Concert d’Elton John au Zénith : au royaume des sourds les malentendants sont rois

par Ben Ouar y Villón
mercredi 12 septembre 2007

Tenté par une perte de virginité tardive, je me suis laissé tenté par le plaisir d’aller écouter un monstre de la scène pop. Elton John a vendu 350 millions d’albums dans le monde depuis les quelque 40 années qu’il chante et compose sur des paroles de l’éternel Bernie Taupin. Il est encore au zénith de sa forme, ça se voit. Mais ça ne s’entend pas. Peut-être à cause de la forme du Zénith.

Dans les années 80, I’M Still Standing faisait la joie des élèves de collège qui avaient reçu la mission de traduire un hit pop en français. À l’époque, on était sensible à ce mélange d’énergie hystérique et de modulations en mineur. Mais qu’en est-il aujourd’hui de la sensibilité musicale de mes contemporains ? Sommes-nous tous sourds ? Je me pose la question à la sortie d’un concert comme celui du Zénith de Paris le 11 septembre dernier. Est-ce que j’ai pu vraiment apprécier le jeu des musiciens qui, malgré eux sans doute, étaient noyés dans l’énorme, la colossale, sonorisation du Zénith ? Là aussi, j’ai bien peur que nous confondions quantité et qualité. Comme pour les fruits et légumes, la prévalence de l’une nuit à l’autre. Au-delà d’un certain niveau, la confusion (le bruit) prend le pas sur la différenciation sonore (la musique) parce que le cerveau ne distingue plus la moitié du message, et que l’oreille humaine n’est pas du tout faite pour endurer de forts niveaux acoustiques sur la durée.

À y bien penser, sont -ce les quelque 100 et plus décibels qui ont contribué à ravir les auditeurs et les fans d’Elton John ? (La fiche technique du Zénith nous dit posséder 150 amplis pour 100 000 watts). Mes oreilles ont sifflé la demi-heure après le concert. Il y aurait donc un problème dont tout le monde se contrefout. Est-ce que les amateurs de musique, qui paient leur place au moins 80 euros la soirée pour être à trente mètres de la scène, compensent l’éloignement de leur idole par la surabondance sonore ? Se sentent-ils plus proches de lui parce que le Yamaha de concert de sir Elton claque dans les aigus aussi sûrement qu’une boîte à clous amplifiée le ferait ? Peut-être, me suis-je dit, que j’ai reservé une soirée dont les bénéfices iront aux oeuvres de soutien des prothésistes auditifs, ou qu’à l’inverse, j’ai pris place par erreur parmi les membres d’une association de malentendants ?... Peut-être aussi que le fort volume sonore est un cache-misère qui masque efficacement la mauvaise qualité acoustique de cette salle métallique qui offre, grâce à l’écho, deux concerts pour le prix d’un. Mais pour ce prix, je me souviens avoir pu assister de très près à l’expression de chanteurs ou d’orchestres "sans micro" lors de soirées inoubliables d’émotions diverses. Là, pour mon premier concert pop, une seule émotion : la sidération.

Cette course au bruit, parce qu’il faut bien l’appeler comme cela, détruit aussi sûrement l’oreille physiquement qu’elle anéantit le jugement, le goût musical. Mon propos n’est bien sûr pas d’opposer les différentes formes musicales, et je ne suis pas un adepte de la branlette baroquisante. J’aime bien ce que fait Elton John (même s’il a eu tendance à se prépéter dernièrement), mais, précisément, je suis persuadé que les auteurs, les compositeurs, les interprètes qui ont pris soin, comme Elton john, de s’entourer d’une équipe, d’un directeur musical comme Davy Jonhston, fameux gutariste de surcroît, que tout ces talents, donc, méritent mieux que ce que les équipes techniques du son retransmettent de leur travail. Je m’inquiète également pour nos musiciens et tous les professionnels qui travaillent sur ces plateaux hautement sonores tout au long de l’année. Elton John était assis au milieu de quatre "retours", haut-parleurs de scène. Serait-il, lui aussi, sur la même pente que Beethoven ?

Décret n° 88-405 du 21 avril 1988 sur les niveaux de bruit


Lexique à l’usage des bien-entendants :

* • Le décibel (dB) : correspond à peu près au pouvoir sélectif de l’oreille permettant d’apprécier une variation d’intensité. Il constitue une bonne unité relative pour caractériser physiquement et physiologiquement les sons.
• Le seuil de l’audition situe le niveau minimal d’intensité audible à une puissance liminaire, pour un sujet normal, de 10-12 W/m2, ce qui correspond à une pression de 2.10-5 Pascals (20 micropascals).

Source : Université virtuelle de médecine du travail


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