Blade Runner 2049 est un chef-d’oeuvre

par Puzant
lundi 20 novembre 2017

 

Le film n'est pas juste très beau, mais son scénario est d'une profondeur exceptionnelle.

Je suis retourné voir Blade Runner 2049 une seconde fois pour savoir si j'avais vu un chef-d'oeuvre ou juste un bon film. C'est un chef-d'oeuvre. Après avoir été enthousiasmé par mon premier visionnage, certain au sortir de la séance de ne pas avoir perdu mon temps, plein de belles images et des pensées philosophiques qu'un conte SF ne manque jamais de remuer, j'ai pu d'une part chercher sur internet l'ensemble des avis à chaud, et aussi profiter de la redifusion du film original sur arte.

On reconnait unanimement que le film est superbe dans ses visuels. La photo est parfaite, les décors magnifiques. Le film s'affirme comme une suite cohérente du premier opus et pour autant garde son identité propre. Mais l'enthousiasme n'est pas partagé sur le scénario. Le film est long. Certains se seraient ennuyés. On lacherait le personnage dans sa quête et ce defaut ferait déchoir le film au rang de coquille vide. D'autres on beaucoup aimé le film. Ce fut mon cas, mais je voulais être certain qu'il pourrait supporter un second visionnage, en tout cas, j'avais très envie de le revoir. Et j'ai été saisi par sa profondeur plus encore.

Je propose une analyse du film, il est inutile de la lire si vous ne l'avez pas vu, elle vous gâcherait toute surprise. Je propose de partager une analyse avec ceux qui ont vu le film.

Introduction du personnage principal : premier contrepied.

Les trois séquences qui précèdent la révélation du "miracle", introduisent le personnage principal, l'agent K. Il est d'abord au boulot à l'extérieur, il va faire son test en rentrant au commissariat, et ensuite il rentre à la maison où l'attend sa "petite femme", il essaie de la sortir, mais on l'appel en urgence. A l'exception de cet imprévu, qui va démarer l'action du film, c'est une journée de travail normale. Le film prend dès cette introduction une posture périlleuse : le héros ne peut arracher au spectateur que des sentiments mitigés.

D'abord, il fait un sale métier . Le Nexus VIII qu'il exécute emporte vite notre sympathie : d'apparence bourue, on comprend que dans sa vie solitaire, il ne fait de mal à personne. Il a la figure de ces sages retirés, qui après une vie agitée gardent silencieusement des secrets de vie. L'agent K n'est pas du bon côté. Il est la main efficace d'un management du "retirement", le DRH consciencieux. A ce titre, la révélation qui est faite de ce qu'il est un répliquant est plus une excuse, qui nous le rattrape dans notre estime, qu'autre chose.

Il fait bien son métier, mais c'est un sale métier. Nous le savions déjà, ayant vu le premier opus, mais dans celui-ci cette révélation n'arrivait qu'au milieu du film, lorsque Deckard tuait la femme au sepent en lui tirant dans le dos. D'où le ressort dramatique efficace. Harrison Ford avait emporté notre sympathie, en simili Humphrey Bogart, l'histoire sentimentale avec Rachel était déjà installée, et voilà que l'on découvrait la réalité de son travail, d'où un déchirement efficace des sentiments et un enjeux tragique.

Ici c'était le seul choix de scénario possible, parce qu'on ne pouvait plus nous la faire. La plupart des spectateurs sont sensés connaitre le premier film, il valait mieux poser ça dès le début que de nous refaire le même coup. Mais il y a encore peut-être ceci : que dans les années 80, on aurait très difficilement pu associer l'idée de performance au travail du héros, avec celle de résultats moraux négatifs. Aujourd'hui nous savons qu'une quantité de cadres et d'ingénieurs font très bien, un boulot fondamentalement destructeur. Chaque film cadre avec son époque.

L'agent K ne se pose pas beaucoup de questions morales. D'ailleurs c'est un robot et le test qu'il subit au rentré de sa mission nous donne bien l'idée de sa lobotomie : une sorte d'aboutissement du management. Loin d'un héros libre ou diletente nostalgique, c'est un cadre obéissant. Mais l'ambiguïté de notre sentiment pour lui, s'amplifie encore lorsque nous découvrons ce qu'il en est de sa vie sentimentale.

Joy en un sens est l'aboutissement et la concentration de toute la superficialité de la relation spectaculaire. Elle n'est que spectacle, n'étant qu'une projection holographique. Elle est l'aboutissement du spot de pub, qui a réussi à vivre pour lui même et qui suffit maintenant à prendre la place de combler toute l'attente sentimentale d'un homme. Elle est à la fois une vidéo pornographique internet, ou une youtubeuse beauté, femme marketing idéale, zappant de robes, sa jauge de satisfaction augmente visuellement à la réception de son cadeau, le tout nouveau produit qui va lui apporter la liberté, son discours est interompu par des pubs et des notifications. Elle est la fille-smartphone, qui aurait été complètement fagocytée par ce dernier appendice.

La scène du baiser sur le toit est tragi-comique et malaisante, belle comme une pub, et fausse comme elle. Et on a beacoup de mal à s'investire dans K. Est-ce qu'il croit vraiment à son amour avec son hologramme ? On a plutôt pitié de lui. C'est très probablement une des raisons qui font que certains n'ont jamais accroché au film. K est un pauvre type, même s'il est beau gosse, et qu'il a juste envie de vivre sa petite vie tranquille, en faisant son job et en vivant au mieux sa simili vie de couple. Mais ce parti pris pour le héros, par son audace, fait que le film peut prétendre être une oeuvre.

Deuxième contrepied : le mur

Le deuxième contrepied est général au film et concerne une réplique qui vient après la révélation du miracle.

Pour ce dernier la référence au chrisianisme est clair : c'est le miracle de la nativité : ce n'est pas une vierge qui enfante mais une robote. "C'est impossible !" s'exclame-t-on. Et c'est là que le personnage principal commence à se poser des questions : notamment sur son âme puisque sa chef ne lui en reconnait pas.

Mais le contrepied concerne sa tirade qui vient juste avant et qui est mise en exergue dans le trailer : "le monde repose sur un mur de séparation entre deux classes d'être etc..." . Ce qui nous a fait penser en le visionnant que le film aurait pour thèmes cette séparation entre humains et répliquants. Sauf que dans le film on ne fait que s'apercevoir que ce mur, si il a jamais existé, est juste évanouhi ou écroulé déjà jusqu'à la souche, et que déjà, plus personne n'y croit vraiment.

A quel moment, le film pose-t-il ce mur ? Il y a d'abord un figurant qui fait une remarque raciste dans les couloir du commisariat. ça ne paraîtra peut-être pas évident pour tous, mais quand on en est à faire des petites insultes racistes mesquines en passant dans les couloirs, c'est précisement parce que la séparation n'existe plus. La deuxième remarque raciste est d'ailleurs dite par l'expert de la médecine légale, donc supposé d'un niveau intellectuel plus élevé, qui donne le même terme (skinner ?) mais pour le Nexus VIII tué par K. Comme il se rend compte qu'il vient de dire ça alors que K est là, il s'excuse tout de suite. Et puis il y a le petit graffiti sur la porte de son appartement. ça ne va pas plus loin.

Le grand mur de séparation n'est déjà plus revendiqué que comme un petit racisme de bas étage, dont on s'excuse quand on a un minimum d'éducation.

Cette même cheftainne, qui semble dans sa posture hierarchique, quand elle est au travail, très attachée au maintient de cette distinction, après un verre de whisky (qu'elle boit amicalement dans l'appartement du répliquant) avoue oublier la différence, et puis lacherait même une petite tentative pour se serrer Ryan Gossling, même si c'est un robot. Le mur vaut une remarque raciste, il vaut un verre de whisky, il n'est pas bien épais.

Donc on voit bien que le mur n'existe déjà plus et que déjà plus personne n'y croit beauoup. Et nous, comme nous sommes témoins du "miracle", on sait qu'il est désormait sans fondement. Le fin mot est donné un peu plus tard par la réplique de Harrison Ford  : "-Est-ce que c'est un vrai chien ? -J'en sais rien, demande lui !". Et c'est bien où est le niveau du film : on se moque complètement de qui est un robot et qui est un humain, ça n'a plus aucune importance.

Mais la parole de la cheftaine sur le mur n'est pas vaine, car il est bien question de murs dans le film.

Il y a le gigantesque mur barrage, qui semble contenir la montée de la mer. Il y a le mur de classes, themes politique bateau. Car en fait les esclaves sont bien humains : se sont les enfants de l'orphelinat. Ce sont aussi les sous prolétaires de la décharge, vis-à-vis desquels le cyborg K est le représentant de la caste dominante, et il est aidé par les missiles de Luv tombants du ciel.

Mais le mur principal dont le film fait le tableau, il est présentifié par la paroie de verre qui isole la faiseuse de souvenirs (elle n'est pas nommée dans le film). Et c'est le mur qui isole tous les personnages du film. Parce que c'est le principal thème du film : la solitude complète d'absolument tous les personnages. Le Nexus VIII sacrifié au début du film, la faiseuse de souvenir, Harrison Ford à Las Vegas, Wallace dans son délir de toute puissance, K bien sûr avec son amour electronique, sa cheftaine qui cherche "un instant de vérité" en admettant son vide sentimental, Joy si elle existe, prisonnière de sa forme digitale, de son inconsistance, Luv et sa quête de perfection hypernarcissique, les initiateurs de la rebellion qui ont du se séparer pour ne pas être découverts.

Les personnages du film sont tous désespérements séparés et seuls. La main de Harrison Ford sur la vitre, dans la dernière image du film, n'est pas un petit symbole.

Juste après la mission de K, il doit se soumettre au fameux test référenciel. Qu'elle phrase doit-il répéter ? : "Within cells interlinked. Within cells interlinked. Within cells interlinked".

Interrogator : "Do you dream about being interlinked... ?"

K : "Interlinked."

Interrogator : "What's it like to hold your child in your arms ? Interlinked."

K : "Interlinked."

Interrogator : "Do you feel that there's a part of you that's missing ? Interlinked."

K : "Interlinked."

L'homme contemporain est desormais complètement prisonnier de sa cellule individuelle, dans la promesse de "l'interlinkage".

L'agent K

Il manque quelque chose au héros c'est évident, qui ferait sa substance. Comme le thème n'est absolument pas la séparation entre humain et robots, sa condition d'androïde est plus l'image de sa condition sociale : c'est un robot, par sa qualité d'agent efficace du système, produit aboutit d'un management parfait, et son rêve de vie sentimental est comblé par un hologram marketé, dont il trouvera le terme determinant avant de se décider à accomplir sa dernière mission rédemptrice : Joy est l'algorythme qui produit "tout ce que vous avez envie d'entendre, tout ce que vous avez envie de voir".

Mais avant ça il n'apparait jamais comme un héros vraiment bon. Même au milieu de sa quête, quand il est à l'orphelinat par exemple, il traite avec violence le gardien des orphelins, inférieur socialement. Il reste dans l'arrogance de sa position sociale.

Donc si on fait le résumé du film : c'est un personnage pas très sympathique au départ, relativement vide et persuadé lui-même d'être assez vide, qui à un moment donné par dans une quête existentiel où il se met à croire à sa substance, pour se rendre compte à la fin que non, il n'a pas tant de substance que ça. Finallement il arrive à faire quelque chose d'un peu grand en aidant à la réunion des vrais personnages purs et aimables du film. Il occasionne la seule véritable rencontre du film, entre le père et sa fille, et le film s'arrête là, sur cette amorce.

Et le film est vraiment grand d'arriver à montrer cette quête d'un anti-héros, à moitié manquée, mais réussie quand même quand il accepte de s'effacer. La quête de l'humilité pour un personnage arrogant et ressantant son vide.

Il y a deux aventures dans le film. Mais l'aventure des personnages purs, "les apôtres", qui sont ceux qui continuent le premier film, les héros de la véritable épopée, qui sont les témoins et les acteurs du miracle, est une aventure celeste. Nous suivons l'aventure terrestre de K, Joe.

Pour ceux qui n'ont pas compris que Wallace n'interfère pas du tout dans l'aventure de K. K n'est absolument rien pour Wallace, lui veut jouer avec les anges. Wallace est un personnage de l'aventure celleste, même si il y représente le mal. Il apparait dans deux séquences : d'abord fort et ambitieux, rêvant de toute puissance, ensuite fragile puis ridiculisé. Cela suffit. L'équilibre de son personnage est bonne.

Pour l'aventure terrestre, celle de K, elle est cernée par des personnages feminins. Il y a six personnages de femmes autour de K, dont quatre sont explicitement dans une attitude de séduction à son égard. Les deux autres : la chef de la rebellion et la faiseuse de souvenir sont les personnages de l'aventure celleste.

Les quatres autres sont clairement dans une attitude de concurence l'une par rapport à l'autre. De manière amusante, K reste attaché en quelque sorte à la plus vide, qui se trouve n'être peut être que l'expression de sa complaisance envers lui-même. Il reste attaché à son rêve de substance. Joy, la poupée complaisante, le persuade dans sa quête d'existence, et du coup elle se met elle même à vouloir exister.

Luv petite fille modèle n'est avec lui que dans un rapport de domination. Imbue de sa perfection, elle révèle dans la scène où elle tue la cheftainne (elle aura tué deux de ses concurentes vis à vis de K), comment elle est véritablement imprégnée par les grandes visions de son créateur. La manière dont elle est tuée, peut être expliquée comme devant permettre le dernier plan sur son visage sans tâche, innocent et comme effaré par ses grandes visions.

La cheftaine est la seule vrai humaine, avec sa vrai solitude humaine et sa vrai naïveté, puisqu'elle avale le mensonge grossier de son subordonné, quand il lui dit avoir tué l'enfant.

La charnelle ira dans son lit, mais pour le compte d'une autre, Finallement il n'appartiendra qu'au deux femmes de l histoire céleste : la chef de la révolution qui le pousse à l'acte héroïque, et la faiseuse de souvenirs à laquelle il appartient depuis le début puisque c'est elle qui a fait ses souvenirs les plus forts.

Le destin de K se joue donc entre la concurence d'un bouquet de femme alors que de son côté, il s'en fout un peu, des femmes. Il n'a pas l'air enclin, sur ce plan, à abandonner son rêve électronique, et ce qu'il veut surtout, c'est se trouver lui, et pour ça il va chercher son père. K est digne, comme figure de l'homme, d'un héros de western.

K se rêve un véritable destin, tandis qu'il est plutôt baloté entre plusieurs femmes.

conclusion

L'audace et le mérite du film est d'être très peu complaisant avec son personnage principal. On lui permet tout juste une rédemption finale, qu'il gagne en admettant qu'il n'est qu'un quidam, et pas le vrai héros. L'accomplissement prophétique est donné à d'autres, mais il gagne son âme en y participant. C'est un décalage extrêmement original.

Le film est pareillement très peu complaisant avec son temps. Son thème principale est la solitude et le vide des êtres. Bien sûr, notre séparation par moyens électroniques est mise en cause. Pour la scène finale, le vaisseaux s'échoue au pied du gigantesque barrage, dont les plans fascinants de survol ont ponctués le film. C'est le grand mur sur lequel s'échoue notre monde. Et comme nous l'avons dit, le dernier plan du film se coupe au moment de la possibilité d'une vrai rencontre, qui est tout l'enjeux que manquent tous les personnages du film.

C'est parce que cette rencontre est manquée tout au long du film, qu'il laisse à certains égards une impression froide. Mais comme j'espère l'avoir démontré, ce théme est parfaitement tenue dans le scénario, qui s'achève sur la possibilité, finalement, de ce vrai amour.

 


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