Douarnenez conte ses mille et un gréements

par LM
jeudi 3 août 2006

Vingtième anniversaire des Fêtes Maritimes de Douarnenez, le week-end dernier. Mâts, cordages et voiles à perte de longue vue dans un port du Rosmeur noir de monde. Qui ne chante pas n’est pas Breton.

On arrive à Douarnenez par la terre, rurale et pierreuse, on y reste pour la mer, bleue, verte et claire comme une promesse. Mais Douarnenez, d’abord une ville, est avant tout un port. Ou plutôt deux ports : un port de plaisance, Treboul, aux bateaux sages et rangés comme des poissons d’eau douce, et un port de pêche et de marins qui boivent, entre deux crêpes : le port du Rosmeur. De Treboul s’échappent continuellement une myriade de frêles esquifs, de mini catamarans sur lesquels des jeunes pousses apprennent la mer et sa navigation. Du port du Rosmeur jaillissent certaines des odeurs très typiques de ce pays d’hommes et de poissons, d’éléments et de ceux qui s’en accommodent.

La Bretagne est magique toutes voiles dehors. Elle est magique aussi par temps calme, car même alors ses côtes sauvages se révèlent miraculeuses, de quiétude et de nature, de vertige et d’absence. La Bretagne est magique à tout coup, qu’on soit d’eau douce ou des Caraïbes, qu’on soit urbain ou pied tendre, vieux loup ou modeste mouton. Il y a en Bretagne un charme qu’on ne peut que laisser agir, et qui vous pousse à y revenir, année après année, tempête après tempête, pluie après pluie, soleil après soleil. On trouve toujours une bonne raison, que d’autres jugeront suspectes, pour refaire le trajet, que ce soit les crêpes ou les tourteaux, les araignées ou bien les huîtres, les bigorneaux ou les palourdes. Trop de raisons pour ne pas ignorer son cœur.

Une de ces raisons est l’amarrage, dans ce port du Rosmeur de Douarnenez, depuis vingt ans déjà, d’une petite armada de grands bateaux, j’entends grands par la beauté, bien sûr, même si certains sont immenses aussi par la taille. De grands navires en bois, comme on n’en voit pas dans les courses autour du monde, mais plutôt dans les films de corsaires, de pirates, d’abordage et de trésor caché. Des navires taillés dans l’aventure, qui paraissent vivants, même à l’arrêt, vivants et respirant, comme respire le bois. Il faut les croiser de près, ces bâtiments d’avant, ces galions jamais égalés, pour sentir d’entrée la puissance des flots qui les portent, les supportent sans fléchir, sans même prendre une pause pour les admirer. Les cordages à eux seuls rempliraient des livres d’histoires, tant ils paraissent complexes, techniques, durs au mal, et pourtant maîtrisés à l’envi par l’homme qui les dompte, à mains nues, sans hésiter, sans attendre, sans se tromper. Certaines figures de proue aussi laissent de marbre, semblant témoigner de batailles jamais livrées mais promises à ce type d’embarcation hors du commun pour le commun des mortels terrestres qui n’a jamais tenté son mal de mer sur de tels esquifs, qui n’oserait même pas d’ailleurs y monter chaussures au pied. Ce commun qui observe les membres d’équipage, peu corsaires, peu pirates, bien urbains et un peu enrobés, mais burinés quand même, à l’aise comme des ouistitis sur ce cheval des mers qui ne tient pourtant pas davantage de l’hippocampe que du paquebot. Ils sont intimidants ces hommes et ces femmes là, à déambuler sur le pont de leur navire sous les regards numériques des objectifs qui mitraillent, comme si de rien n’était, mais moins à leur avantage, on s’en doute, que seuls au large, entre eux-mêmes et la mer.

Douarnenez 2006, c’était les 20 ans des fêtes maritimes, et y’avait du beau monde sur la jetée. Du beau linge au pied des mâts, du VIP sous les voiles. Même du PPDA en casquette, escorté par quelques flûtes bien remplies et une poignée de journalistes bien triés. La Marine française avait emmené sa Belle Poule, Brest sa Recouvrance, feu Tabarly son Pen Duick, tous présents, ne pouvant rater cet évènement qui s’écoute, se regarde et s’arrose. Parce qu’on naît près de l’eau, on en boit peu. Et les premières cohues, dans ces fêtes maritimes, se localisent près des buvettes et autres bars plus ou moins improvisés. Ca écluse, ça écope, ça vide, ça liquide. Ailleurs on fume du poisson, et ça sent fort. On casse du tourteau et ça pince fort. On chante en marin et ça danse faux. On déambule sans marcher droit et ça rigole bruyant. On peut même se retrouver le cul par terre, comme dans une chanson de Miossec, le voisin brestois, qui avait magnifiquement chanté Recouvrance, aussi, mais c’était un bar, non le bateau.

C’est la Bretagne, et ça se vit. Ca claque comme une vague, ça fouette comme les embruns, c’est rempli de sabords par milliers et de tonnerres (de Brest) par centaines. C’est non pollué et non polluant, ça bouge ensemble, vibre ensemble, toutes amarres larguées, en se méfiant de la marée, mais c’est tout juste. C’est la célébration de la Terre dans toute sa grandeur, c’est-à-dire la Mer. C’est unique.

Par certains endroits, il y a plus de bateau que d’eau, pas beaucoup d’eau d’ailleurs. Beaucoup de degrés, pour ne pas trop ressentir la fraîcheur du soleil qui s’est cassé au large, qui a mis, lui aussi les voiles. La nuit passe, et le lendemain c’est reparti, mais en actions, en tirage de bords, en manœuvres savantes, c’est au bout de la jumelle qu’on observe cette fois ci les colosses, enfin voguant, enfin dépliant leur trésor de puissance et d’allure. Enfin à la mer jetés, comme toute bouteille qui se respecte.

Au tiers, à livarde, carrée, bermudienne ou latine, les voiles se disputent l’horizon, pour la beauté du geste et du regard. Pour le plaisir des yeux, des cieux, pour donner un tour supplémentaire au globe. Un globe étourdi, sans doute, qu’on danse si beau sur lui. Qu’on danse si juste. La « terre ferme » semble soudain interdite de majuscule, et même le dernier des dériveurs paraît bouffi d’orgueil d’évoluer sur la même piste que ces goélettes racées, ces trois-mâts affûtés, ces felouques splendides. Même la mer ne se mesure plus si profonde. Elle se contente d’être en mouvement, d’emballer les équipages.

Tout se confond, le bleu, le ciel, l’eau, les hommes, leurs voiles. Tout souffle, tout respire. Tout naufrage oublié.

C’était Douarnenez 2006, 20 ans, l’âge de tous les possibles pour les Fêtes Maritimes et leurs gréements déments. De ces bateaux dont on fait les légendes, et occasionnellement les Hommes. Marins, forcément marins.


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