Des états généraux du jazz ?

par scripta manent
mardi 9 août 2011

L’édition du 27 juillet 2011 de Libération publie l’appel d’un collectif « Pour des états généraux du jazz », qui se conclut comme suit : « nous demandons solennellement à Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture, d’organiser la tenue d’états généraux du jazz afin de redéfinir ensemble, avec tous les acteurs de cette filière (musiciens, fédérations, associations, producteurs, programmateurs, diffuseurs, écoles, médias et société civiles), les politiques que nous voulons voir mises en œuvre pour assurer la survie d’un secteur musical qui fait partie intégrante de notre paysage culturel, mais qui risque fort de s’appauvrir jusqu’à disparaître si rien n’est fait en sa faveur. »

Parlons vrai : si l’on tient tant au ministre, ce n’est pas pour débattre des mérites comparés des accords de Neuvième augmentée et de Septième diminuée ? Cet appel aux autorités constituées, à leur concours et probablement à leur cassette, sonne étrangement. Tout cela part certainement d’une bonne intention mais nous éloigne diablement des racines et des traditions d’une musique qui s’est longtemps fort bien accommodée de toute estampille officielle.

Sans refaire ici l’histoire du jazz, on se contentera de rappeler que les chants de travail des esclaves du sud américain, ainsi que les negro-spirituals et les gospels en ont constitué les sources vives. Cette origine populaire et spontanée a marqué le jazz d’une empreinte indélébile. La seule école de la plupart des grands noms du jazz aura été la fréquentation des aînés et l’émulation entre orchestres et instrumentistes. Pour beaucoup d’entre eux aussi, la partition restera un accessoire inconnu, l’oreille, la mémoire et les grilles harmoniques suffisant à réguler la création et l’improvisation.

Certes, il y eut aussi des chapelles, des tendances, des querelles, parfois des intérêts commerciaux. Mais rien n’a jamais pu souffler la flamme initiale et elle éclaire encore aujourd’hui le moindre groupe d’amis qui se réunit pour « faire un bœuf ».

A lire certains passages de l’appel paru dans Libération, on se demande d’ailleurs ce qui ne va pas.

Je cite : « Le jazz a connu un essor qui ne s’est jamais démenti, avec ses courants, ses influences, sa marginalisation puis ses soutiens, ses hauts, ses bas … (…) le jazz n’a jamais été aussi riche et foisonnant ».

Mais alors, où est le problème ?

Il semble que le hic soit là : « les musiciens de jazz sont dix fois plus nombreux qu’il y a vingt ans, en particulier les jeunes issus des écoles de jazz et des musiques improvisées qui se sont multipliées. Or l’environnement professionnel dans lequel ils tentent de s’insérer s’est considérablement détérioré. »

Indépendamment du fait que les praticiens du jazz se sont longtemps dispensés de tout cursus « scolaire », est-il bien raisonnable de penser qu’il suffit de multiplier les écoles pour que se multiplient aussi les emplois ?

Je sors d’une soirée « jazz » dans un bar breton. Trois artistes s’y produisaient : un violoniste, un guitariste et un flûtiste « traversier ». Les deux premiers n’avaient jamais mis les pieds dans la moindre école de jazz, mais les échos de leur complicité avaient de quoi réjouir les fans du hot club de France, dont ils honoraient l’héritage tout en l’enrichissant de leur propre talent. Le troisième était frais émoulu d’une école de musique classique mais il s’encanaillait délicieusement et avec beaucoup d’à-propos. Moments magiques, pour l’orchestre comme pour la petite centaine de spectateurs.

Parmi ces passionnés, peu trouveront une large audience et la possibilité de vivre pleinement de leur passion. Cela confirme que le plaisir ne nourrit pas nécessairement son homme, mais faut-il le regretter ?

Le jour où il faudra des décisions ministérielles, des commissions et des arbitrages budgétaires pour désigner les élus, le jazz aura tourné ses plus belles pages.

Sans doute les signataires de l’appel souhaitent-t-ils que le soutien financier de l’Etat et des collectivités locales ne fasse pas défaut. Les subventions font notamment vivre des festivals et permettent d’y convier des artistes de renom. S’il y avait moins d’argent, il faudrait faire plus de place à des talents moins médiatiques. Serait-ce un mal ?

Comme tous les arts, le jazz a droit à la sollicitude des pouvoirs publics mais cette fleur des champs souffrirait considérablement de devenir une plante de serre. 

Contrairement aux termes de l’appel, le jazz ne risque pas de  « disparaître si rien n’est fait en sa faveur ». Il pourrait par contre souffrir d’un excès de sollicitude …


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