Chouette, Marjane ne se prend pas les pieds dans le... Satrapi !

par Vincent Delaury
lundi 13 août 2007

Alors, bien sûr, comme moult personnes, j’avais beaucoup aimé la BD en quatre tomes Persepolis de Marjane Satrapi (dans le prolongement, d’ailleurs, d’un véritable chef-d’œuvre de la littérature graphique, Maus d’Art Spiegelman, façon la petite histoire qui vient rejoindre la grande Histoire) et je craignais donc sa transposition au cinéma. Fort heureusement, notre mélancolico-frondeuse Marjane ne se prend pas les pieds dans le Satrapi, ouf !

Bien sûr, on pourrait s’étendre ici sur la simplicité du trait (graphisme très stylisé au crayon noir et à l’encre de Chine, théâtre d’ombres chinoises, dégradés somptueux de noir & blanc...) qui vient épouser la pudeur du propos évitant ainsi la pompe lacrymale ou encore parler longuement de l’ancrage de l’Histoire dans la bio (la révolution islamique en Iran, la chute du chah, l’Iran de Khomeyni et des islamistes, la guerre Iran-Irak, l’exil) mais, ce qui m’a le plus intéressé dans ce récit patchwork, c’est justement l’autofiction, le côté autobio-filmique de l’affaire qui évite le gros truc pédagogo style la République des Mollahs expliquée aux petits de 7 à 77 ans. Tintin ! Ici, c’est en partant de l’ultra-local (la petite histoire) et notamment des affres de sa vie d’ado work in progress que Satrapi atteint l’universel. Marjane ne se la joue pas historienne ou sociologue, elle ne se fait pas passer pour une « enfant de guerre », d’ailleurs il y a un passage magnifique dans le film lorsqu’elle recroise le pauvre Kia, amputé lors de la guerre contre Saddam Hussein, et qui sait rire de son propre sort. Séquence émotion qui remet les pendules à l’heure. Elle sait se faire humble grâce à la subjectivité de son regard se focalisant sur des détails en apparence insignifiants pour ainsi éviter les généralités et les stigmatisations qui feraient de son film un pensum lourdingue. Alors oui, parfois, la sauce humaniste est un peu lourde et répétitive (voix off) mais, heureusement, il y a un humour féroce (notamment scato !) qui vient constamment désamorcer l’émotion brute.

Dans cette histoire de bulles persanes éclatées plein écran perçant, c’est justement son côté saynètes assumées (souci des détails) qui m’a touché, car tout le monde peut s’y reconnaître. Par exemple, comment ne pas kiffer sur sa grand-mère et ses conseils pour préserver ses nichons (« 10 minutes chacun dans un bol d’eau glacée ») ou pour sentir bon (« Je cueille des fleurs de jasmin, chaque matin, que je glisse dans mon soutien-gorge ») ?! J’ai kiffé aussi sur un monde vu à 8 (Téhéran 1978) ou 10 ans et... plus si affinités. Un monde d’une Zazie aux 400 coups où l’on croise pêle-mêle Karl Marx, Dieu, Rocky, Godzilla, l’inspecteur Derrick, Terminator, Bruce Lee, les Bee Gees, Pink Floyd et même des « Iron Maiden » ou des « Michael Jackson » vendus par des dealers sous le manteau comme étant de la came pop hautement subversive ! Dans ce monde fou, triste et drôle, à la fois personnel et ô combien universel, on croise aussi, à côté des diktats locaux et de son cortège d’horreurs (le racisme, le foulard imposé, le mensonge, la peur, la guerre, la torture), les premières amours et les rébellions ados de Marjane, puis des punks nihilistes - limite ridicules occidentaux - se sursaturant l’ouïe avec du punk à donf (!),des fêtes épicuriennes gâchées par des barbus intégristes ou encore des bouteilles d’alcool vidées rapido dans les chiottes. Grandeur et misère de l’existence.

Ouais, dans ce vrai film de cinéma, on y croise la vie dans sa célébration et dans sa lâcheté ("l’humain trop humain", donc), et l’on s’aperçoit aussi que c’est souvent dans ses plaisirs minuscules, voire anodins (la poésie du quotidien transcendé par l’imagination, le souvenir et les mythologies personnelles), que la vie prend tout son sel. Bref, qu’il est bon de manger à la table festival de Vincent (Paronnaud) et de Marjane qui nous rappellent, non sans douleur, que l’humour est certainement une des meilleures façons de supporter la cruauté de la vie, bravo à eux !


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