, elle fut chantée par Fréhel en 1935. Carco chanta lui-même cette chanson au Lapin agile, en 1952. Ecouter sa version ici : "Chanson tendre".
Valérie Ambroise chante "il pleut", un poème de Carco, chez Mireille.
Son frère, Jean Marèze, poète, fut aussi auteur de chansons (Sombre dimanche, Escale, etc.). Romancier et cultivant un certain "goût du Malheur", c'est aussi à Francis Carco que l'on doit l'expression « le milieu » qui désigne le crime organisé en France, abrégé de sa phrase « un milieu très spécial ».
L'Entre-Deux-Guerres : Mac Orlan, Charlie Chaplin
La guerre 14-18 vide le cabaret de ses artistes partis au front. Bruant, qui avait perdu son fils à la bataille de Craonne, s'était pris d'amitié pour Paulo. C'est ainsi qu'il lui légua le Lapin agile et lui donna des cours d'interprétation. Le cabaret va progressivement devenir le conservatoire de la bonne chanson qui triomphe à Montparnasse. Un soir, on demanda à Chaplin qui était venu de jouer du violon. Il entendit Léo Daniderff interpréter "Je cherche après Titine". Il reprendra l'air dans "Les Temps modernes".
"Les progrès d'une garce" par Monique Morelli.
"Chanson de Margaret", par Germaine Montéro.
Le Lapin agile inspira aussi à Mac Orlan son roman "Quai des brumes".
Autre pilier, Jean Clément, interprète de chansons douces et romantiques comme "le temps des cerises". Des acteurs viennent jouer les diseurs, comme Pierre Brasseur. André Pasdoc va prendre le relai de Mirois et introduit la chanson moderniste. Il enregistre une magnifique version du "Bleu des bleuets" : ici par Georges Brassens.
Vers 1933, Paulo déniche Rina Ketty qui sera l'interprète de l'inoubliable "J'attendrai".
En 1938, une voix enchante tout le public, y compirs Frédé qui, pour l'occasion, redescendit de son appartement qu'il ne quittait plus. C'est celle d'Yvonne Darle. C'est le nom qui lui est donné par Paulo lorsqu'il l'engagea. Elle deviendra son épouse.
Louis Bory rejoint le troupe, ainsi que Pierre Dudan avec sa chanson "Non, tu n'auras pas ma peau, Pierre".
Les années de guerre : Caussimon
La poétesse Lil Boël, le chansonnier Gabriello, Clément Duhour, Marcel Nobla, René Jan, assurent l'ambiance. Quand arrive Jean-Roger Caussimon un soir de décembre 1942. Libéré d'un camp de prisonnier pour raisons de santé, il y retrouve sa tante Yvonne Darle. Caussimon est comédien, il est souvent au théâtre. Il lit des poèmes au Lapin Agile. Puis il se met à écrire des textes de chansons : "y'avait dix marins", "Mon camarade", "Barbarie, Barbara"...
L'Après-guerre : Léo Ferré, Brassens, Claude Nougaro
Des soirées enregistrées sont organisées autour de personnalités illustres ayant vécu l'aventure du Lapin Agile : Carette, Marcel Aymé, Paul Fort, etc. En 1947, Caussimon fait la connaissance au Lapin agile de Léo Ferré, ce sera le début d'une longue et fructueuse collaboration. "Le temps du tango", par Léo ferré, "Nous deux" par Caussimon. Celui-ci, devenu auteur-compositeur-interprète en 1952, vient rôder ses spectacles au Lapin agile.
Le cabaret accueille de nouveaux talents : le duo Marc et André, Georges Brassens en 1951 qui, mort de trac, abandonne après deux semaines. Six mois plus tard, il réussit son essai chez Patachou. C'est Alexandre Lagoya qui accordait la guitare de Brassens. Claude Nougaro pouse les portes du Lapin agile en 1955. Son père, chanteur d'opéra, fréquentait le cabaret et lui avait conseillé de venir y déclamer sa poésie. Nougaro mettra trois ans avant de se décider à interpréter ses chansons qu'il écrivait pour d'autres.
Pour conclure comme nous avons commencé, donnons la parole à Claude Nougaro au Lapin Agile qui chante "Le plus vieux des vagabonds".