Coups de coeur d’automne (I) : Nabucco & Gesualdo

par Frédéric Degroote
mardi 5 novembre 2013

Le tumulte passé de la rentrée, voici les coups de coeur classiques à ne pas rater de la rentrée. Le premier volet est consacré au Nabucco de Michelangelo Falvetti par Leonardo García Alarcón (Ambronay) et à l'enregistrement des Responsoria de Carlo Gesualdo par Philippe Herreweghe (Phi).

Des deux disques qui font l’objet de cette chronique, le premier ici présenté n’a pas dû échapper à beaucoup. Le deuxième volet de l’exhumation du compositeur Michelangelo Falvetti (1642-1692) est sorti un an après avoir été présenté au Festival d’Ambronay ; Il s’agit duDialogo del Nabucco, oratorio exécuté à Messine en 1683. Si Il diluvio universale fut un succès retentissant doté d’un engouement rarement atteint, ce Nabucco a l’heureuse caractéristique de ne pas tomber dans la redite, trouvant même son point fort dans une écriture et une trame plus raffinées que son prédécesseur. Pour le dire plus simplement, et malgré un emploi appuyé d’instruments orientaux, cet oratorio est bien moins tape-à-l’oeil. 

On pouvait compter sur Leonardo García Alarcón pour nous rendre tout ceci vivant, imaginatif et chatoyant. C’est le cas du plateau de solistes aux instrumentistes en passant par le Choeur de Chambre de Namur, décidément dans tous les bons coups ces dernières années. Les riches idées musicales sont servies à merveille par des musiciens visiblement en osmose avec leur chef. Il y a des moments de grâce, de l’intelligence, et si certains parti-pris peuvent être discutables sur le fond, on ne peut qu’applaudir la cohésion de l’ensemble et l’ambiance générale qui s’en dégage, ambiance dont on ressort difficilement indemne. 

Alors quid de l’instrumentarium ? Leonardo García Alarcón a décidé d’adjoindre le ney, le kaval, le duduk et des percussions iraniennes. Cela fonctionne, se fond sans problème - il explique fort bien sa démarche dans le livret - même si par moments on ne dirait pas non à une interprétation qui s’en détache. Avec le risque de perdre un peu de magie ? Il n’en faut pas plus pour que le but semble parfois détourné aux yeux de certains : en effet il est déjà affirmé ci et là que cette recréation est une magnifique “fusion world-baroque-music”. Au-delà de ne pas croire en l’intérêt de ce genre de projets - sauf à de rares exceptions - la question est de savoir si ces appellations fourre-tout font honneur à ce travail. Je ne le crois pas car la démarche va bien plus loin. Dès lors, prenons ces ajouts et ces idées musicales comme un moyen de souligner le texte, sans tomber dans d’obscures conclusions stylistiques. Ce ne sera que justice rendue à ce délectable Nabucco.

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Michelangelo Falvetti (1642-1692) : Nabucco - Extraits :

I. S’al Dio d’Israelle

II. Offransi Inni Di Laude Al Sommo Dio

III. Di Mia Scolpita Effigie I Bei Splendori

IV. Vola La Fama E Con Alate Piume

Cappella Mediterranea

Choeur de Chambre de Namur

Leonardo García Alarcón, direction

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Le deuxième disque est incontestablement une des meilleures surprises de cette automne. Attendait-on vraiment Philippe Herreweghe dans cette énième commémoration du 400ème anniversaire de la disparition du compositeur Carlo Gesualdo (1566-1613) ? Certes, ses Lassus chez Harmonia Mundi ont toujours fait très bonne figure mais après des disques Brahms, Bach & Bruckner, le répertoire charnière de la fin renaissance/premier baroque ne semblait pas la première préoccupation du chef. Finalement, peu importe puisque ça marche ! L’objet de cet enregistrement publié sur son propre label Phi (Outhere) est consacré aux vingt-sept Responsoria pour l’Office des Ténèbres de la Semaine sainte publié en 1611. Si l’on connait bien les deux derniers livres de madrigaux aux chromatismes vertigineux publiés la même année, les Responsoria sont plus souvent laissées de côté. Pourtant oeuvre ultime du compositeur, avec un langage harmonique il est vrai moins extrême, plus adapté au genre, mais d’une force toute aussi singulière. On a affaire ici au Gesualdo de la maturité, à l’homme de foi en dépit de sa vie sulfureuse. Au Gesualdo toujours audacieux et torturé, la sagesse en plus au soir de sa vie.

L’enregistrement du Collegium Vocale Gent touche ce recueil avec des doigts d’or. Les lignes sont claires, avec ce ressenti tout au long du double disque d’une envie de lisibilité et de transparence. Si le contrepoint est dense, offrant de subtils moments de plénitude parmi tous les chromatismes, Philippe Herreweghe n’en oublie pas l’intensité dramatique et la tension, tissée secrètement grâce à un choeur énergique et attentif, formant une unité et un son ardent. A mille lieux de certaines productions anglaises. Ecoutez Le Tristis est anima mea pour vous en convaincre. A lui seul il plonge l’auditeur au coeur de l’esthétique gagnante de Gesualdo et du Collegium Vocale Gent.

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Carlo Gesualdo (1566-1613) : Responsoria

I. Tristis est anima mea

Collegium Vocale Gent

Philippe Herreweghe, direction

http://youtu.be/fZvdLTOeK2k

 


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