« Crime et Châtiment » en interactivité ludique au Lucernaire
par Theothea.com
lundi 28 juillet 2014
Adapter le roman fleuve de Dostoïevski au théâtre ne peut être chose aisée. Ici, au Lucernaire, Virgil Tanase nous offre une mise en scène épurée, très maîtrisée et brillamment condensée.
Dans cette version elliptique, le crime est déjà effectué. Ce qui intéresse le metteur en scène est la confrontation du pseudo-criminel avec l'homme de loi qui mène l'enquête, non pas pour condamner mais pour révéler à l'auteur la conscience réelle de son acte, non pas le punir dans le sens carcéral mais l'amener à l'acceptation de sa responsabilité.
Ainsi, deux esprits vont s'affronter dans un terrible jeu du chat et de la souris. Le juge, homme affable est rusé. Sa rouerie malicieuse pour conduire aux aveux sans avoir l'air d'y toucher est bien menée par un débonnaire Serge Le Lay.
En face de lui, l'étudiant désargenté est un être orgueilleux qui pense que certains êtres sont des parasites et que dans un contexte politique la "faim" justifie les moyens et donc l'assassinat d'une usurière qui abuse des pauvres.
Il y a de toutes façons, les êtres ordinaires et les êtres supérieurs dont il fait partie et pour lesquels la notion de mal n'existe pas ; il est donc permis de transgresser les lois. Il ferait partie d'une élite qui pourrait se servir du crime pour redistribuer l'argent amassé par une femme sans scrupule.
Son acte serait donc bénéfique et le meurtre, dans ce cas, ne serait-il pas tolérable si celui-ci conduit à une amélioration de la vie ? Thibaut Wacksmann est ce Raskolnikov, altier, sombre et solitaire, constamment torturé.
Les thèses divergentes des deux hommes s'aiguisent au fur et à mesure des face à face. L'aiguillon de la culpabilité commence à poindre, ce que veut obtenir Porphyre Petrovitch, c'est l'aveu complet qui, seul, permettra le rachat de Raskolnikov dans la prise de conscience de la faute.
Autour de ces deux figures centrales, dans une scénographie ingénieuse qui fige parfois les scènes en de superbes tableaux soulignés par un éclairage judicieux et de magnifiques costumes, une foule de personnes témoignent de cette décrépitude sociale qui engendre des comportements excessifs, c'est l'ivrogne qui bat sa femme, laquelle sombrera dans la folie, c'est Sonia leur fille - Liana Fulga - qui se prostitue pour subvenir aux besoins de ceux qui l'entourent, figure de la compassion, incarnation de la foi ardente au Christ, elle sera la confidente de Raskolnikov et permettra le salut de celui-ci, c'est enfin un propriétaire terrien, amoureux éperdu de la soeur de Raskolnikov, lequel a des hallucinations et revoie sa femme morte.
Malgré une apparente légèreté bien interprétée par Laurent Le Doyen, celui-là est le pendant sombre de Raskolnikov et ne trouvera pas la rédemption. Le destin particulier de tous ces personnages conduit inexorablement Raskolnikov à la confession de son crime.
Au Lucernaire, l'enquête est menée comme un jeu où la manipulation des arguments avance à pas feutrés et fait son travail de sape au sein d'une mise en scène limpide et élégante.
photos 1) © Estelle des Dorides 2) © Claire Besse
CRIME ET CHÂTIMENT - ***. Cat'S / Theothea.com - de Fiodor Dostoïevski - mise en scène Virgil Tanase - avec Serge Le Lay, Thibaut Wacksmann, Arthur Toullet ou Augustin Kokoreff-Brut, Morgan Perez, Laurence Guillermaz, Liana Fulga, Noémie Daliès, Laurent Le Doyen & Barbara Grau - Théâtre du Lucernaire