Colette ou les voluptés joyeuses

par Armelle Barguillet Hauteloire
lundi 11 juin 2012

1873 - 1954 

Sidonie-Gabrielle Colette est née à Saint-Sauveur, dans l'Yonne, en 1873. "La maison de Claudine" ( 1922 ), complétée par "Sido" ( 1930 ), nous raconte son enfance, ses rêveries solitaires, les bêtes aimées, le charme ensorcelant de la campagne à l'heure des floraisons, la treille muscat, un monde qui sera toujours imprégné d'une profonde sensualité. Mariée jeune à Henry Gauthier-Villars, nommé Willy, elle découvre Paris, l'amour, un univers futile et urbain, l'infidélité et, malgré ses curiosités de petite " garçonne audacieuse", entend bien mener une existence d'épouse fidèle. La série des "Claudine" passa longtemps pour être de Willy, qui y apposait sa signature de journaliste-chroniqueur de la vie parisienne perverti par sa bohème chic, mais justice sera rendue après leur divorce de la part très importante- voire capitale - qui revenait au talent éclatant de la jeune femme. "La vagabonde" en 1911, premier roman de Colette seule, ouvrira sa série de témoignages sur l'amour qui n'aura plus grand chose à voir avec le registre vicieux que lui imposait commercialement Gauthier-Villars et les journaux boulevardiers. 

Romancière de l'instinct féminin, amie des humains comme des bêtes auxquelles elle fera la part belle dans ses livres, Colette ne va plus cesser de se revigorer au contact des forces naturelles et des plaisirs qu'elles procurent. Son oeuvre est en quelque sorte un musée des délices, de la beauté des paysages, de l'eau qui chante, des jardins embaumés, des chats caressants, de la douceur de la sieste à l'ombre des feuillages, du parfum d'un plat qui mijote dans l'âtre, de la richesse inépuisable des choses créées. Et d'où vient qu'il n'y ait rien de niais et de vain, ni même de choquant dans cet inventaire des voluptés joyeuses, des plaisirs simples, de l'ivresse à vivre autant des satisfactions du corps que de l'esprit ? La recette en est que l'écrivain sait user, comme nul autre, de ses sens, goûter aux senteurs multiples, aux couleurs chatoyantes et mêmes aux chants imaginaires. Rien ne lui échappe des émotions amoureuses, des liaisons renoncées, des caprices enfantins, des adolescents livrés aux troubles de leurs premières étreintes ( Le blé en herbe ). Pas un clin d'oeil, une rougeur, un refus, une attente, une crainte. Elle sait tout déceler, tout voir, et le traduire avec une précision fine et subtile qui ajoute au charme particulier de son écriture. 

D'une intelligence aiguisée par l'expérience, Colette ne fermera pas pour autant les yeux sur la douleur. Elle saura en laisser affleurer dans ses pages la plainte de l'amante délaissée, de la femme vieillissante. Si ses personnages font fi de la morale, ils n'en prennent pas moins conscience des menaces qui planent sur l'humanité, de la fragilité du monde et des intermittences du coeur. Avec "Ces plaisirs" ( 1932 ) ou "Mes apprentissages", elle dispensera une certaine morale avec un tact exquis et une courtoisie compréhensive éclairée par son implacable lucidité. Cette prosatrice impudique de sincérité et d'inspiration a peint le monde avec sympathie et bienveillance, sans en dissimuler les noirceurs mais sans se priver d'en exhaler les splendeurs savourées ou perdues en un style léger, vivant, imagé, où les souvenirs d'enfance restent à jamais une source consolante, une poésie virginienne et une sagesse mûrie par les aléas du sort. 

Colette est désormais entrée dans le cercle resserré des grands écrivains par l'ensemble d'une oeuvre célébrante qui n'oublie aucun détail de la vie coutumière. Ses dialogues, comme ses descriptions, sont d'une vérité inouïe et leur composition s'arrange d'un laisser-aller qui n'enlève rien à leurs thèmes et à leurs intrigues. C'est tout un monde qui se déploie, un monde où les artistes et comédiens tiennent une grande place mais où les parfums de la nature ne manquent pas d'être enivrants. 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE


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