Du douteux « Président » de Lionel Delplanque au bouleversant « Indigènes » de Rachid Bouchareb : de la démagogie à la sincérité

par Sandra.M
mercredi 27 septembre 2006

 

Aujourd’hui sort Indigènes de Rachid Bouchareb, un film dont je vous avais déjà longuement parlé lors de mon compte rendu du dernier Festival de Cannes, (pour lire la critique du film, cliquez ici) un film profondément humaniste, sensible, bouleversant, utile, et qui va peut-être même enfin (!) aboutir à la revalorisation des pensions des tirailleurs et combattants étrangers. (cf. informations d’hier. Je suis une utopiste moi, oui, j’y crois). Un film qui pourrait changer l’histoire. Un film dont le montage financier a aussi été un parcours du combattant. Un film sincère surtout.

Il y a quelques jours sortait Président de Lionel Delplanque. A quelques mois des présidentielles, quel sujet plus opportuniste ? Et surtout, quel traitement plus opportuniste ? Le cynisme est à la mode. Et chez certains partis extrémistes, il consiste à mettre tous les hommes politiques dans le même panier, à ressortir le poujadiste « tous pourris ». On accordera au film le bénéfice du doute, en disant que ce n’était pas volontaire, mais c’est exactement le sens dans lequel va ce film à la morale douteuse.

Président nous fait suivre les pas d’un jeune président interprété par Albert Dupontel, un président idéaliste (il veut résorber la dette de l’Afrique) et (car ?) calculateur (il obtient des marchés publics auprès de marchands d’armes pour financer sa campagne, il ira jusqu’à faire tuer son père spirituel pour conserver le pouvoir). Derrière lui, un jeune idéaliste (Jérémie Rénier, toujours convaincant) qui, pour venger la mort de son père anarchiste décédé en prison, va séduire la fille du président (décidément bien naïve), lequel président va le prendre comme conseiller. Rien de plus facile alors pour ledit conseiller de faire main basse sur des secrets défense (je crois que nous pouvons sérieusement nous inquiéter, si les secrets défense sont aussi facilement accessibles), dans le but de ternir l’image du président. Evidemment, comme le pouvoir corrompt et fascine, (quel scoop !) le jeune idéaliste va tomber sous le charme de cet homme charismatique (ou du moins censé l’être), et plus encore du pouvoir qu’il symbolise, tellement grisé par le pouvoir qu’il va abandonner brusquement tous ses idéaux, avec une célérité déconcertante.

Prenez et remaniez les pires travers et zones d’ombres de nos hommes politiques (le suicide d’un conseiller dans son bureau de l’Elysée, les écoutes téléphoniques, le trafic d’armes, les liaisons, le mariage de façade), assaisonnez de quelques répliques empruntées à d’anciens présidents (l’expression "Un continent humilié, un continent martyrisé" faisant ainsi référence au célèbre discours du général de Gaulle à la Libération de Paris ; la phrase que prononce Albert Dupontel à certaines personnes de son entourage : "Vous n’êtes pas le meilleur, vous êtes le seul" étant celle que Valéry Giscard d’Estaing répétait aux jeunes ambitieux qui l’entouraient ; le président parle de "veaux" à propos des Français, comme l’a fait de Gaulle, etc.), prenez un acteur dans le vent pour crédibiliser le tout, ajoutez une photographie froide comme le pouvoir, léchée et glaciale en clair-obscur pour souligner les zones d’ombre, au cas où nous n’aurions pas bien compris, et à l’issue d’un tel film (dont l’acteur principal dit lui-même ne jamais voter !) vous vous dites forcément, malheureusement, que cela ne sert à rien de voter.

C’est facile et dangereux d’aller dans le sens du vent. Lionel Delplanque a certainement oublié le 21 avril 2002. Pas moi. Il y a des amnésies périlleuses, des vents qui peuvent provoquer des cyclones. Faire du cinéma, c’est aussi être responsable. On ne peut pas toujours arguer du caractère fictionnel pour se dédouaner. Le film s’intitule Président, et se complaît dans l’abstraction, histoire de bien insister sur son caractère universel, les contradictions d’un homme au pouvoir, certes intéressantes, si elles avaient été un peu plus nuancées !

Comme il est humain, le président est allergique à la lumière (allergie reliée à un évènement qui a forgé son destin et sa personnalité), et il adore sa fille, évidemment.

Comment dénoncer la démagogie, quand on en fait soi-même à ce point preuve, comme le fait Delplanque dans son film ? Mais d’ailleurs, est-ce cela le propos du film ? Parce que, au fond, que veut-il vraiment nous dire ?

Ce président semble tout droit sorti des Guignols de l’Info qui eux, au moins, ont le mérite d’être souvent drôles et de se présenter d’emblée comme caricaturaux, et donc de permettre le décalage.

J’ai pour principe d’évoquer uniquement mes coups de cœur, et rares sont les films que j’ai ouvertement critiqués, mais devant la complaisance des critiques envers celui-ci, pour une fois, je n’ai pu m’en empêcher, ce film m’ayant profondément agacée, pour les raisons évoquées ci-dessus. Quant à Dupontel, malgré tout le talent dont il a fait preuve dans le passé, il interprète ici un président bien maniéré et bien fade, au vocabulaire bien restreint pour l’énarque qu’il est forcément supposé être, et finalement bien peu charismatique au regard de l’engouement que ce personnage suscite. Heureusement, Claude Rich, Jérémie Rénier et Jackie Berroyer, par leurs prestations d’hommes dans les coulisses du pouvoir, rehaussent le niveau.

Fuyez ce film... Et courez voir Indigènes  ! Ou revoyez le magnifique et beaucoup plus nuancé Promeneur du champ de Mars de Robert Guédiguian.


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