Diversité culturelle et cinéma français : une reproduction du déterminisme sociologique ?

par Bruno R.
samedi 2 avril 2011

Quel est le reflet de la population francaise donné par le cinéma ?

Alors que le débat sur l'identité nationale a provoqué d'innombrables polémiques, le cinéma francais reste cantonné à une série de clichés concernant sa population.

En 2010, le cinéma a battu, dans l’hexagone, des records de fréquentation : selon le CNC (Centre National de la Cinématographie), les salles françaises ont enregistré plus de 206 millions d’entrées, soit une augmentation de 2,6 % par rapport à 2009, année qui constituait déjà un record. Bien que ce chiffre dissimule évidemment de profondes disparités entre les différents genres cinématographiques – principalement entre les films américains et les autres –, le constat ne peut qu’être gratifiant pour une industrie que l’on annonçait déjà en profonde mutation, voire en danger, face aux spectres de la crise financière et du piratage.

Mais le cinéma n’est pas qu’un simple divertissement populaire apprécié par le plus grand nombre. Comme tous types de représentation, il constitue aussi un véritable reflet de la société à laquelle il appartient. Possédant un caractère clairement endogène, le septième art représente autant sa société – en jouant parfois sur les clichés ou sur les idées reçues – qu’il ne la modifie, son influence dépassant clairement le cadre cinématographique. Le succès d’Avatar, qui a considérablement modifié notre rapport à l’écran (télévisions, téléphones portables et consoles de jeux misent désormais sur la 3D) ou, exemple totalement différent, l’affaire de la banderole anti-Ch'ti du Parc des princes ("Pédophiles, chômeurs, consanguins : bienvenue chez les Cht'is") rappellent que le grand écran représente un important vecteur d’influence sur notre environnement culturel, et ce, depuis son apparition (par exemple, le cinéma fut utilisé par Hitler comme moyen de propagande, le mythe de la blondeur fut imposé par Hollywood ou encore, certains films d’Eisenstein dénonçaient le climat de terreur imposé par le régime stalinien). En ce sens, le cinéma établit toujours un lien entre un récit imaginé et un contexte social bien réel. Comme le dit brillement Pascal Bonitzer, « le cinéma semble devoir toujours osciller entre deux tendances : la capture plus ou moins brute du réel (le document) et la construction d'un espace imaginaire (le rêve) »

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la société française a naturellement connu de profondes mutations, qu’elles soient économiques, politiques, ou sociales. L’une des plus visibles est incontestablement celle de son inestimable brassage culturel : portée par différentes vagues d’immigration successives, la population française s’est incroyablement diversifiée pour aujourd’hui former un ensemble particulièrement cosmopolite. Parallèlement à ce phénomène est apparu celui dit de « ghettoïsation », correspondant à la construction massive de cités HLM (près de 7 millions de bâtiments seront construits entre 1950 et 1970) souvent désignées comme « machines à broyer du citoyen », tant l’échec (chômage, difficultés scolaires), amplifié par la stigmatisation, semble malheureusement ancré dans leur existence. Le multiculturalisme français (que Nicolas Sarkozy décrit lamentablement comme un échec [1]) s’est ainsi bâtit dans un contexte historique (mondialisation, période postcoloniale) et social (baby-boom, émancipation des droits) très particulier, et en a accouché d’un triste constat : l’intégration de ces populations est devenue une plaie républicaine, tant la République n’a pas su répondre aux exigences de tous ses citoyens. Car, qu’elles habitent en « banlieue » ou non, les populations immigrés ou descendantes d’immigrés sont aujourd’hui constamment stigmatisées, soit en « cause du problème » (délinquance, « voleurs d’emplois »), soit en « conséquence du problème » (victimes d’un système élitiste et discriminant). Il suffit d’écouter les propos simplistes des Eric Zemmour et autres Rokhaya Diallo pour s’en persuader – il en résulte d’une ségrégation sociale intense. Mais alors, quels choix restent-t-il à cette catégorie de citoyens ? A quels modèles s’identifier ? En tout cas, ce n’est surement pas le cinéma français qui pourra répondre à ces questions, tant celui-ci baigne dans une approche bien-pensante, perverse et terriblement réductrice de la population française.

Favoriser la mixité sociale par la marginalisation

Si le paysage cinématographique français est aujourd’hui composé d’une multitude de genres, de tons et d’auteurs, les populations issues de l’immigration en semblent définitivement exclues. Car contrairement au modèle américain, qui a depuis longtemps réussi à favoriser une certaine diversité (le Nouvel Hollywood, Will Smith, Samuel L. Jackson, Morgan Freeman, Jackie Chan, Spike Lee, Halle Berry, Whoopi Goldberg), la France use toujours d’un traitement très réducteur avec les composantes colorées de son cinéma. Non pas que celles-ci soient inexistantes, mais plutôt restreintes à un formatage de rôles prédéfinis par un inconscient collectif souvent discriminant – hérité de la pensée coloniale – ou réducteur – reflet d’une vision caricaturale de ces populations.

Apparaissent alors deux constats. Tout d’abord, le métissage culturel français ne trouve aucun écho dans le paysage cinématographique actuel. Que ce soit derrière ou devant la caméra, les personnalités françaises de « couleurs » peuvent en effet se compter sur les doigts de la main. Outre les humoristes convertis au métier d’acteur dont l’accès au cinéma fut permis par une notoriété déjà acquise (Kad Merad, Jamel Debbouze, Omar Sy, etc.), peu d’acteurs et réalisateurs issus de l’immigration ont réussi à intégrer la famille du cinéma français, qui apparait comme une caste profondément fermée. Certes, on peut citer des acteurs et actrices comme Sami Naceri, Roschdy Zem, Isabelle Adjani, Noémie Lenoire (d’abord top model), ou encore Djimon Hounsou (qui, comme un symbole, exerce sa carrière à Hollywood et non en France). Du coté des réalisateurs, des artistes comme Abdellatif Kechiche (deux Cesar du meilleur film) et Rachid Bouchareb (dont chacun de ses films créent une injustifiée polémique, révélatrice d’un certain climat) ont eux-aussi réussi à franchir de nombreuses barrières. Mais les réalisateurs et réalisatrices noirs manquent encore cruellement à l’appel. Bien que la situation semble, peut-être, s’améliorer (de plus en plus d’espoirs apparaissent, comme Kim Chapiron, Tahar Rahim ou encore Sabrina Ouazani), le constat général reste, en 2011, déroutant – pour ne pas dire consternant.



Djimon Hounsou, un acteur qui a grandi en France mais qui exerce sa profession aux Etats-Unis


Comment expliquer cet état de fait ? De manière naïve, certains avancent l’argument commercial qui ferait de ces populations des facteurs de réussite moins évidents – et donc des investissements plus risqués : n’étant pas représentatives de la France (sic), elles attireraient moins les spectateurs, qui n’arriveraient pas à s’y identifier. Argument totalement faux, tant de nombreux succès au box-office viennent le contredire (Neuilly sa mère, qui met en scène un jeune français d’origine maghrébine débarqué dans un quartier chic de Paris, a attiré plus de deux millions de spectateurs [2]). Les raisons, multiples, seraient d’ordre historique. Héritée d’une pensée républicaine raciste longtemps dominante (le processus de colonisation long de plusieurs siècles), l’idée que les « hommes de couleurs » ne partageraient pas les mêmes caractéristiques que les blancs serait encore et toujours persistante dans les esprits français. Comme l’explique Pap Ndiaye au micro de Rue89, les noirs restent, dans l’imaginaire français, des footballeurs [3]. Et cela se traduit, inévitablement, au cinéma.

Preuve que ce problème est aujourd’hui devenu inadmissible, le CNC a lancé en 2007 un vaste programme nommé « Images de la diversité », censé favoriser les cinémas marginaux et ainsi soutenir la diversité de la population française au grand-écran mais aussi dans l’audiovisuel (télévision principalement). Jusqu’à présent, 116 films (dont 84 long-métrages, parmi lesquels Indigènes et Entre les murs) ont été soutenus par le CNC pour une somme totale de 4 818 000 euros. Bien que l’initiative soit évidemment à saluer, le résultat n’est pour le moment que peu satisfaisant : 53% des films aidés ont réalisé moins de 50 000 entrées (dont 30 % moins de 10 000). De belles performances sont néanmoins à souligner, comme celle d’Azur et Asmar, film d’animation de Michel Ocelot, qui a réalisé 1 624 000 entrées. Le compte-rendu détaillé de ce programme, issu du site Internet du CNC, est disponible en bas de cet article. [4]


Le second constat, et non des moindres, est que les populations issues de l’immigration sont généralement cantonnées à des rôles prédéfinis – construits sur mesure – renforçant le drôle de sentiment que le déterminisme sociologique s’applique aussi au cinéma français. Il suffit d’observer les dernières sorties pour s’en persuader : Hallal police d’Etat, Il reste du jambon ?, Neuilly sa mère ou encore La première étoile misent sur une caricature extrême de la représentation du noir ou de l’arabe, accentuant paradoxalement une marginalisation déjà importante. Où sont les rôles de composition, ceux qui parviennent à dépasser le vulgaire critère de l’aspect physique ou religieux ? Difficile à dire, tant la mode du communautarisme fait actuellement légion. Jusqu’à preuve du contraire, un blanc ne joue jamais – ou très rarement – un rôle de « blanc en soi », mise à part quand celui-ci représente L’étranger (films se déroulant en Afrique par exemple). Ce parallèle est d’ailleurs frappant avec La première étoile, qui pourrait s’apparenter au voyage touristique d’une famille française dans un pays étranger, ici représenté par la station de ski. La mixité sociale est ainsi assurée par une singerie aberrante de populations déjà sous-représentées. Un film comme Un prophète a néanmoins réussi à prouver que le multiculturalisme, associé à une identité forte et ostentatoire, pouvait parvenir à dépasser des cadres prédéfinis et à partager un propos faisant état d’une vision globale de la société française. Mais le film d’Audiard reste, malheureusement, une exception ne faisant pas la règle.

Une vision hallucinatoire de la banlieue

Souvent mises au centre de nombreux débats, les banlieues françaises – dites les cités ou encore les « quartiers » – trouvent enfin au cinéma un reflet qui leur est propre, généralement calqué sur une mise en scène fameuse de leur particularité – importance du lien social, difficulté d’intégration. Depuis les années 90, et parallèlement au développement du mouvement hip-hop, le grand-écran français a en effet intégré le territoire des « cités-ghettos » dans son paysage, notamment avec des films-piliers comme La haine de Mathieu Kassovitz (César du meilleur film en 1995), ou encore L’esquive d’Abdellatif Kechiche (César du meilleur film en 2005). Même des films de genre faisant de la banlieue leur matière principale, comme La horde, sont apparus. Il faut dire que le schéma cinématographique que proposent, visuellement et intrinsèquement, ces zones urbaines est d’une très grande richesse.


La haine (1995) : un film qui a définitivement lancé la carrière cinématographique de la banlieue


Néanmoins, et au même-titre que les populations qui les constituent, ces quartiers sont souvent assimilés à des territoires détachés de la France, où les évènements qui s’y produisent ne peuvent exister que dans ces zones urbaines dénuées de toutes règles de vie citoyenne. Tel un documentaire, les spectateurs extérieurs à ces quartiers assistent, avec une consternation permanente, à une description souvent fataliste de leur mode de fonctionnement. La journée de la jupe, de Jean-Paul Lilienfeld, apparait comme un exemple extrêmement représentatif de cette constatation. Isabelle Adjani, saluée pour son interprétation, y interprète un professeur de français dans un collège de banlieue difficile, et où tous les stéréotypes assimilés aux cités parisiennes sont traités avec une vision particulièrement caricaturale : les élèves ne parlent pas le français mais un « langage-de-banlieue » (terme qui n’a sociologiquement aucun sens), les caïds-de-la-classe ont une vision ultra-communautariste ou sexiste du lien social, et, cerise sur le gâteau, certains d’entres-eux sont des violeurs filmant leur crime avec des téléphones portables. Bien que ces situations peuvent évidemment exister, leur concentration dans cette « classe-type-d’un collège-de-banlieue » relève d’une perception presque surnaturelle de l’échec républicain de ces quartiers – et contribue ainsi à les marginaliser. Les méthodes d’enseignement filmées, datant d’un autre siècle, soulignent quant à elles l’ignorance du réalisateur envers le système scolaire français. Très peu crédible, le film a néanmoins connu un relatif succès, notamment sur la chaine Arte qui l’a diffusé avant sa sortie en salle. La série « Les beaux mecs », actuellement diffusée sur France 2, n’est pas en reste : quand Kenz, jeune malfrat maghrébin, retrouve sa cité suite à une évasion de prison rocambolesque, sa première nécessité est de savoir qui a effacé son graffiti sur un mur de la cité. « La mairie », lui répond un ami devant la paroi désormais vierge de toute inscription : l’Etat est redevenu l’arbitre de l’espace public. Tout va bien dans le meilleur des mondes.

[1] Le multiculturalisme est "un échec", affirme Nicolas Sarkozy, sur France24.com
[2] [4] Images de la diversité : bilan 2007-2010, sur le site du CNC
[3] "Dans l'imaginaire tricolore, les Noirs restent footballeurs", sur Rue89


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