Dominique Zardi est mort, c’est son plus mauvais rôle

par Babar
mercredi 16 décembre 2009

Dominique Zardi, l’une des dernières gueules du cinéma français, vient de s’éteindre le 14 décembre, à l’âge de 79 ans.
 
Abonné aux seconds rôles il fit les belles heures du cinéma pendant une cinquantaine d’années où il apparaît dans des centaines de films (certains disent 300, d’autres 500 ou 600...), notamment chez Mocky et Chabrol.
 
Passionné de boxe, Zardi avait dirigé un journal consacré à sa passion. Egalement écrivain, il avait écrit une dizaine de bouquins où il racontait sa vie de comédien. Petit hommage.
 
Le premier film où l’on aperçoit les yeux pétillants de Zardi, c’est Malaria (1943), de Jean Gourguet. Le dernier fut Le Bénévole (2007) de Jean-Pierre Mocky. Ce dernier faisait toujours appel à Zardi dans ses films. C’est simple, dans les années 2000 l’acteur n’a quasiment travaillé que pour Mocky (huit films en huit ans).
 
Sa fiche Wikipedia rappelle cette anecdote qui le définit parfaitement : « Lors d’une conférence de presse, une critique de cinéma avait demandé à André Hunebelle pourquoi il engageait des seconds couteaux comme Henri Attal et Dominique Zardi. Dominique Zardi lui répondit par une citation de Raimu : "Ce qui donne le goût au gigot, c’est la pointe d’ail. Eh bien, nous sommes la pointe d’ail qui donne le goût au gigot." »
 
Eh bien, si le cinéma français puait tant de la gueule, on sait pourquoi. Puer de la gueule ce n’est pas puer de la tête, je précise. Le cinoche français était rustique, par certains côtés, mais nullement déplaisant. Quoi sa gueule, qu’est-ce qu’elle a sa gueule ? Sa langue taillée sur mesure comme une bavette de pipelette ne jaspinait pas dans le vide. Il y avait du répondant, dans les salles de quartier. Cette pointe d’ail a donné du goût à bien des mets qui sans cela auraient été insipides.
 
Pourtant Zardi n’était pas un comédien d’appoint. Il avait son style, toute de froideur apparente, de tension, de nervosité. Et d’humour décalé. Acteur physique et burlesque, parfois. Et parfois inquiétant. Abonné au rôle de petites frappes , outre Mocky (La grande frousse, Un drôle de paroissien, etc.), Chabrol (Le Scandale, les Biches, Le Boucher, etc.) et Granier-Deferre (La Métamorphose des cloportes, Paris au mois d’août, etc.), il trimballe sa mignonne tronche chez Godard (Pierrot le fou, Une femme et une femme, Masculin féminin), Costa-Gavras (Compartiment tueurs), Claude Sautet (Max et les ferrailleurs, Les Choses de la vie). Il apparaît dans Fantômas d’André Hunebelle, dans Le Doulos de Jean-Pierre Melville, dans Délicatessen de Jeunet et Caro... Zardi c’est nous ! C’est notre histoire, notre identité.

Il était populaire parce qu’il était issu du peuple. Il témoigne que dans les années 50, 60 et 70, les maisons de productions se souciaient d’engager des comédiens qui parlaient le langage de la rue et non de pauvres êtres qui, pour reprendre une expression prêtée à Céline par Marcel Aymé, travaillaient dans l’anémie.
 
Le « cinéma de papa », comme l’appelle avec une pointe de condescendance les tenants du bon goût, empruntait à la jactance virevoltante du comptoir, cette académie de la langue vivante. Le « bon peuple » s’y retrouvait dans ce mélange de canaillerie et d’élégance dont Audiard fut le maître. Une de mes répliques préférées (que je ne suis pas le seul à aimer, bien sûr) de Zardi a été taillée sur mesure par Audiard pour Faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvage :

. Blier parle : « J’ai bon caractère mais j’ai le glaive vengeur et le bras séculier. L’aigle va fondre sur la vieille buse ».
. Un figurant, jouant le rôle d’un porte-flingue, confie à son collègue joué par Zardi : « C’est chouette ça, comme métaphore ».
. Zardi lui répond : « C’est pas une métaphore, c’est une périphrase ».
. Son collègue : « Oh, fait pas chier ! ».
. « Ça, c’est une métaphore » rétorque Zardi.

Le cinéma populaire tel qu’il existait (et n’existera plus désormais que sous forme de pur divertissement) s’appuyait sur ce génie des mots et de la répartie, bien partis désormais.
 
Les obsèques auront lieu vendredi au Père Lachaise. J’irai pas, je préfère te revoir dans les bons vieux nanards et me retrouver seul avec ma nostalgie.
 
Au revoir, Monsieur Zardi


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