Cinéma : « Le mystère Henri Pick »
par Fergus
mercredi 6 mars 2019
Aujourd’hui sort sur les écrans le nouveau film du réalisateur Rémi Bezançon : Le mystère Henri Pick. Une sorte de polar littéraire dans lequel Fabrice Luchini passe du rôle de Michel Polac à celui de Sherlock Holmes. Au cœur de cette enquête en pays breton une question obsessionnelle : un modeste pizzaïolo finistérien peut-il avoir écrit le chef d’œuvre posthume découvert à l’état de manuscrit sur un rayonnage de bibliothèque ?
Le mystère Henri Pick était jusque-là le titre d’un roman éponyme de David Foenkinos dont l’écrivain a accepté l’adaptation au cinéma par le réalisateur Rémi Bezançon. Pour mémoire, rappelons que ce cinéaste avait, il y a quelques années, mis en scène l’excellent film Le premier jour du reste de ta vie qui avait valu à Jacques Gamblin le César du meilleur acteur. Dans cette adaptation du roman de David Foenkinos pour le cinéma, Rémi Bezançon – en collaboration avec Vanessa Portal – a délaissé la structure « chorale » du livre pour se concentrer de manière linéaire sur l’essentiel : l’enquête sur la paternité de ce mystérieux roman de pizzaïolo aux allures de « MacGuffin* », autrement dit d’objet prétexte à bâtir une histoire.
Au cœur de cette œuvre singulière, la découverte par une jeune éditrice junior de la maison d’édition Grasset d’un manuscrit génial dans un local insolite et peu fréquenté de la bibliothèque municipale de Crozon. Et pour cause : ce manuscrit, signé Henri Pick, a été déposé sur un rayonnage de la « salle des refusés** » parmi des centaines d’autres romans ou essais dédaignés par les maisons d’édition. Renseignement pris par la jeune éditrice auprès de la gestionnaire de la bibliothèque, ce magnifique roman, digne des plus grands auteurs contemporains, a été écrit par un pizzaïolo de Crozon décédé deux ans plus tôt et enterré dans le cimetière local.
Le roman, publié par Grasset sous la responsabilité de la jeune éditrice qui l’a déniché à Crozon, bénéficie d’emblée d’un succès que booste l’énigmatique personnalité de l’auteur : un pizzaïolo dont nul n’a jamais entendu dire qu’il ait eu un quelconque penchant pour la littérature. C’est d’ailleurs ce que confirme la veuve d’Henri Pick, invitée sur le plateau d’un célèbre critique littéraire et animateur de télévision (sorte de mix de Bernard Pivot et Michel Polac) : cette brave femme n’a jamais vu son mari ni lire ni écrire, exception faite de « sa liste de courses » ! Mais elle ne doute pas un instant qu’il ait pu, à ses heures perdues, rédiger ce chef d’œuvre dans la remise de la pizzéria où il disposait d’une petite table et d’une chaise.
Y a-t-il eu supercherie ? Et si oui, qui peut être le véritable auteur de ce magnifique roman d’amour imprégné de références à la culture russe, et plus particulièrement à Pouchkine, dont le pizzaïolo semblait a priori aussi éloigné que peut l’être un marin-pêcheur du Guilvinec des chants séfarades arabo-andalous. Poussé par un besoin obsessionnel de découvrir la vérité, notre critique littéraire endosse l’habit du détective, aidé dans son enquête par la propre fille d’Henri Pick, une femme cultivée, elle-même très dubitative…
Entre Paris et la presqu’île de Crozon, Rémi Bezançon nous livre un film de très bonne facture, traité sans fausse note sur le ton de la comédie. Et le contexte littéraire ne pouvait évidemment que séduire Fabrice Luchini, cet amoureux des belles lettres ravi de se glisser le temps d’un film dans un rôle taillé pour lui sur mesure. Quant à Camille Cottin, révélée au grand public par la savoureuse série télévisée 10 pour cent imaginée par Dominique Besnehard, elle donne à son partenaire une réplique inspirée dans la peau d’un Docteur Watson de Basse-Bretagne, attachée elle aussi à connaître le fin mot de cette énigme. Alice Isaaz – superbe dans le récent Mademoiselle de Joncquières –, en éditrice junior, et Bastien Bouillon, dans la peau de son compagnon, complètent agréablement le casting mais sans déployer l’énergie des deux principaux acteurs.
Malgré d’indéniables qualités, Le mystère Henri Pick n’est pas appelé à figurer dans les florilèges des meilleurs films du cinéma français. Le 6e long-métrage de Rémi Bezançon n’en constitue pas moins un excellent divertissement, bien servi par une intrigue astucieuse – merci, Monsieur Foenkinos ! – et des comédiens impeccables, sans oublier quelques jolis plans de Camaret.
Quelques mots encore sur Fabrice Luchini. Tourner un film à Crozon a certainement dû émouvoir cet acteur singulier ; et pour cause : de son propre aveu, il voue une admiration sans bornes à Louis Jouvet, ce géant du cinéma français que les aléas de la vie ont fait naître dans ce « bout du monde » cerné par quelques-uns des plus sauvages promontoires rocheux de Bretagne. Nul doute également que Fabrice Luchini a apprécié sur la bande-son la présence, en forme de clin d’œil musical, de l’envoûtante mélodie hongroise de Schubert, omniprésente dans La discrète, un film de 1990 dans lequel l’acteur excellait déjà en… intellectuel cynique sur fond d’intrigue littéraire.
* Vidéo : What's a MacGuffin in Films and Why is It Called That
** En réalité, il n’existe qu’une bibliothèque des « refusés » sur la planète ; elle a été créée en 1990 par Richard Brautigan dans la ville de Vancouver : The Brautigan Library.