Borat

par arnaudt
lundi 27 novembre 2006

Voilà, j’ai donc vu le film, et j’avoue avoir du mal à comprendre les publicités affichées partout dans nos villes, "le film le plus drôle de l’année", "précipitez-vous" ou, pire, car venant du chef des Nuls, "à se pisser de rire".

Non seulement on ne rit pas, je n’ai pas ri, mais le film est extrêmement malsain.

Enfin si, "on rit", comme "on" peut rire de Michael Youn ou de Jackass.
Ce qui n’est pas mon cas.

Sauf que là, en plus, si je puis dire, il y a message politique.
Et il y a beaucoup à dire.On a parlé de racisme. L’accusation est forte.

Si racisme il y a, ce n’est pas contre le Kazakhstan, ridiculisé en pastiche ; ni contre les juifs, antisémitisme de pacotille, si tant est qu’on puisse accoler ces termes, en tout cas parodique.
Non, s’il y a racisme, si le film met constamment mal à l’aise -et c’est pour cette raison qu’on ne peut pas en rire-, s’il laisse un sale goût amer dans la bouche, une impression de mal être en sortant de la projection, c’est pour cause de racisme antiaméricain.

Il y a là une façon de se moquer du peuple américain, dans presque toutes ses composantes, profondément pénible.

On me dira qu’il appuie là où ça fait mal, que c’est une critique.
Oui, mais non, car il y a un côté outsider dans la charge de Sacha Baron Cohen, comique juif anglais, un côté vu de l’extérieur par quelqu’un qui n’en est pas qui dérange profondément.

Je dis comique juif anglais comme je parlerais de l’humour juif new-yorkais de Woody Allen, ou de l’humour juif de Billy Wilder et des grands noms de la comédie américaine, pour décrypter l’oeuvre dont on parle (et à laquelle je fais trop d’honneur par ce terme).

Si l’antisémitisme du film a l’air de façade, c’est parce qu’on sait que Baron-Cohen est juif.
Si son attaque de l’Amérique laisse un goût désagréable, c’est qu’on sait, qu’on voit qu’il n’est pas américain, non pas à cause de son masque de journaliste kazakh, mais parce que le film le laisse voir.

On n’est pas chez Michael Moore, qui appuie là où ça fait mal dans la société américaine, qui dénonce, qui attaque, mais dans un grand cri d’amour de l’Amérique, son pays.
Rien de tel chez Baron-Cohen.

Pour connaître un peu l’Amérique et les Américains, je sais deux choses :
- leur immense gentillesse mâtinée de naïveté
- leur tout aussi immense méconnaissance du monde qui les entoure
(et une troisième : leur immense fierté d’être Américains)

Il n’est donc guère difficile de se faire passer pour un journaliste du Kazakhstan (il aurait pu tout aussi bien inventer un pays fictif, puisque les Américains n’ont pas la moindre idée des autres pays, des autres façons de vivre, des coutumes, des niveaux de développement, et sans trop forcer le trait, n’importe qui de n’importe où pourrait faire croire que son pays vit encore à l’âge de pierre) et de duper, d’abuser le monde.

Le second point assez désagréable de ce film, après le côté outsider, c’est cette duperie, cet abus, le viol de ces braves gens qui lui font confiance, lui ouvrent leurs portes, lui accordent des entretiens de bonne foi, etc.

Ce n’est pas une caméra cachée, c’est presque pire, apparemment presque tout est réel, et les gens sont abusés de bonne foi. Ce qu’on voit n’est pas bidonné.

Et que voit-on ?

- Des féministes new-yorkaises lui accordent une interview (pensant participer à un documentaire sur les femmes dans le tiers-monde) et il leur renvoie à la figure que les femmes ont un plus petit cerveau, qu’elles ne peuvent être les égales des hommes, et finit par en traiter une de "pussycart", ce qui met fin à l’entretien. (un extrait)

- Il casse un magasin de souvenirs sudistes (ouh, le message...).

- Dans un rodéo à Salem, Virginie, il prétend chanter l’hymne américain avec les paroles de l’hymne kazakh, qui grosso modo dit que "le Kazakhstan est le plus beau pays du monde et [que] les autres sont des tapettes", ce qui ne manque pas de révolter une foule houleuse.
Non sans avoir d’abord faire dire face à la caméra à l’organisateur du rodéo que "si on pouvait on pendrait les homos ici aussi", ou avoir fait applaudir : "J’espère que Bush boira le sang de chaque femme et chaque enfant en Irak".

Super drôle jusqu’’à maintenant, non ?

- Toujours dans le Sud des Etats-Unis (c’est tellement plus simple de s’attaquer à eux), reçu par la belle société d’Alabama dans une plantation de 1875, il ne manque pas d’insulter les uns, ou de revenir des toilettes avec sa grosse commission dans une serviette, prétendant ne pas connaître l’usage de la chasse d’eau.
Ben allons !

Je passe quelques autres séquences, où il fait l’idiot dans une station -très- locale de télévision, où il prétend apprendre à conduire et chercher "l’aimant à minettes" sur le capot, où il se fait prendre en stop par des étudiants gros abrutis locaux...
Je passe aussi quelques séances à poil, de catch, de poursuite, de sexe en gros plan, très Michael Youn (à l’humour si fin, si délicat), et j’ai résumé le film.

Qu’est-ce qu’on a rigolé !

A défaut d’être drôle, ça pourrait effectivement être une charge féroce, comme on dit, contre l’Amérique, son degré d’abrutissement, sa méconnaissance du monde, voire (allons-y gaiement) contre un système mercantile et ultralibéral abrutissant, contre une absence de culture, de mémoire, d’ouverture vers l’autre, etc., si, encore une fois, on sentait derrière cette charge un amour pour ce pays, une volonté d’avancer, pour que le film serve à quelque chose.
On ne le ressent pas, je ne l’ai pas ressenti, je ne suis même pas du tout sûr que ça y soit.

Les rires, chez nous, dans la salle, sont gras et ajoutent au malaise.
Les rires, aux US, me laissent pantois, sauf à être nordiste, extrêmement critique de son pays, ou à se croire supérieur aux gens dépeints dans le film, (ou à être débile).
Bref, du "rire de mauvaise qualité", comme disait Bedos en chute d’un ancien sketch où il lisait le Bottin, et ne tombait que sur des noms à consonance arabe.


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