Dialoguiste, ou comment le devenir (peut-être)
par Yohan
samedi 7 juin 2008
Michel Audiard, le célèbre dialoguiste des Tontons flingueurs, fût bien meilleur dialoguiste que réalisateur scénariste.
Un métier qui aujourd’hui ne peut guère s’envisager sans passer par l’une de ces écoles réputées qui vous inocule un virus dont jamais on ne se débarrasse.
Michel Audiard a quant à lui emprunté les chemins buissonniers.
Qu’importe... puisque former un dialoguiste, c’est une autre paire de manches...
Le spectateur voit le film et une fois l’émotion dissipée, il ne retient le plus souvent que quelques phrases isolées qui parfois deviennent cultes pour l’éternité.
Dans certains films, les dialogues tiennent une place de choix. Certaines répliques peuvent même marquer l’histoire d’un film à jamais. Jusque dans les cours d’école, on se repasse d’exquis dialogues en boucle et même ceux qui n’ont pas vu le film les connaissent par coeur.
Cette magie du verbe ne s’enseigne pas, ce serait un don, dit-on. Allons bon ! Je n’y crois pas plus que ça.
Après avoir planché sur le sujet, le coude sur le comptoir, j’ose devant vous, chers lecteurs, une (hypo)thèse, la mienne... mais qui n’est pas encore officiellement ratifiée par l’Académie du cinéma :
Chez Michel Audiard, ce don inné pourrait bien n’être qu’une affaire de pédale... Que dis-je ! de la petite reine, pour éviter toute ambiguïté.
Ce qu’on sait de l’homme, c’est qu’il était un vrai fondu de vélo. Avec Jean Carmet, son compère, ils formaient un duo de choix. Jean venait un samedi sur deux rejoindre ses potes du Sport Cycliste Dourdan pour une échappée belle sur le bitume. Une fine équipe de bons vivants qui comptait dans ses rangs André Pousse, vieille gloire du cyclisme professionnel, reconverti aux grands plateaux. Un coup de pousse du père Michel, sans doute.
Le joli coup de pédale de ces messieurs allait de pair avec un solide coup de fourchette. Avec un pote comme Carmet, un pur rabelaisien, et un Pousse gouailleur, il était à bonne école... du petit vin de Loire et de la matelote d’anguilles.
C’est bien connu, cette gouaille qui caractérise les amateurs de la petite reine du Dimanche est une source inépuisable pour un dialoguiste qui sait tendre l’esgourde.
Pour s’en convaincre, il suffit de potasser le bestiaire imagé de ses adeptes :
courir en chasse patate : coureur intercalé entre une échappée et le peloton
mettre la flèche : abandonner
une chaudière : se dit d’un coureur qui se dope
faire le drapeau : rouler à l’abri derrière un costaud
se refaire les niveaux : prendre des vitamines
voir la sorcière aux dents vertes : être pris d’une fringale et piocher
descendre comme un fer à repasser : se dit d’un nul en descente
pédaler avec les oreilles : se dit d’un coureur qui n’avance plus
poser un sac : accélérer brutalement
Durant les sorties à vélo ou attablés du côté de Dourdan, les lascars faisaient provision de bons mots et de boeuf en Daube à la fois. Un entraînement de forçats au bon vivre et au parler popu.
Une complicité et une verve qui se retrouvent bien sûr sur les plateaux et surtout, dans les dialogues de Michel Audiard.
Avec son certificat d’études et son CAP de soudeur à l’autogène, l’homme était quasiment destiné à traîner ses guêtres du côté du Vélodrome d’Hiver. C’est là d’ailleurs qu’il fera la connaissance d’André Pousse, à l’époque honnête pistard professionnel.
Passionné de cinéma, nourri aux dialogues de Prévert et de Jeanson, Michel Audiard n’en oublie pas moins de se plonger avec ardeur dans la littérature, pour s’essayer ensuite à l’écriture.
Une série d’articles rédigés pour Ciné Vie lui entrouvrira les portes du 7ème Art et André Hunebelle lui mettra le pied à l’étrier pour ses premières lignes en tant que dialoguiste.
On connaît la suite.....
Pour résumer, voilà un peu vite, je le concède, esquissées devant vous, les conditions requises pour transformer un quidam ordinaire en un très estimable dialoguiste :
1/ opter pour un CAP en métallurgie
2/ fréquenter assidûment les salles obscures
3/ frayer avec les adeptes de la pédale et tourner sur l’anneau de Vincennes ou du côté de Dourdan
4/ lire Rimbaud, Proust et Céline,...
5/ affectionner la matelote d’anguille, le beaujolais et les vins de Loire
et surtout aimer la vie, le vélo, les potes et le cinéma........passionnément.
extraits de dialogues en vrac
- (ému devant un coffre fort) - c’est beau comme une crèche
- - c’est du brutal. vous avez raison. C’est curieux, j’ai connu une polonaise...
- - petit frère, crois moi ! le monde moderne va vers la centralisation
- - qu’est ce t’organises : un concile ?
- - mais il connaît pas Raoul, j’vais l’travailler en férocité
- - à la fin de sa vie, il s’était penché sur le reclassement des légionnaires
- - les bénéfices ça se divise,la réclusion ça s’additionne
- - et alors ! on chante aussi bien à Téhéran qu’à Odessa
- - vous me voyez là maintenant ! mais moi, j’ai pas toujours tenu un clandé. Vous n’avez pas connu la rue du Chalabais vous : soixante chambres et ils ont filé tout ça aux petites soeurs des pauvres. Quand j’y pense tiens !
- -une grève surprise bravo ! trente tonnes de barbaque sur le carreau, alors qu’on meurt de faim à Chandernagor
- - casse moi la gueule, j’aime mieux
- - ton cul ! ton cul ! j’vais le peindre, en vert, en bleu, en rouge, en jaune