Du Néo-duchampisme, ou le réalisme néo-capitaliste
par Jean-Paul Foscarvel
samedi 24 novembre 2012
Marcel Duchamp est une figure majeure de l’Art au vingtième siècle. Par son inventivité, sa capacité de dépasser tous les domaines, de créer la surprise, de choquer, mais aussi de créer des œuvres réellement poétiques.
Des facettes multiples de ce génie, l’Art contemporain a surtout retenu, ce qui pour lui était un moment, une facétie, un trait d’humour, l’urinoir et les ready-made.
Cela a consisté à mettre au musée des objets qui n’y avaient pas leur place. À créer le scandale par l’humour, la dérision, l’inimaginable.
Cela a été une période de sa créativité artistique, cela n’en a pas été l’ensemble.
Aujourd’hui, nombre d’artistes reprennent cet aspect particulier et en font leur champ d’investigation. Ils reprennent ce qui autrefois avait été génial, surprenant, nouveau. Ils répètent la nouveauté.
De quoi s’agit-il ?
Cela consiste à prendre un objet du quotidien et à le mettre dans le musée, avec un discours approprié faisant apparaître ce geste comme étant une transgression majeure, un acte unique, un procédé révolutionnaire.
Les institutions voulant afficher un esprit de rébellion, de modernité déstructurée, de remise en question de l’Art, reprennent ces œuvres, les montrant dans leurs salles d’exposition. Ainsi de crée une tendance, une école, … un nouvel académisme.
Le subterfuge est double.
* Il consiste à annoncer comme nouveau un procédé déjà maintes fois utilisé, censé surprendre le spectateur. Celui-ci sait ce qui l’attend, et la seule surprise est la façon de le présenter, ou bien la disposition, par exemple dernièrement à Beaubourg, un canapé sur un congélateur, par Bertrand Lavier. Certes, il ne s’agissait pas de n’importe quel canapé (puisque signé Dali), mais c’est le geste qui compte, la réappropriation par la mise au musée.
* Le second subterfuge consiste justement à créer de la valeur, réaliser une plus-value, par la mise au musée. Celui-ci œuvre comme une entreprise capitaliste qui, mettant son logo sur un objet de peu de valeur, lui donne de la valeur justement par l’apport de valeur « d’information ».
De ces deux subterfuges, le second est le plus efficace en terme de valeur.
D’autre part, la mise au musée d’objets de marque connus, est pour le système une sorte de consécration de la marque, une publicité d’Art.
C’est pourquoi nous pouvons nommer cet Art, où l’artiste effectue un geste de mise sur le marché de l’Art d’objets capitalistes destinés au marché de la consommation, du « réalisme néo-capitaliste », l’expression « réalisme capitaliste » venant de Gerhard Richter et Sigmar Polke.
Bien entendu, la plus-value n’est pas seulement d’ordre financier (quoique : j’avais vu à une Fiac, il y a quelques années, un radiateur soufflant présenté comme œuvre d’art, et, sans le savoir, j’en possédais un similaire à la maison, mais il n’était pas « signé » de l’artiste …), mais aussi symbolique. Extase, pâmoison, admiration, reconnaissance mondaine. Si un inconnu du milieu fait la même chose, le même geste, avec les mêmes propos, il apparaîtra simplement ridicule, ce qu’il est vraiment, de fait.
Répétition d’un geste antérieur, production de plus-value par simple déplacement, absence totale de création (l’artiste ne crée rien, hormis du texte et un déplacement symbolique). De fait, ce qui crée l’œuvre, dans ce cas, ce n’est ni l’artiste, ni l’objet, mais c’est le musée lui-même, ou l’institution qui décide d’installer l’œuvre dans ses locaux. Par ce déplacement, ou ce placement, en soi-même, l’institution muséale crée elle-même la valeur qui autrement, hors de ce contexte, n’en aurait aucune.
De fait, c’est un moyen de conférer aux institutions elles-mêmes ce qui a, ou n’a pas, de valeur. Dans ce cadre, le musée agit comme une banque qui spécule sur les valeurs boursières, qui n’ont de valeur que parce qu’on leur en confère (les valeurs montent parce que ceux qui les achètent espèrent qu’elles vont monter).
Le musée devient un spéculateur artistique, et si un reconnu du milieu se met à dire, en voyant l’excrément en pot présenté comme œuvre sublime et révolutionnaire : « mais, c’est de la merde », la cotation de cette œuvre s’effondrera d’un coup. D’ailleurs il arrive de plus en plus que les femmes de ménages (euh : techniciennes de surface), jettent par mégarde le tas de détritus immondes qui en fait constituait une œuvre majeure du vingt et unième siècle. Parfois le bon sens populaire remet les choses à leur place.
Si les alchimistes des siècles antérieurs s’essoufflaient à essayer de transformer le plomb en or, les artistes néo-capitalistes réussissent, eux, à transformer l’ordure, en Œuvre d’Art.