Blanche rhapsodie – Mémoire de Théâtre

par Orélien Péréol
samedi 15 juillet 2017

Blanche Rhapsodie - Mémoire de Théâtre, documentaire de création français réalisé Claire Ruppli, avec les témoignages de Guy Bedos, Yann Collette, Marlène Jobert, Dominique Besnehard, Jacques Weber, Michel Aumont, François Morel, Myriam Boyer, Denis Lavant, Marie de Meideros, Irène Jacob, Muriel Mayette Holtz, Abbès Zahmani, Marcel Bozonnet, Georges Banu, Jean-Christian Grinevald et tant d’autres...

DVD disponible.

Le bâtiment vide d'une ancienne école de techniciens et comédiens peut-il être le personnage qui va nous dire ce que fut cette école, ce qu'est le métier ou plutôt les métiers du théâtre ? Le 21 rue Blanche à Paris est un hôtel particulier, construit en 1901, pour l’éditeur de musique Paul Choudens. L'école dite de la rue Blanche (nom administratif : ENSATT ; École Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre) est arrivée là par hasard dans cet hôtel qui avait déjà eu nombre d'affectations, parmi lesquelles la demeure d'un nonce apostolique ! L'école a pris le nom de la rue, hypallage tenace qu'elle a un peu gardée, depuis qu'elle a déménagé à Lyon, en 1997. La bâtisse est restée à l’abandon, telle qu'en son dernier jour, un peu de poussière et de patine en plus.

Si les murs portent beaucoup de mémoire, ils ne savent la dire. Même à bien regarder leur image, à apprécier la beauté de tant de miroirs, de trumeaux, d'escaliers, même à retourner fumer dans le jardin envahi, comme certains faisaient autrefois en cachette, il faut ranimer ces souvenirs par la parole. Le film de Claire Ruppli fait exprimer les fantômes de ces années, des acteurs, des comédiens, de ces artistes qui y sont passés, y ont travaillé soit à former les autres, soit à être formés. Comme elle fait partie de la cohorte, elle se met aussi en scène. Nombre de ces personnes se sont fait brillamment connaître. Ce n'est cependant pas un film nostalgique, non. Il ne s'agit pas de regretter, mais de faire revivre au mieux : c'était le fil conducteur qui a dirigé ces anciens, le retour et le partage des souvenirs... les murs comme une madeleine, non pour la tristesse des bons moments révolus, mais pour la re-création, pour l'élan : nous sommes partis d'ici et voilà comment c'était pour moi. Claire Ruppli ne voulait pas d'archives, que la parole des fantômes heureux d'avoir débuté à l'ENSATT.

Mêler les savoirs, dans un lien collatéral entre les métiers était inscrit dans les buts de l'école. Le conservatoire, comme son nom l'indique, a une visée patrimoniale : permettre que les œuvres du répertoire puissent être jouées et rejouées dans notre monde actuel. L'ENSATT voulait créer autre chose, ouvrir à d'autres choses. C'est une question universelle... Savoir si la Rue Blanche y est parvenu divise. Certains expriment l'existence d'emplois (servantes, jeunes premiers...). Un comédien dit dans le débat qui suivit la projection en Avignon que, n'ayant pas la grâce d'un jeune premier, il donnait la réplique aux Agnès dans le rôle d'Arnolphe. L'ENSATT faisait mieux dans le collatéral comme moyen d'apprentissage que le Conservatoire mais avec des faiblesses et des points de résistance, ce qui, somme toute, est bien normal.

Blanche rhapsodie pose toute sorte de problèmes philosophiques.

L'audition de Yann Collette, cruelle. Eh oui, un acteur joue avec son corps, alors quand le corps est handicapé, que faire ? La prof a voulu que l'apprenti-acteur montre crûment son handicap. C'est un traumatisme, qu'il revisite sans cesse manifestement, et dont il tient à parler avant toute chose.

On trouve les partisans de Stanislavski (le comédien puise dans sa mémoire affective pour se mettre le plus possible dans les états émotionnels de son personnage) et les brechtiens (l'acteur doit faire entendre un texte, faire comprendre une situation... se mettre à distance critique de son personnage pour pouvoir le diriger comme un objet et le porter au public).

Marlène Jobert qui a confiance en la grammaire, dit les besoins d'un acteur, elle se compte parmi les acteurs, qui est un neutre. Merci Madame.

Marcel Bozonnet exprime comme un regret dont il vaudrait mieux se débarrasser, le fait que le théâtre ne touche que les classes moyennes... La ferveur des théâtreux n'étend pas le public, malgré beaucoup d'efforts. Il voit dans l'ENSATT une « institution » ; une création de la République, avec débats, conseil d'administration... contraire au pouvoir royal arbitraire antérieur. Ce n'est pas faux, avec un hiatus impensé : la naissance de l'école, en 1941, signée par Laval laisse une ombre oubliée : en quoi ce type d'école servait l'idéologie de l'État français, ainsi qu'on appelle ce moment très reprochable de notre histoire ? Tout n'est pas dans la naissance.

Mai 68 est présenté de façon quasi-comique... La direction fut incarcérée dans ses locaux... Jean Meyer, le directeur de l'époque, s'enfuit en Suisse, demandant des nouvelles par téléphone chaque jour. La suite de mai 68 apporta tout de même des évolutions heureuses : l'ENSATT avait un statut apparenté aux IUT, et donnait des BTS, diplôme inadapté au monde du spectacle... Le problème fut posé dans la foulée et un nouveau statut permit le rapprochement de l'école et de son but de liens collatéraux.

Il y a une fort sentiment d'appartenance, comme dans les grandes écoles. On cite la date de promotion de celles et ceux qui y sont passés. Plusieurs parlent des relations que l'on s'y fait, les cours oui, mais les amis !... ça compte fort aussi. François Morel raconte qu'un prof l'a envoyé vers Jérôme Deschamps, ce qui lui a plutôt bien réussi.

Deux textes passent au milieu de ces récits autobiographiques... Guy Bedos évoque Prévert et nous fait entendre A l'enterrement d'une feuille morte... il s'en émeut, écrase une larme, souffle de se voir en cette misère et sort du champ, dépassé par lui-même... Merci Monsieur Bedos, merci Claire Ruppli d'avoir laissé ce moment.

Blanche Rhapsodie est un film d'acteur sur les acteurs, ils sont venus parler de la pépinière où ils grandirent, avec leur cabotinage existentiel, leur narcissisme généreux, leur indispensable présence, âme de tout spectacle.

Guy Bedos _ photo Claire Ruppli

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