Charlotte, vingt ans et 5:55 plus tard

par LM
mardi 29 août 2006

Longtemps hésitante face aux mots et aux musiques du père, Charlotte Gainsbourg a finalement renoué avec la chanson sur un disque élégant, sombre et juste. De Serge l’étoile brille dans ce petit matin.

Pourquoi 5:55 ? Qu’est-ce qui vit à une heure si matinale, qui se réveille, ces trois chiffres sur le cadran rouge ? Qui bouge avant même que sept heures ne tremblent ? Pourquoi 5:55 ? C’est comme ce film, là, Amythiville, les habitants de la maudite maison qui se réveille toutes les nuits à la même heure, qui se révèle être celle du crime... 5:55, rappelez-moi de ne pas programmer mon réveil à cette heure. Indue.

Il y a dans l’album de Charlotte Gainsbourg des remugles facilement reconnaissables, de ces madeleines même pas dissimulées d’initiales par ci, de je suis venu te dire par là, il y a dans cet album l’empreinte de ce père dont la jeune femme parle avec autant de pudeur qu’elle met de douceur dans sa voix...

Il y a dans les paroles de Jarvis Cocker ou de Neil Hannon cette clarté qu’on prête aux aubes, dont on soupçonne les petits matins, ceux d’avant le jour, ceux d’avant le matin quand ça ne sert à rien.

D’être réveillé.

Il y a sur la photographie de la pochette l’élégance de se dissimuler et la volonté de ne rien laisser voir, le noir, ce nom en haut à gauche, plus petit qu’un autre, plus grand que beaucoup, ce nom de Melody

Gainsbourg

Charlotte.

Celle qui « faisait ses devoirs », comme le disait le papa sur un de ses lives magiques. Il y a dans l’heure inscrite, l’heure dite Comme une messe 5:55, comme un verset. Il y a la précision d’un grand horloger, méticuleux, adroit et roublard, le père (encore) et son ombre supportée, Mais assumée aussi, assumée enfin.

Pourquoi 5:55 ? Tous les journaux dégoisent sur le retour de la « fille de », mais la fille de qui, en fait ? La femme d’un acteur aussi, qui sait bien que sa femme est une actrice, sait jouer à faire semblant. Ces faux semblants que Charlotte gomme sur les onze titres du 5:55. Du 4.51 pour commencer, du 3:06 pour finir, un 3:07 au milieu, ou pas loin. Des chiffres, des durées, un emplacement, un lieu, une situation, un repère. Quelques balises, quelques éléments pour ne plus s’affoler du fantôme du père.

Quel père !

Charlotte Gainsbourg est revenue à la chanson vingt ans après, vingt ans après que personne ne lui avait demandé de chanter, sauf son père, vingt ans après beaucoup la pressaient.

Beaucoup l’obligeaient à revoir sa position, à mesurer l’opportunité.

Du coup Charlotte chante, à nouveau, Charlotte parle, c’est nouveau, de son père, comment il était, leurs joies ensemble, leurs bonheurs partagés, comment il vécut, comment il est mort, sa souffrance à elle. Son Yvan qui la ramasse « à la petite cuiller ». Charlotte parle, Charlotte chante. Comme rarement. Comme jamais.

On ne sait pas si on écoutera ce disque cent fois, deux cents,

555 fois.

On sait, en tout cas, qu’on ne fera rien d’autre que l’écouter. Tout autre bruit nous empêcherait d’entendre la voix, plus chuchotée que poussée, plus effleurée que mouchetée. Moins perchée que celle de Jane, moins irritante.

Il y a dans le livret des mains, et puis un regard, un regard, des yeux, qui ne semblent pas quitter cette jeunesse que Serge avait si bien réussie, cette jeunesse qui n’en finit plus de ne pas vieillir.

Cette mélodie timide.

Charlotte Gainsbourg.

Une belle allure, une tête bien pleine, la lucidité de penser que chanter en français après Gainsbourg est une hérésie (en effet).

Le talent de ne pas se laisser happer par les Obispo (de lapin) ou les Mickey 3D (mago), du chiotte biz français.

Charlotte Gainsbourg n’est pas Indochine. On aurait bien aimé, peut-être, qu’elle se frotte à Biolay, et réciproquement.

Mais celui-ci singe parfois trop le père pour que Charlotte adhère.

Aucune faute de goût, donc, 5:55 ne sidère pas mais séduit.

Ne scotche pas mais émeut.

Ne renverse pas mais emballe.

De quoi dormir (à 5:55) sur nos deux oreilles.

Convaincues.


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