Cactus, Santal et Bananiers

par Surya
lundi 21 juin 2010

Après cinq longues années passées à se refaire une beauté, les serres du Jardin des Plantes de Paris ont rouvert leurs portes au public le 2 juin 2010. Quatre serres pédagogiques entièrement rénovées, au décor revisité et à la muséographie savamment étudiée, qui présentent chacune un écosystème particulier. Quoi de mieux qu’un temps maussade et orageux pour effectuer la visite de ces monuments, classés depuis 1964, véritables cathédrales de métal et de verre abritant quelques uns des plus précieux trésors de la biodiversité ?

Il semblerait qu’une météo fortement pluvieuse soit en effet l’idéal pour apprécier pleinement une promenade dans les divers bâtiments du Muséum National d’Histoire Naturelle. Jadis, une visite sous une pluie battante de la Grande Galerie de l’Evolution, immense espace couvert par une verrière où sont présentées mille et une espèces animales naturalisées, espèces actuelles, menacées ou déjà disparues, avait donné le sentiment de s’être réfugiée au cœur de l’Arche de Noé au plus fort du déluge. Tandis que les trombes s’abattaient avec fracas sur la grande verrière, les représentants de chaque espèce semblaient attendre calmement, en silence, l’éclaircie prochaine annonçant la fin du voyage.

Un coup de tonnerre retentissant salue l’entrée des nombreux visiteurs dans la première serre, la plus grande, qui présente la forêt tropicale. A la fraicheur de l’extérieur succède alors une agréable chaleur un peu moite. On est tout de suite dépaysé. On cesse de frissonner, les parapluies se ferment et s’égouttent lentement sur le sol de terre revêtu d’un sentier de lattes de bois, qui serpente de part et d’autre de cette véritable petite forêt reconstituée. Des espèces végétales poussant aux quatre coins du globe y sont regroupées.

S’y côtoient en effet des Bananiers, des Vanilliers, des Cacaoyers, Poivriers, Caféiers, Acajous, des Lianes, des Palmiers… et bien d’autres espèces exotiques naturellement inconnues sous nos latitudes tempérées. On se sent tout petit quand on lève les yeux vers le dôme de verre, et devant ces majestueux Bananiers qui s’élancent vers le ciel en déployant librement leurs larges feuilles vert tendre. Lorsqu’on baisse à nouveau le regard, on fait la connaissance de plantes poussant dans les sous bois ou au raz du sol, là où la luminosité est la plus faible dans leur milieu naturel.

C’est à ce niveau que l’on peut admirer, lorsqu’elles sont écloses, de belles fleurs colorées, telles ces fleurs oranges et blanches de Syzygium Cumini, un arbuste poussant dans les régions d’Asie ou d’Australie tropicale.

En tendant l’oreille, on perçoit le chant d’un oiseau. S’agit-il d’un enregistrement ou vit-il réellement à l’intérieur de la serre ? Aucune importance, car ici l’imagination aussi se laisse transporter et participe à la visite. La magie agit. L’esprit respire pleinement le parfum de Bois de Rose, de Tiaré, d’Ylang Ylang, de Vanille et de Patchouli. Un petit pont de bois enjambe une rivière, un bassin semble abriter des dizaines de poissons multicolores.

Au fond de la serre se dresse un rocher géant, recouvert d’une espèce de Philodendron. On y entre, on traverse une grotte intérieure, puis des escaliers mènent à deux niveaux d’observation. Une fois au sommet, le visiteur peut admirer le panorama de verdure. On se croirait presque dans le radeau des cimes, délicatement posé sur la canopée d’une forêt luxuriante.

Avant de passer dans la serre de Nouvelle Calédonie dont l’accès se fait uniquement par le haut du rocher, il ne faut pas oublier de visiter celle des milieux arides, longue galerie accolée à l’aile gauche de la serre tropicale, deux espaces attenants mais évoquant des climats complètement antinomiques.

Dans la serre des milieux arides sont présentées, en alignement le long du couloir, des espèces vivant dans les régions désertiques de la planète. C’est ici que l’on peut admirer, par exemple, des Cactus de toutes formes ou des Agaves mexicains. Les stratégies mises en œuvre par ces plantes, nées sous les climats les plus extrêmes, pour récupérer l’eau, la stocker et empêcher son évaporation sont étonnantes, voire carrément intelligentes. Les plantes dites « grasses », plus savamment nommées plantes « succulentes », non en raison du goût qu’elles pourraient avoir mais du latin « succus » signifiant sève, contiennent par exemple dans leurs feuilles, leurs tiges ou leurs racines des réserves accumulées lors des rares pluies, qu’elles conservent précieusement puis utilisent ensuite avec parcimonie durant l’interminable sècheresse. On ne peut qu’être émerveillés par cette incroyable capacité d’adaptation et impressionnés par cette lutte incessante et acharnée pour la survie.

Nous voici maintenant arrivés en Nouvelle Calédonie. L’intérêt de consacrer une serre entière à la végétation de ce superbe pays, que défigure malheureusement l’industrie du nickel, est que la biodiversité y est exceptionnelle, notamment en raison du nombre élevé d’espèces endémiques (76% des espèces présentes sur le territoire calédonien le sont !). Une présentation du pays et, provenant de l’Ile des Pins, quelques jolis poteaux sculptés selon la tradition accueillent le visiteur dans le sas d’entrée. A l’intérieur de la serre elle-même, il fait assez chaud. Cinq milieux typiquement calédoniens y sont présentés : la forêt humide (existant surtout à l’intérieur des terres, et sur la côte est), la forêt sèche (très gravement menacée puisqu’elle ne représente plus qu’un pourcent seulement de sa superficie initiale), le maquis minier (présent surtout dans le sud de l’ile, et dans lequel poussent certaines plantes capables de détoxifier le sol), la savane, et la mangrove (présente sur la bande côtière de l’ouest de l’ile).

On y admire par exemple l’Araucaria Rulei, le Santal, ou des plantes aux noms aussi historiquement évocateurs que la Captaincookia, un arbre très rare nommé ainsi en hommage au célèbre Capitaine James Cook, grand explorateur du Pacifique Sud, qui baptisa en 1770 une baie australienne du nom de Botany Bay en raison de la richesse botanique de la région, et découvrit ensuite la Nouvelle Calédonie en 1774 avant de connaître en 1779 une fin tragique sur l’Ile Sandwich. Rien d’étonnant à ce que la Nouvelle Calédonie recèle tant d’espèces endémiques : l’ile s’est détachée de l’ancien Gondwana il y a 70 millions d’années, emportant dans sa lente dérive et isolant du reste du monde de nombreuses espèces qui, de ce fait, n’existèrent plus ailleurs. On retiendra de la visite de cette serre l’extrême fragilité de la biodiversité en Nouvelle Calédonie, préoccupation qui, espérons le, devrait retenir encore plus l’attention des scientifiques et du public durant cette Année 2010 de la Biodiversité

Le vent chasse lentement les nuages menaçants, et un timide soleil a refait son apparition dans le ciel. C’est le moment de ressortir dans le jardin pour rejoindre, de l’autre côté de l’allée, la dernière serre, celle consacrée à l’histoire des plantes et de leur évolution, depuis la sortie des eaux jusqu’à l’apparition des premières fleurs. Elle était autrefois fermée au public. On y voit de nombreuses fougères. C’est ici que l’on se familiarisera avec des termes scientifiques aussi barbares pour le profane absolu que « Lycophytes », « Embryophytes », « Sphénophytes » et autres « Archaeopteris », désignant des espèces primitives ou des familles de végétaux typiques des premières forêts de l’histoire de notre planète.

C’est également ici que l’on sera stupéfié devant d’impressionnants troncs fossilisés, tels ce tronc de couleur sombre de Sigillaire, un arbre de la famille des Lycophytes, ou devant un cône fossilisé de Pytiostrobus Oblongus datant du Crétacé (95 millions d’années), et que l’on apprendra par la même occasion que les conifères, dont l’apparition sur Terre résulte de l’assèchement général du climat, sont les premières plantes ayant porté des graines.

Ainsi s’achève cette passionnante découverte des nouvelles serres du Muséum National d’Histoire Naturelle. Les visiteurs ressortent sous un beau soleil dans le Jardin des Plantes, dans lequel on peut admirer bien d’autres espèces botaniques, où d’autres bâtiments scientifiques, tels la galerie de paléontologie ou celle de minéralogie (1), attendant impatiemment qu’on leur fasse l’honneur d’une prochaine visite.

 

Serres pédagogiques, muséographie étudiée.

Les quatre serres ont une vocation pédagogique marquée. Le parcours est présenté de façon chronologique dans la serre de l’histoire des plantes. De nombreux livrets explicatifs faits de plastique rigide, accessibles aux petits comme aux grands, jalonnent les différents parcours afin de permettre d’approfondir ses connaissances. C’est ainsi que dans la grande serre des forêts tropicales, plusieurs pages enseignent les différents modes de propagation des graines sur le sol, qui permettent la reproduction des espèces. Une fois lus les textes de ce livret, zoochorie, anémochorie, barochorie ou hydrochorie n’ont plus de secrets pour le visiteur. (2) Les plantes portent des étiquettes mentionnant leur nom latin. On trouve aussi tout au long de la visite des reproductions en matériaux synthétiques de cabosses de cacao, ou du fruit du fromager d’où est extraite la fibre de kapok… mais également des « boîtes à sons » et des récipients d’où émanent, lorsqu’on soulève leur petit couvercle, des senteurs typiques. Tout est fait pour que les sens soient pleinement en éveil.


De métal et de verre…

L’histoire des serres du Jardin des plantes est marquée par les différentes constructions, rénovations, destructions et reconstructions. La toute première serre fut érigée en 1714 par Sébastien Vaillant. Il s’agissait à l’époque de conserver les échantillons botaniques que les explorateurs rapportaient de leurs expéditions. C’est ainsi qu’y fut conservé un pied de caféier offert à Louis XIV. Jusqu’au début du 19ème siècle, les serres, dont celle du célèbre Buffon en 1788, furent bâties en bois et verre. Les premiers prototypes au monde de serres en métal et verre de très grande dimension, ceux de l’architecte Charles Rohault de Fleury, furent construits ici, au Jardin des Plantes de Paris, entre 1834 et 1836. Elles sont devenues aujourd’hui la serre de Nouvelle Calédonie et celle de l’histoire des plantes.

Les premières restaurations eurent lieu en 1874 après les bombardements allemands de 1871. Puis d’autres bâtiments virent le jour au fil du temps. Un jardin d’hiver fut bâti entre 1881 et 1889, puis démoli en 1932, et reconstruit entre 1935 et 1936 par René Berger dans le style Art Déco. Ce deuxième jardin d’hiver est désormais l’actuelle serre des forêts tropicales.

A partir du troisième tiers du vingtième siècle, plusieurs campagnes de restauration ont été menées. La première en 1980, puis entre 1995 et 1997, en 1999, et finalement la grande rénovation totale des serres, chantier titanesque qui a débuté en 2005 et s’est donc achevé le 2 juin 2010 lorsque les serres ont été rouvertes au public.


Se refaire une beauté…

Bien qu’autrefois rénovées à plusieurs reprises, les serres, de part la nature de leurs matériaux de construction, avaient souffert de l’humidité, du temps qu’il fait, et du temps qui passe. Il fallait les remettre entièrement à neuf, tout en respectant les normes imposées par leur classement aux monuments historiques, mais aussi en leur conservant leur aspect d’origine. L’actuelle serre des milieux arides a été entièrement démontée, restaurée dans un atelier, puis remontée. Certains végétaux, tels les palmiers ou les bananiers de la serre des forêts tropicales, n’étaient pas transportables durant les travaux. Le grand défi a donc consisté à continuer de leur garantir les mêmes conditions de conservation, ne pas leur faire subir les rigueurs du climat extérieur tandis que l’on changeait le système de chauffage, et que l’on démontait et remplaçait les vitres de la structure. Une paroi provisoire en plastique a donc été posée, et un système de chauffage, également provisoire, a dû être mis en place. Le système de chauffage définitif choisi est écologique. Il consiste à utiliser la vapeur d’eau produite par l’incinération des déchets ménagers de la région parisienne.

Ce travail colossal et son magnifique résultat sont les fruits de la coopération entre les scientifiques, architectes, jardiniers, pédagogues, scénographes… partenaires divers, sans oublier bien sûr la Nouvelle Calédonie (notamment la Maison de la Nouvelle Calédonie à Paris) pour la mise en œuvre de la serre qui lui est consacrée.


Informations pratiques.

 

 


Notes.


(1) La galerie de minéralogie est fermée jusqu’en juillet 2010 pour travaux de rénovation.

(2) Zoochorie = mode principal de dispersion en forêt tropicale humide. Les animaux mangent les fruits, les graines ingérées sont rejetées après la digestion et germent là où elles se trouvent.

 

Barochorie = Les fruits contenant les graines tombent par terre sous l’effet de leur propre poids. Les graines peuvent donc germer au pied de l’arbre, ou être transportées ensuite un peu plus loin.

Anémochorie = là, c’est le vent qui disperse les fruits ou les graines.

Hydrochorie = Des graines (de faible densité et imperméables) tombent dans une rivière et le courant les emporte jusqu’à leur lieu de germination.


Source de la photo de la serre.


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