Comment expliquer l’affluence record de l’exposition Hopper au Grand Palais ?
par Svaneke
lundi 4 février 2013
Les oeuvres d'Edward Hopper traduisent une impression de torpeur et de résignation qui correspond bien à la léthargie de notre époque et dont la bourgeoisie a tout intérêt de faire la promotion.
L’exposition Edward Hopper au Grand Palais s’est achevée hier. En près de quatre mois, 750 000 visiteurs s’y sont pressés.
Comment expliquer un tel niveau d’affluence ? La publicité faite autour de l’évènement et la renommée du peintre lui-même n’explique pas tout. Par quoi tous ces visiteurs ont-ils été attirés ? Qu’ont-ils voulu trouver dans les peintures d’Hopper ?
Pour tenter d’expliquer ce gigantesque succès, il faut dire tout d’abord que l’œuvre d’Hopper est frappante par sa sensibilité et sa sincérité. Ses toiles traduisent le sentiment de solitude au sein d’une société abondante. La distanciation du regard qu’il porte sur la ville et ses semblables, son réalisme brut ont certainement frappé les visiteurs et contribué au succès de cette exposition. Hopper est également un contemporain de la grande période des films noirs dont il reproduit certains codes sur la toile. De même, les angles de vue qu’il choisit sont à l’évidence influencés par le cinéma.
Pourtant, dans toutes ses peintures, Hopper apparaît surtout comme un être désarmé. Hopper n’est pas un homme révolté mais un homme résigné, un témoin appliqué, mais tout aussi paralysé, de la réalité glaçante du capitalisme. A ce point paralysé que son portrait de l’Amérique oublie totalement de représenter les Noirs, à l’époque même où la ségrégation raciale était une plaie béante dans la société américaine. Peintre pourtant ancré dans la réalité sociale, le regard d’Hopper ne le porte jamais vers la colère mais vers une sorte de mélancolie léthargique.
Hopper ressent les choses… mais la lassitude prend le dessus et il n’est tout simplement pas capable de se révolter.
A titre de comparaison, devant une peinture comme Guernica de Picasso, on ne ressent pas seulement une impression de tristesse infinie mais aussi la rage et la colère devant un acte immonde de barbarie. Guernica ne laisse pas impassible, cette toile provoque un sentiment irrépressible de révolte, qui n’est pas circonscrit au seul épisode historique du bombardement de cette ville par les nazis. Guernica ne désarme pas, elle suscite le réveil des consciences.
C’est tout le contraire avec Hopper et la limite même de ses œuvres qui, malgré leur sensibilité, révèlent l’engourdissement de son auteur dans une société déjà terriblement anesthésiante. Finalement, les 750 000 visiteurs de l’exposition ont retrouvé avec Hopper la torpeur qu’ils connaissent si bien, la torpeur effroyable du capitalisme, où la solitude se conjugue à la dépression et la nervosité, où le vide existentiel triomphe, une torpeur que seule la révolte pourrait briser… mais ce n’est pas justement pas vers la révolte que nous conduisent les tableaux d’Hopper.
Et au fond, la léthargie qu’inspirent les œuvres d’Hopper est bien utile pour la bourgeoisie…