« Cyrano de Bergerac » à La Comédie-Française
par Theothea.com
vendredi 23 juin 2006
Encouragé par Piotr Fomenko qui l’avait convaincu au cours de la création de La forêt que Michel Vuillermoz était bel et bien son Cyrano, Denis Podalydès s’est donc senti des ailes pour affronter sa première mise en scène au Français.
Transporté par une nécessité intérieure, c’est un hommage au théâtre de troupe regroupé depuis le XVIIe siècle dans la Maison de Molière dans lequel le comédien s’est investi en réunissant autour de lui toutes les volontés enthousiastes pour cet objectif ambitieux et néanmoins très affectif.
D’Eric Ruff à Andrzej Seweryn en passant par Michel Favory, Michel Robin, Bruno Raffaelli, Jean-Baptiste Malartre, Eric Génovèse, Nicolas Lormeau... De Véronique Vella à Françoise Gillard en passant par Cécile Brune, Sylvia Bergé, Florence Viala.... accompagnés de Christian Blanc, Alain Lenglet, Christian Gonon, Grégory Gadebois, de Romain Cottard ou Paul Jeanson, de Marie Gutierrez ou Elodie Huber..... tous costumés par Christian Lacroix faisant jongler les atours entre XVIIe et XIXe, la célébrissime pièce d’Edmond Rostand allait sortir d’un long purgatoire pour retrouver l’éclat de ses bravoures sur la scène de la Salle Richelieu.
Faisant ainsi appel à de mutiples talents composites, Denis Podalydès courait le risque contradictoire du trop-plein en illustrant à son insu que le "mieux" peut être l’ennemi du "bien", c’est pourquoi en confiant la dramaturgie à Emmanuel Bourdieu, il s’assura, en néophyte avisé, d’un point de vue associé suffisamment en recul sur son projet fantasque afin de réaliser son Cyrano de Bergerac à la manière d’une fresque épique où l’âme de Don Quichotte pourrait en prolonger avec légitimité et style, l’ombre d’un véritable Commandeur :
Comme si "néanmoins" en assumant la difformité physique, le chevalier à la triste figure avait le pouvoir de transfigurer l’impossible résignation en sublime destin !...
C’est donc en coup de maître, n’en déplaise aux pinailleurs et autres exégètes de la pièce de Rostand s’inquiétant de savoir si l’interprétation de Vuillermoz serait en mesure d’effacer celle des illustres anciens, que bien "avant la fin de l’envoi", le comédien "touche" sa cible au plus près de notre compassion conquise par tant de pudeur exacerbée avec justesse.
D’ailleurs la compétition posthume avec les fantômes du rôle mythique n’aurait guère de signification si ce n’est celle d’apprécier la détermination du "Cyrano nouveau" dans sa fougue à poursuivre la lutte de ses valeureux prédecesseurs contre l’arbitraire de la vie.
En outre, des avis désobligeants ont cru discerner un déficit de charisme concernant la Roxane de Florence Gillard, alors même que l’absence du pathétisme dans la composition de la comédienne est en soi un gage d’intégrité à l’égard du profond mutisme de la passion.
En effet, Denis Podalydès souhaitait des personnages qui soient moins portés par la représentation factice d’idéaux souvent enclins au porte-à-faux que par le véritable élan du coeur : à juste titre, c’est-à-dire en tant que pensionnaire de la prestigieuse institution, celle-ci exprime donc précisément cela !
Il faut dire également que les décors d’Eric Ruff sont extraordinairement riches à la fois dans leur diversité autant que dans leurs détails constitués de multiples trouvailles relevant directement de l’artisanat scénographique.
De la subjectivité des coulisses en visibilité de ruche créatrice, transpire la fébrilité sensuelle de la représentation théâtrale comme jaillissant d’un gant retroussé par indavertance tout en induisant une "nuit américaine du spectacle vivant" où Michel Vuillermoz aurait décroché le rôle de sa vie.
Médiateur de Christian à qui il souffle les mots qui sauront distiller l’état de ravissement chez Roxane, Cyrano devrait enfin pouvoir concrétiser l’état amoureux auquel il n’a jamais pu accéder faute de savoir outrepasser "les lois du physique".
"Devenir ce qu’il est" ou "demeurer ce qu’il n’est pas", telle est pourtant l’alternative qui, dans un instant fragile, lui tendra les bras avant que les armes retentissent pour dénier finalement tout espoir de bonheur à chacun des protagonistes submergés dans une tempête de pétales de mort rouge.
C’est beau !... C’est grand !... C’est fort !... C’est poignant !... C’est sans aucun doute, le succès public assuré et mérité qu’attendait la Comédie-Française.
Photo © Raphaël Gaillarde
CYRANO DE BERGERAC -**** Theothea.com - d’ Edmond Rostand - mise en scène : Denis Podalydès - avec Michel Vuillermoz, Françoise Gillard .... - Comédie Française -