De Frank Columbo à Peter Falk

par Azür
mercredi 1er février 2006

Construite sur le principe de l’énigme inversée, elle met en scène un assassin préparant son alibi en même tant qu’il accomplit son crime et un enquêteur, guidé par son intime conviction, qui parvient à le pousser jusque dans ses derniers retranchements.

D’après ses créateurs, le lieutenant Columbo est inspiré de Petrovitch, le redoutable policier de « Crimes et Châtiments » (1). Dans ce jeu du chat et de la souris c’est la lutte de David contre Goliath qui se rejoue. Personnage insignifiant, à la limite du méprisable, Columbo affronte le gratin de la société américaine. Belles demeures, voitures de luxe, toilettes griffées, havanes, les témoins et présumés coupables tentent de tenir le haut du pavé face à ce petit lieutenant qui leur tient la dragée haute. Mal fagoté, fumant des cigares à deux sous et roulant dans une épave, Columbo incarne la suprématie de l’essence sur l’apparence, du fond sur la forme, de l’être sur l’avoir.

Diffusée de 1971 à 1978, puis reprise à partir de 1989 et régulièrement rediffusée, la série connaît un succès jamais démenti. Désirant incarner Mr Tout-le-Monde, Peter Falk dont la voix est doublée par l’acteur Serge Sauvigon (2), construit son personnage autour d’accessoires qui s’imposent à lui. Le pardessus mentionné dans la nouvelle originale, il le remplace par un imperméable qu’il achète un jour où dans la vie réelle, il est surpris par la pluie et depuis ne s’en défait plus. Au point que pour le tournage de la seconde série en 1989, un tailleur se voit confier la mission de reproduire un nouveau modèle identique au premier et artificiellement vieilli.

Idem pour la voiture, nommée par les Columbomaniaques Columbo-Mobile. Peter Falk ne trouve aucun modèle lui convenant parmi ceux que lui présentent les Studios Universal. Quand il aperçoit dans la rue un cabriolet 403 (3) modèle 1960, il sait tout de suite que ce sera la voiture de Columbo. Et quand la production s’en débarrasse après la première série, il faut remuer ciel et terre afin de la retrouver pour tourner la seconde époque. De nombreux propriétaires de 403 cabriolet prétendent faussement posséder l’original qui leur a probablement été vendu comme tel ! La Columbo-Mobile est finalement restituée par un couple de l’Ohio qui l’avait acquis via les petites annonces.

Eternelle absente de la série, mais toujours virtuellement présente, Mrs Columbo occupe toujours une place importante dans le discours de son mari. Au point qu’entre les deux séries, elle fait l’objet de malheureuses tentatives de mise à l’écran (4). Le personnage de l’absente est bien trop fort pour que le public se laisse imposer une image là où Columbo donne libre cours à l’imagination en prononçant la fameuse réplique : « Quand je dirai çà à ma femme... ». Absent au début de la série, le basset léthargique nommé « Le Chien » par son propriétaire est commandé par la chaîne NBC pour étoffer l’entourage du personnage. Rencontré à la fourrière par Columbo qui décide aussi tôt de l’adopter, il incarne à la façon de Rantanplan l’anti-chien policier.

Comble du paradoxe, Columbo est quasiment la seule série où l’on se bouscule pour jouer les rôles des méchants (Donald Pleasence, Robert Vaughn, Janet Leigh, Ida Lupino) ! Et de célèbres réalisateurs comme Steven Spielberg pour « Le livre témoin » et Jonathan Demme (Le Seigneur des Anneaux) pour « Meurtre à la carte » y apportent aussi leur talent. Série prestigieuse, Columbo doit son succès tant au machiavélisme des intrigues qu’à l’humanité de son personnage principal. En renvoyant constamment le spectateur à son quotidien, Peter Falk lui offre une voie royale à l’identification.

Définissant son personnage comme l’anti-Sherlock Holmes, il a au moins en commun avec le célèbre détective la manie de s’envelopper de volutes de fumée pour réfléchir. Quand on lui demande la marque de ses cigares, Peter Falk répond qu’il l’ignore. Ils sont fournis par la production et coûtent un dollar les quatre. A ce prix là, ce ne sont pas des « totalamente hecho a mano » et encore moins des cubains comme ceux qu’il se voit offrir au cours de certains épisodes. Amusant pied de nez au blocus américain exercé injustement à l’encontre de Cuba depuis 1961. Il en fume environ cinq par épisode et les présente comme de simples accessoires destinés à asseoir le caractère du personnage « Ca me donne un genre. Quand je souffle la fumée avec l’air inspiré, on a l’impression que l’enquête avance. ».

Mais dans la vie réelle, Peter Falk est un authentique amateur de cigares, avec une préférence affichée pour les havanes. Occupant son temps libre à dessiner, il s’est spécialisé dans le nu et fait montre d’un incontestable talent. Il se souvient avoir fumé son premier cigare à l’âge de 41 ans, alors qu’il participait à un tournage dans un château aux fins fonds de la Serbie. (5) « En soirée, les acteurs se retrouvaient dans le salon principal pour d’interminables parties de poker. J’en ai rapidement eu assez de tuer le temps en jouant aux cartes avec les autres. Alors, je rentrais m’isoler dans ma chambre pour dessiner. Je me rappelle que je croquais tout ce qui se présentait à mon regard [...] Donc, mes dessins ont fini par attirer l’attention du propriétaire du château. Ce n’est pas étonnant puisqu’il était lui-même artiste. [...] Il m’a présenté aussi sa collection de cigares cubains. Et il m’a offert un Montecristo n°2.(6) Je ne vous cache pas que les premières bouffées ont été pour moi une véritable révélation. Il faut savoir que je n’avais jamais allumé un seul cigare auparavant. ».(7)

Il s’identifie assez facilement à son héros, en reconnaissant qu’il fait preuve de même élégance vestimentaire désastreuse et a aussi des goûts simples. Pour lui, une journée de bonheur se résume à s’enfermer dans son atelier avec du papier à dessin, un beau modèle et... un bon cigare. D’un naturel plus que modeste et particulièrement perfectionniste, il ne s’est encore pas décidé à passer à la peinture, malgré les incitations de ses amis. « Je leur explique que je dois d’abord apprendre à dessiner. Ils me font alors remarquer que je noircis du papier depuis une bonne quarantaine d’années. Qu’il ne serait pas raisonnable d’attendre d’être centenaire pour peindre ma première toile. Et vous savez ce que je leur réponds ?... Exactement la même chose que Michel-Ange s’adressant au Pape qui venait le féliciter pour sa décoration de la Chapelle Sixtine : Tout est dans le dessin. Votre Sainteté ! Le reste, je peux l’obtenir en pissant dessus. ».(7)

De la bio-filmographie de Peter Falk, on retiendra qu’il naît le 16/09/1927 à New York d’un père italien et d’une mère hongroise, perd son œil droit à l’âge de trois ans, suit des études supérieures de sciences politiques et de droit administratif après avoir fait son service au sein de la marine marchande, devient comptable dans le bureau du budget de l’Etat du Connecticut, mais lorgne sur le théâtre dramatique, et finalement devient acteur professionnel en 1955. Il débute comme comédien dans Wind Across the Everglades (1958) et tient pas la suite des rôles tragi-comiques de gangster frapadingue (The Bloody Brood en 1959 et Murder, INC en 1960). Il joue de nombreux rôles, travaille sous la direction de réalisateurs célèbres comme par exemple Wim Wenders et John Cassavetes. Si Peter Falk est essentiellement Frank Columbo pour les téléphages, il est aussi bien d’autres personnages tout aussi intéressants pour les cinéphiles...

1. Dostoïevski 1866

2. Doublure de la voix de Stacy Keach dans Mike Hammer.

3. Modèle de 1960, d’abord immatriculé 044 APD puis 448 DBZ à partir de 1988, produit entre 1955 et 1968 Cylindrée : 1290 cm3 Puissance : 7 cv Consommation : 8 litres/100 km Vitesse maxi : 130 km/h L = 4,47 l =1,67 h = 1,47 Pneumatiques : 155 x 380

4. « Mrs Columbo » devenue « Kate the detective », puis « Kate’s loves a mystery” avec Kate Mulgrew, est créée et diffusée en 1973 pour s’arrêter au 13ème épisode. 5. Castel Keep « Un Château en Enfer » de Sydney Pollack avec Burt Lancaster et Patrick O’Neal 1968/69

6. Le Montecristo n°2 est un cigare emblématique de la marque. C’est un figurado en forme d’obus (156 mm x 20,6 mm) dont les qualités demeurent constantes d’année en année.

7. Interview réalisée par Clive McLean pour « L’Officiel du Cigare » Hors Série du Magazine Club Cigare Printemps 2001

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