De la bonne dédicace

par Fabienm
mardi 23 septembre 2014

Pour nombre d’auteurs, ce passage obligé est une torture. Non pas que cela dérange de papoter avec des lecteurs (au contraire), mais se creuser la tête pour écrire quelques lignes personnalisées développerait presque notre empathie à l’égard des éditeurs qui nous refusent gentiment nos manuscrits à l’aide de formules sibyllines et impersonnelles.

En ce qui me concerne, je dois me confesser. Car oui, j’avoue tout : je fais à peu près systématiquement la même dédicace. Comme un gros fainéant.

Je demande vaguement ce que la personne fait, histoire de m’accrocher à quelque chose, et après je déroule plus ou moins la même trame (plutôt moins que plus d’ailleurs). Gauchement écrite afin de sortir une petite blague de circonstance, genre : « si vous n’arrivez pas à lire ma dédicace, arrêtez-vous dans la première pharmacie ».

 

Oui, je sais, c’est minable. Si cela peut vous rassurer, je me fais honte (gageons que ce n’est ni la première, ni la dernière fois).

En fait, pour être encore plus honnête – me réussis pas ce nouveau café – je faisais tout le temps ça jusqu’à très récemment où une personne m’a acheté deux fois le même livre et m’a demandé une dédicace sur chacun.

J’étais bien emmerdé.

J’ai été tenté de commencer la dédicace sur l’un et de finir sur l’autre, mais je n’ai pas eu le courage d’aller au bout de mon plan machiavélique.

Alors, je me suis mis à observer et j’ai constaté que certains étaient beaucoup plus doués que d’autres pour imaginer ces quelques lignes.

L’autre jour notamment, j’étais en salon à côté de quelqu’un de très organisé. C’est bien l’organisation. Ça fait un peu militaire et coincé de l’anus, mais ça évite les déconvenues. Le monsieur en question avait une liste de citations sur l’écriture. Dès qu’une dédicace se profilait, il en choisissait une au hasard (ou à la tronche du dédicacé) et il déroulait son truc. Malin. A la fois personnalisé et pas prise de tête.

J’ai donc fait des recherches en commençant par regarder les livres que l’on m’avait dédicacés récemment.

 

Grégoire Delacourt avait utilisé subtilement le titre de son livre et avait greffé un texte autour. Très intelligent – on a presque l’impression qu’il l’a vraiment écrite en passant à nous – et pour le coup assez original, tout en incluant son œuvre dans le bousin. Du grand art.

Gilles Paris avait fait un joli dessin et écrit autour (par contre, j’étais incapable de lire ce qu’il avait écrit – ou alors, il utilisait la même blague que moi, mais avait oublié de dire la phrase magique sur les pharmaciens).

Amédée Mallock avait, quant à lui, mis un mot simple et gentil.

Pas mal la simplicité aussi (même si c’est loin d’être mon fort).

 

C’est alors que ce week-end, au salon de Douvres-la-Délivrande, j’ai craqué. J’ai décidé d’aller sur un site de génération aléatoire de dédicace (*), et voici la proposition qu’il m’a faite :

« La lecture est une fenêtre d’inconvenance sur la choucroute de l’existence.

Joyeuses Règles ».

C’était fin, subtil et pas du tout obscur. J’avais peut-être trouvé la solution.

J’ai donc challengé mon voisin – le talentueux Mallock sus cité – d’utiliser le mot « choucroute » dans la dédicace qu’il était en train de rédiger (au grand dam de sa lectrice qui ne voulait pas, mais alors pas du tout, ce mot dans sa dédicace (tant pis pour elle, la science avant tout)). Il s’en est sorti admirablement.

Je sentais que je m’approchais du but.

Le hasard deviendrait mon compagnon de dédicace.

 

Quelques jours passèrent…

Je me rendis alors compte que plus je faisais appel à ce site et plus je m’éloignais de quelque chose de compréhensible.

 

J’ai donc tout repris à zéro (ce qui ne m’a pas pris très longtemps, compte tenu du fait que je ne m’étais pas trop éloigné). Je me suis concentré fort. J’ai arrêté l’alcool (et le LSD accessoirement) et j’ai interrogé directement les lecteurs. C’est con, je n’y avais pas pensé.

Et la lumière est venue d’eux.

J’ai alors compris que la personne qui recevait une dédicace devait avoir l’impression fugace qu’elle était une muse de l’instant, qu’elle nous avait inspiré ces quelques lignes (la conne, si elle savait).

La bonne dédicace est une illusion. Elle doit faire voyager avant le vrai voyage.

 

Allez, une dernière pour la route.

« Le sursaut amer du poulpe vous fera gamberger dans l’outre-tombe littéraire.

A vos rames. »

 

Et bonne journée, bande de nazes.

 

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(*) ce site n’existe pas – même s’il mériterait objectivement d’être inventé –, mais je trouve que ça fait un peu légendaire de le raconter comme ça (et si ça vous plaît pas, c’est le même tarif. Non mais).

 

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