Boxing shadows

par Orélien Péréol
lundi 7 septembre 2020

De Timothy Daly
Mise en scène Isabelle Starkier
Avec Roland Timsit, Clara Starkier et Lila Maski Création

L’intrigue est dans une drôle de rencontre : un homme, libraire, se fait voler son portefeuille dans le métro par une jeune femme. Il la rattrape, reprend son bien, ne pose pas plainte, ils font connaissance, tout dissemblables qu’ils soient. Ils sont voisins et se revoient.

Elle s’appelle Ariane, elle est désabusée, raciste, sans foi ni loi (modérément, ce n’est pas une grande délinquante), sans papiers, sans revenus… immorale, elle ne pense qu’une chose à propos de son métier de pickpocket : ne pas se faire prendre. Raymond est casé dans la vie, au sens propre : une petite place, libraire, ancien boxeur, il vit l’ordinaire de la vie, frustration d’abord et surtout, nostalgie, sans colère ni révolte.

Il va prendre à cœur un rôle de guide, de père… Il va faire resurgir ses souvenirs pour la conduire sur son terrain à lui : le ring. Le dispositif scénique est une figuration de ring, stylisé, qui se bâtit dans l’action. Le shadow-boxing, en anglais est la boxe « dans le vide », à l'entraînement... « Boxing shadows » inverse la proposition :

Deux ombres, deux cabossés de la vie vont se boxer pour entrainer Ariane, pour s’entraider, s’entraimer, pour reprendre pied, refaire projets, projets communs, modérément communs… C’est une relation humaine bienveillante, paternelle, la transmission se noue autour d’un combat improbable, arrangé, dont elle n’est pas dupe, un combat grandiose et surhumain contre elle-même. Ariane ne connait pas la mythologie grecque, Raymond la lui apprend.

Ariane est malade. Elle a la maladie de Parkinson. On voit que Raymond essaie de lui donner quelques derniers éclats, quelques dernières joies, par une maitrise de ses gestes, de son corps.
Isabelle Starkier a monté quatre textes de l’auteur Timothy Daly, toujours avec cette modestie qui est l’efficace de la mise en scène, quasi invisible : l’art n’est-il pas l’art de faire oublier l’art ? Ses deux comédiens sont parfaits.

Clara Starkier, en Ariane, nous laisse voir la rancœur de cette jeune femme, en lutte contre elle-même, en lutte contre une dureté de la vie trop grande pour elle. Elle arrive à nous faire accepter des propos racistes, à nous faire comprendre ce qui l’amène à cette vision des autres, de certains autres. A notre époque qui traque le moindre faux pas qui pourrait blesser la sensibilité de quelqu’un ou d’un groupe (de certains groupes), à notre époque où on ne peut plus lire « les dix petits nègres » (! ?) c’est une sorte de prodige. Le texte, qui permet l’expression de ce talent, est d’une grande finesse, assurément.
Roland Timsit est un Raymond, apparemment posé, aimable, urbain, d’une grande justesse dans son rôle et la transformation du personnage qu’il vit par la rencontre avec la jeune femme. Sa vie modeste, minuscule, prend du sens, qui canalise l’écorchée dans une compétition, organisée, codée, cathartique comme le théâtre. Il est le moteur discret de leur évolution personnelle, à tous deux.

Le rapport entre les deux personnages est tendre, souvent tendu, parfois drôle, toujours vif-argent.

Une chanteuse lyrique, Lila Maski, est là aussi, comme un chœur. Un peu hors scène,
elle vient interpréter des mélopées tristes, comme une plainte magnifique, une exaltation du mal de vivre. A la fin, elle se métamorphosera et prendra un rôle dramaturgique, avant un dernier chant remarquable.

 

Joué en plein air, sans les lumières électriques et changeantes qui sont devenus un artifice du théâtre si important, Boxing Shadows est un spectacle qui honore deux héros sans grandeur héroïque, mais qui tâchent de sublimer leur vie dans un contexte malheureux et y parviennent. Un moment de bonne fortune dans le gris du temps.


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