Betty Colls

par Orélien Péréol
lundi 15 juillet 2013

Texte et mise en scène // Paul Jeanson avec Bastien Bernini, Ophélie Clavie, Sophie de Fürst et Paul de Launoy. Par la Compagnie Les Sans Cou.

C’est un spectacle étonnant, comique, qui finit en tragédie, dérangeant, déconcertant.

Tout débute sur un rythme de fête théâtrale, avec musiques et danses, et dans un délire sympathique. Pas de lieu précis, pas de décor, pas de dispositif scénique, juste la scène nue. Et les acteurs et actrices qui bougent comme dans des pantomimes expressives.

Quatre acteurs dans le vent de la jeunesse et qui nous racontent le dérapage d’une soirée lambda, sans se départir de leur fébrilité burlesque. Et c’est là le dérangeant. On ne les voit pas transformés par l’horreur de ce qu’ils ont fait. Le jeu farcesque se poursuit sans aucune inflexion, à tel point qu’on se demande s’ils ont vraiment tué ou s’ils inventent.

Le début est flambant : après une courte philosophie sur le hasard, musique et danse comme au cabaret. Toujours aussi bref et pointu le célèbre « qu’est-ce que j’peux faire ? Chais pas quoi faire ? » Sans penser à rien, on a l’impression d’être engagé dans cette question : « que faire de sa vie ? Que faire de soi ? » si cruciale au moment de l’entrée dans la vie active qui est aussi l’âge de faire des enfants… à quelques années près. Là, tout s’embarque et ce qui est mal parti, voire raté, est difficilement rattrapable. Ce n’est pas de la philosophie debout, c’est du vrai théâtre, tout est dans le jeu des acteurs et les acteurs sont parfaits pour porter ce théâtre.

Ce qui est caractéristique du contemporain, c’est l’absence des grands récits, qui ont accompli leur vanité cruellement. Ils avaient des ailes d’anges pour des transports célestes, de l’idéal, de l’enchantement du monde. De nos jours, se sentir vivant ne va pas de soi.

Les quatre héros ou anti-héros de Betty Colls cherchent l’aventure dans chaque rencontre, dans chaque nouvel humain qu’ils rencontrent au hasard. La pièce nous raconte un soir particulier, où le ciel est violet. Tout s’y passe dans l’excitation tétanique qui règle le jeu d’un bout à l’autre : Ariski a rendez-vous avec une infirmière urgentiste, il lui propose un black jack, version pile ou face, de la règle fondamentale de la vie… pour gagner, il faut y croire… c’est peut-être là que se trouve l’enchantement du monde dont ils savent que, bien sûr, c’est faux. Henry, dandy d’une timidité maladive avec les femmes, rencontre Betty sur un pont de Paris, et l’empêche de sauter dans la Seine… Ils partent à quatre comme des pieds nickelés sans but autre que de se désennuyer de force, on pourrait dire.

Brutalement, l’aspect irréel de ce parcours dans un Paris nocturne sans murs ni monuments, mais avec quelques lieux mythiques, tombe dans un réel sordide, tragique et la mort y tombe « pour de vrai » dans tout ce faux. Et là, pour ma part, j’ai eu du mal à y croire. L’ambiance burlesque ne bouge pas d’un pouce. L’aventure reste dans la « modernité » et sa vanité évidente : passer ses images aux potes via le Net et ses appareils portables. A la fin, le Henry coincé, miracle !, donne un baiser romantique à Betty pot de colle, comme il l’a appelée si souvent.

Le texte est vif et composite, drôle, poétique. Il contient de nombreuses références. Un spectacle riche et varié… minimal et fortement théâtral : le corps et le texte… qui porte un peu sans le faire exprès, là où il ne le voit pas, la tragédie des jeunes de nos jours, le très social et fort peu romantique mal de vivre, absurde actuel.


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