Dernière de la pièce Hotel Europe de BHL : une bien médiocre rébellion

par Eléonore de Vulpillières
samedi 22 novembre 2014

Appréciation de la pièce de BHL par un esprit curieux, qui, avec tout le battage médiatique réalisé autour de cette pièce... a voulu juger sur pièce !

16 novembre 2014. Morne plaine. Automne banal. Paris s'ennuie sous la pluie.

Mais pour transfigurer son dimanche, quoi de mieux que d'aller à Montmartre voir la pièce de Bernard-Henri Lévy intitulée Hotel Europe  ? Le succès remporté par la pièce est tel qu'au lieu d'être jouée jusqu'en janvier 2015, celle-ci s'achève aujourd'hui, 16 novembre 2014.

Quelques jours auparavant, sur les réseaux sociaux, les personnes en charge de la promotion et de la communication de la pièce voient arriver la dernière d'un œil inquiet. Et si la salle du théâtre de l'Atelier, comme c'est le cas depuis le début des représentations de la pièce, était délaissée par le public ? Quel échec cuisant pour son auteur... quel désaveu criant explosant à la face de celui qui avait presque pris la place du ministre des Affaires étrangères français pour promouvoir guerres sur guerres, du Kosovo à la Syrie, en passant par la Libye ?

Ces chargés de communication décident donc de distribuer des places gratuites pour la dernière représentation, afin de remplir un peu cette salle qui jusqu'alors n'a reçu la visite que d'amis de BHL ou d'élites déconnectées – Hollande, Valls, Sarkozy en tête de file. De fait, le théâtre n'a jamais été aussi plein, autant d'admirateurs de BHL (car ils existent), que de curieux sceptiques et désabusés, dont certains trouvent bien normal que ces places soient gratuites ; ils ne seraient jamais venus autrement, et hésitent à demander un dédommagement pour le préjudice moral causé par 1h50 de propagande BHLienne...

J'avais évidemment un a priori défavorable sur la pièce du grand propagandiste devant l'Éternel qu'est Bernard-Henri Lévy. J'en suis sortie transformée, et je suis désormais adhérente au Parti fédéraliste européen. Si seulement... [C'est bien évidemment parfaitement faux :) ]

En réalité, le fond révélait une telle torsion de la réalité que dès la troisième minute, j'ai sorti un calepin pour noter tout ce qui me semblait aberrant. Autant dire que je ne l'ai pas lâché de la pièce.

Celle-ci peut se résumer ainsi : un homme, campé par l'imposant Jacques Weber, qui incarne l'égocentrique Bernard-Henri Lévy, enfermé dans une chambre de l'hôtel Europe, à Sarajevo, en Bosnie, a deux heures pour rédiger un discours qu'il devra prononcer devant les grands pontes européens. Pendant ce temps, il vaticine sur l'Europe sans réussir à écrire une ligne, emporté dans ses contradictions et l'insolubilité de la question européenne. Et pour cause...

 

On découvre un homme fat, obsédé par le sexe auquel il fait référence toutes les trois minutes, friand de déclarations à l'emporte-pièce. Comparant les accords de Dayton de 1995 avec ceux de Munich de 1938, il condamne la mollesse et la lâcheté de l'Europe.

Le génocide des juifs est un autre thème récurrent. Lévy ne flatte les musulmans que quand ceux-ci s'inclinent devant la mémoire d'Auschwitz, par exemple lorsqu'il évoque « la grandeur de ce président musulman invoquant le destin juif », ou faisant s'écrier son personnage « à quoi ça sert de se souvenir de la Shoah si c'est pour laisser faire Srebrenica ? ».

 

Les comparaisons sont toutes dans la subtilité et la nuance : Poutine, c'est Milosevic, qui lui-même est Hitler. Hillary Clinton n'aurait pas dit mieux.

Selon Bernard, les manifestants de la place Maïdan sont morts pour l'Europe, ce sont des martyrs de la liberté. Pas un mot sur les morts de l'autre camp, rien sur le rôle des États-Unis et de l'OTAN dans la crise ukrainienne. Le grand méchant, c'est Poutine, point à la ligne, circulez, y a rien à voir !

 

Le personnage joue la révolte, se positionne comme une grande conscience universelle dispensant à l'envi ses leçons de prêt-à-penser sous couvert de rébellion intellectuelle. Pianotant frénétiquement sur son ordinateur, dont l'écran est retransmis sur le fond de scène de façon à ce que le spectateur puisse suivre le fil de la pensée du philosophe-conscience, il projette des images de Beppe Grillo, Kadhafi, Berlusconi et Poutine pour les vouer aux gémonies. Le plus drôle reste tout de même sa critique virulente de Berlusconi, adepte des parties fines, bunga-bunga et autres... alors que le personnage donneur de leçons a des comportements et des expressions qui le rapprochent lui-même d'un pervers libidineux multipliant les allusions lubriques. La caricature est si accentuée qu'elle fait ressortir l'aspect grand-guignolesque d'un scénario qui prête parfois à sourire.

On le voit prendre des cachets pour se donner du tonus et de l'ardeur pour écrire son discours, allusion aux drogues dont use BHL pour trouver l'inspiration, comme l'a révélé sa femme Arielle Dombasle (qui assistait d'ailleurs à la représentation en compagnie de Bernard, dont la chemise blanche en décolleté alors qu'il faisait 10° et qu'il pleuvait a suscité chez moi un certain respect eu égard à sa constance vestimentaire).

Le personnage déplore « l'antisémitisme ambiant » en Europe, « ce parfum d'années trente partout, fond de l'air européen. » Il évoque fréquemment la « peste blonde », surnom très recherché de Marine Le Pen, qu'il vomit, au même titre que les rouges-bruns ou les amateurs de quenelles.

On peut noter quelques trouvailles verbales, Barroso devient « Barroco », Catherine Ashton, « Atchoum » et Van Rompuy, « Van Trompette ». On trouvera aussi quelques questions légitimes, comme le sort réservé aux migrants qui échouent à Lampedusa, ou l'injustice de celui des Grecs que Goldman Sachs a fait frauduleusement entrer dans l'euro et dont le pays paie aujourd'hui le prix. Les remarques soulignant à juste titre l'absence de personnalité des billets en euros, des ponts qui ne mènent nulle part sont immédiatement suivies d'une proposition de les frapper à l'effigie de grands hommes européens pour mieux inscrire en chaque citoyen des nations européennes la conscience d'être citoyen du « peuple européen ». Cependant, entre deux envolées lyriques, l'auteur ne manque jamais de graver dans le marbre le principe selon lequel la construction européenne est un destin inéluctable et de toutes façons souhaitable. Enchaînant les caricatures et les jugements hâtifs, les comparaisons hors de propos et les déclarations enflammées qui retombent aussi vite qu'elles sont lancées, le personnage manifeste un rapport au réel qui s'étiole plus on avance dans la pièce. Mégalomane cynique, ce révolutionnaire de pacotille n'en parvient que mieux à rendre visible l'esbroufe, les grosses ficelles de la pièce dont il est le héros.

 

Ses vaticinations qui, par définition, ne peuvent aboutir, finissent par amener l'auteur, retranché sur le devant de la scène, hagard, échevelé, loque humaine pieds nus suant de partout, au seuil de la folie. Il n'a toujours pas écrit une ligne pour le discours qu'il doit prononcer dans cinq minutes. Cela fait deux heures qu'il s'excite tout seul sur la question européenne, et tout cela pour arriver à une conclusion proche du néant. En effet, et c'est du plus grand comique, il finit par nous proposer sa Commission idéale, un peu comme Gérard Lenorman chantait aux enfants « Je nommerai bien sûr Mickey Premier ministre de mon gouvernement si j'étais président, Simplet à la Culture [...] Tintin à la Police et Picsou aux Finances ».

Illusoire rêve de gamin... Jugez un peu : Robert Schuman à la place de « Barroco » (il est vrai que le charisme d'huître gélatineuse de Schuman remplacerait de façon profitable le luisant et pesant Barroso), les Pussy Riots au droit des Femmes, Houellebecq aux droits des animaux, Salman Rushdie à la Laïcité, Rosa Luxemburg à la Résistance, Mère Teresa aux Finances (Bernard ne manque pas d'humour) et j'en oublie des dizaines (Sagan, Duras, ou Stendhal entre autres). Bref, la Commission idéale de BHL, composée à moitié de morts et de vivants, infiniment plus valables selon lui que les ronds-de-cuir actuels, n'est qu'une chimère de plus dans le théâtre d'ombres de l'illusion européenne.

 

Les mots finaux se veulent une exhortation à la poursuite du combat européiste, destinée à galvaniser les foules, tout comme Bernard espère sans doute qu'il le fit à Kiev dernièrement – alors que personne n'avait rien à faire de sa petite personne. L'acteur hurle en levant le poing « Allez, allez, allez ! » Cette harangue m'a simplement paru à la frontière du pathétique. Le philosophe germanopratin, au paroxysme de la folie obsessionnelle, se prenant tout ensemble pour un révolté, un opprimé, un philhellène du XIXème siècle, voulant concentrer sur lui toutes les luttes de son siècle, ne parvient qu'à toucher du doigt une affligeante médiocrité. Le philosophe engagé, qui estime sans doute s'inscrire dans la lignée des philosophes ayant profitablement marqué leur temps, voulant vivre César – pour paraphraser Clemenceau – ne mourra certainement pas Pompée, ni même ne sera « pompé » par ses successeurs. Cette fadeur, cette vacuité du fond du texte est un peu atténuée par la performance réussie de l'acteur, même si celui-ci inspire, conformément au texte, tour à tour aversion, dégoût et pitié.

Avec le recul, je me dis que cette fable pleine de contrevérités écrite par Bernard-Henri est tout de même révélatrice de l'impossibilité d'un destin européen commun, sous bannière de l'UE. Car, à son corps défendant, Bernard n'est qu'un promoteur de plus d'une énième « autre Europe », comme le font tous les partis politiques français, après l'Europe sociale, l'Europe des travailleurs, l'Europe des valeurs, l'Europe écolo, l'Europe solidaire etc. L'Europe souhaitée par Lévy, cette Europe ouverte, bercée de philosophes préalablement sélectionnés par lui-même, qui aurait bouté tous les réfractaires à la chimère européenne, reflet de son narcissisme démesuré, s'ajoute à l'amoncellement des autres projets, jamais réalisés.

Eléonore de Vulpillières

20 novembre 2014

 

Bernard-Henri Lévy et l’acteur unique de la pièce, Jacques Weber
Saluts finaux

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