Bienvenue chez nous

par Mathias Delfe
mercredi 9 avril 2008

Petit retour critique sur la plus belle affaire commerciale du cinéma français.

J’ai vu Bienvenue...


Autant vous dire tout de suite que je ne m’attendais pas à un chef-d’œuvre, considérant les médiocres qualités de comédien de Dany Boon - qu’il partage avec d’autres fantaisistes, de Coluche à Bigard - et l’incertitude régnant sur ses capacités à réaliser un long métrage, mais à l’éventualité de passer un moment de détente, puisque, si tout le monde adorait ce film, ce ne pouvait être sans raisons.


La projection m’a arraché deux sourires et vingt soupirs. Un alignement de clichés pour prétendre tordre le cou aux clichés : figurez-vous que les gens du Nord ne sont pas les demeurés qu’on croit (mais qui le croit à part les tarés de supporteurs du PSG ?), mais qu’en revanche les gens du Sud sont des débiles profonds qui enfilent des doudounes en été avant de se rendre à Lille et dont l’environnement est fait de charmantes placettes ombragées de platanes avec de gentils boulistes au milieu.


C’est ravissant, le Sud : pas de cités « sensibles », pas de nœuds autoroutiers, pas de surpopulation, pas de pollution, pas de bitures au pastaga, pas de délinquance, pas de racisme ; le mistral n’est jamais glacial, les villas avec patio et piscine se louent pour une bouchée de pain et les cadres moyens de La Poste roulent en bagnoles de bourgeois.


On se demande d’ailleurs comment dans de telles conditions d’existence idylliques leurs ravissantes femmes stupides font pour être dépressives ?


Sans doute parce que leurs époux sont des crétins qui ont besoin d’un traducteur afin de comprendre les quelques idiotismes pourtant bien connus qu’on emploie au nord de la Somme et un accent que la malheureuse Line Renaud s’acharne à caricaturer dans son plus mauvais rôle, mère de prolo relookée en Françoise de Panafieu.

A part ça, on va de surprises en étonnements : dès la première intervention du gendarme motocycliste, on a compris qu’on le reverra à chaque aller-retour de notre « héros » (toutefois il faut admettre que Kad Merad est le seul à n’avoir pas appris son métier d’acteur avec une méthode accélérée) et, fine mouche, on devine avant même qu’elle ait commencé que la tournée du facteur se terminera en cuite mémorable.


Certes, nos Ch’tis sont de bien braves gens, mais on peine tout de même à piger comment dans un système socialement clivé comme le nôtre un directeur d’agence en vient à copiner si intimement et si facilement avec son personnel, au point de devenir le meilleur ami du facteur, un gentil garçon fort sympathique, mais vraiment pas plus passionnant que cela en néo-Quasimodo sonneur de carillon.

Pas la peine de s’énerver, me direz-vous, le succès de cette œuvrette ne doit pas grand-chose à ses qualités objectives, mais à l’œcuménisme social qu’elle véhicule : Ch’tis ou Provençaux, cadres ou employés, beaux ou moches, riches ou pauvres, on est tous frères, tous Franchouillards, et je peux vous assurer que ça fait chaud au cœur par ces temps de mondialisation et de compétition acharnée où chaque homme est un loup pour l’homme.


Dans Bienvenue..., le harcèlement moral est une notion inconnue, les copains vous meublent gratos un logement, les collègues ne se font pas de crasses entre eux et la jolie blonde, quoique un peu volage, est naturellement amoureuse du petit employé pas franchement séduisant, sans ambition, plus âgé qu’elle et affublé d’une mère possessive comme celle de Guy Bedos dans Un éléphant, ça trompe..., autre succès populaire, plus ancien et plus fin. Que du crédible béton.


Et, après tout, quel est le mal si les quinze ou bientôt vingt millions de spectateurs ont couru à la séance pour y trouver une illusion de fraternité qu’ils préfèrent décrire comme un besoin de rire ?


Plus préoccupante est cette insistance à rappeler que le film bat tous les records de fréquentation en France, avec en filigrane cette imposture entretenue - curieusement contraire à l’esprit de l’œuvre - que le succès financier vaut talent et que l’engouement des masses, pourtant accoutumées à prendre des vessies pour des lanternes, ne saurait être trompeur.


C’est un phénomène de société, comme on le dit un peu vite avant que les sociologues ne s’en emparent pour le décortiquer. Ou un délire collectif ? En tout cas, pas sûr que ça soit flatteur pour ladite société de se reconnaître dans une pochade sans envergure artistique, mais qui rapporte gros.


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