BHL : une imposture française ?
par Bernard Lallement
lundi 20 mars 2006
Ce repas est resté comme le plus mauvais de toute mon existence : rosbif spongieux, pommes de terre pas cuites et pour le pain, Jean-Edern avait dû récupérer de vieux restes dans une poubelle avant de les passer dans la cheminée pour leur donner une apparence décente !
Un crime impardonnable de lèse-gastronomie qui, avant même d’avoir lu Michel Onfray, à l’époque en culottes courtes, m’avait fait dire qu’un homme mangeant si mal ne pouvait penser très bien. Jugement que mon amitié avec Maurice Clavel, artisan, en compagnie de Françoise Verny, de la médiatisation des nouveaux philosophes, n’a pas réformé.
Sur ce point, tout au moins, le livre de Nicolas Beau et Olivier Toscer - Une Imposture française - m’apporte, culinairement parlant, quelque apaisement, tant on y voit notre héros mettre les petits plats dans les grands afin de flatter, à bord d’un jet affrété pour l’occasion, ceux dont il entend faire ses obligés et qu’il invite dans sa somptueuse résidence de Marrakech
Pour le reste, les auteurs décrivent, par le menu, l’origine de la fortune de BHL provenant du pillage de la forêt africaine par l’entreprise familiale, revendue rubis sur ongle à François Pinault, son appétence obsessionnelle pour l’argent n’ayant d’égale que son obsession à maîtriser son image, au point d’entretenir tout un réseau d’aficionados, tant dans le monde des affaires que dans celui des médias. Ils reviennent sur ses enquêtes à géométrie variable, dans lesquelles on peine à discerner la réalité de la fiction, comme Qui a tué Daniel Pearl ?.
Nous savons tout du prix de ses fameuses chemises blanches (350 € sur mesure chez Charvet à Paris), de ses notes de portables (plus de 2000 € par mois), de son portefeuille d’actions et de ses supposés délits d’initié.
Une biographie d’homme d’affaires
Nous attendions d’être éclairé sur la genèse de son écriture, l’impact de son enfance, ses amis archicubes, ses rapports complexes avec sa mère, son frère Philippe, sa sœur Véronique, son premier mariage, ses enfants, ses fulgurances pour Arielle Dombasle, son inclination à la mythomanie. Bref, tout ce qui constitue l’ordinaire d’un biographe s’intéressant à un intellectuel, soucieux de mettre en perspective la vie et l’œuvre de son sujet.
Nous resterons, à cet égard, sur notre faim. Peut-être, en définitive, parce que l’œuvre, au sens de transcendance, est inexistante, et le vécu bien superficiel pour un disciple, autoproclamé, de Socrate.
Sartre a été le philosophe qui, de son vivant, a suscité le plus de passions, de haines, de révoltes, de menaces, d’insultes et d’opprobre. BHL, qui ne craint pas de revendiquer une filiation spirituelle avec l’auteur des Mots (ainsi qu’avec André Malraux d’ailleurs) sera, certainement, celui ayant été le prétexte à autant de récits à prétentions biographiques, dans un si court laps de temps : quatre en moins de deux ans !
Avouons que ce n’est pas le moindre des paradoxes pour un homme dont on met en exergue la vacuité et l’inconséquence du raisonnement. Pascal Quignard avait fait remarquer combien nous serions en peine de citer une seule belle phrase de son cru. Aussi une telle déferlante d’ouvrages donnerait-elle, à elle seule, matière à publication.
Finalement, qu’avons-nous appris sur le personnage ? Il a une belle gueule, est riche, fantasque, un tantinet mytho, obsédé par son image, influent et très médiatique. Cela ne fait ni des qualités, ni des tares, mais se situe dans l’ère du temps.
BHL est dans la parfaite normalité d’une peopolisation de la pensée, non seulement intellectuelle mais également politique.
Beaucoup de bruit pour rien
Bernard-Henri Lévy rêve d’être celui qui réconciliera l’Amérique et l’Europe. Aussi est-il parti sur les traces de Tocqueville. Un récit d’une grande banalité qui a reçu un accueil très mitigé aux USA. L’édito du New York Times résume assez bien la tendance dominante chez nos voisins américains :
« Tout Américain qui voudrait écrire un livre pour expliquer la France aux Français devrait d’abord lire celui-ci pour connaître les pièges à éviter (...). Le lecteur est fasciné et épuisé par la pensée ennuyeuse de Lévy (...). C’est l’excursion habituelle, bizarre, boursouflée, fanatique et faussement culturelle qu’adorent les journalistes européens depuis cinquante ans (...). Toutes les dix pages ou à peu près, Lévy fonce dans le mur (...). Il écrit comme un étudiant cherchant à remplir sa copie d’examen. »
Mais après tout, l’important pour BHL est qu’on parle de lui. Et les livres qui lui sont consacrés, les polémiques qu’ils entretiennent, participent à la légende, se vendent et font vendre. De nos jours, en littérature, les chiffres ont remplacé les lettres.
Dans Le siècle de Sartre Bernard-Henri Lévy se décrit, pendant les funérailles de Sartre, devant l’immeuble où habitait le philosophe : « Mon regard a compté jusqu’à ce neuvième étage où je m’étais parfois rendu », écrit-il. Malheureusement, pour lui, l’auteur de l’Etre et le néant n’habitait pas au 9e mais au 10e. Cet étage, que BHL n’a jamais franchi, est tout ce qui distingue la célébrité de la gloire.
En définitive, « beaucoup de bruit pour rien », dirait Shakespeare.
---------------------------------
Nicolas Beau & Olivier Toscer - Une Imposture française - Les Arènes 214 pages 14,90 €
Bernard-Henri Lévy- American Vertigo - Grasset - 494 pages 20,00 €