« Electre / Oreste » Jouet des dieux selon Ivo Van Hove à La Comédie-Française
par Theothea.com
mercredi 15 mai 2019
En point focal, voici le trou noir des pulsions meurtrières sous forme de bunker monolithique au centre du plateau de la salle Richelieu annonçant l’apogée de cette création sur la scène antique du Théâtre d’Epidaure programmée pour deux représentations festivalières en juillet 2019.
Entre-temps, aura été projetée sur grand écran cinématographique (Réseau Pathé Live) la captation du spectacle en quatre séances dédiées dont la première en direct.
Ces deux étapes de rencontre supplémentaire sous présentation différenciée avec un public ainsi considérablement élargi auront forcément pesé dans les choix initiaux de réalisation et autres modalités scénographiques.
En effet, depuis « Antigone » en anglais sous l’instigation de Juliette Binoche, « Vu du pont » d’Arthur Miller avec Charles Berling et récemment « Les Damnés » de Visconti de nouveau à l’affiche de La Comédie-Française, Ivo van Hove tournait autour de son projet d’une Tragédie grecque radicale impliquant le retour aux sources, celles des dieux de l’Olympe présidant aux commandes de la destinée humaine.
Emergeant de la boue, le voilà donc trônant ce poste de domination démiurgique, telle une chambre noire révélatrice dont la porte d’entrée aspirerait l’ensemble des pulsions menant l’être humain par le principe violent du désir brut que la mythologie aura sans doute réussi davantage à attiser qu’à réguler.
Bien sûr, le Chœur et le Coryphée auront tout le loisir de danser au seuil de cet accès opaque du Panthéon en des chorégraphies rituelles accompagnées d’un quatuor de percussionnistes réparti à cour & jardin en fond de scène afin de tenter d’amadouer la puissance divine ou ses représentants mais les arguties prévalant à la défense d’Electre & Oreste auront bien du mal à se faire entendre tant l’engrenage de la violence meurtrière n’aura cessé de progresser d’intensité alors que le processus de vengeances réciproques se nourrissant de lui-même n’aurait en définitive pas d’autre issue que la destruction générale.
Cela aura donc débuté selon l’assassinat du père par l’amant de son épouse auquel auront répondu le parricide puis dans la foulée le matricide et ensuite, comme l’angoisse du passage à l’acte aura eu inéluctablement des répercussions sur l’état mental de ses commanditaires et de leurs bras armés, un état de folie s’est installé au sein des protagonistes face auquel Oreste (Christophe Montenez), Pylade (Loïc Corbery) son ami, et Electre sa sœur auront perdu peu à peu tout sens commun.
Clytemnestre, leur mère haïe & sa sœur Hélène, interprétées successivement par Elsa Lepoivre chercheront le compromis entre bons sentiments et raison d’état stratégique mais rien n’y fera ; la haine engendrée dans la prise de conscience d’Electre sera tellement puissante que sa force de conviction surmontera la multiplicité des mises en garde.
Suliane Brahim semble ainsi prendre l’ensemble du drame sur ses épaules en arpentant les planches avec une furie habitée et déterminée soulevant les scrupules de son frère comme fétu de paille.
Tous ainsi englués dans la boue consciencieusement étalée sur les planches, épaisse, gluante et pénétrante seront en proie comateuse à ce délire sanguinolent en rouge et noir dont la différenciation sociale bleu & beige accusera à peine la dominante symbolique.
Maintenant que la fatalité est parvenue dans le camp des Atrides devant décider de la manière d’exécuter les assassins de Clytemnestre, voici Apollon (Gaël Kamilindi) venant donner au final le coup de grâce « salvateur » mais tellement inattendu à ce stade du processus que l’on est en droit de se demander quel esprit s’est vraiment joué des uns et des autres dans cette vendetta récurrente qui, au demeurant, pourrait s’apparenter davantage à une Fable parodique qu’à une Tragédie.
photos 2 à 4 © Jan Versweyveld coll. Comédie-Française
photos 1 & 5 à 7 © Theothea.com
ELECTRE / ORESTE - **** Theothea.com - de Euripide - mise en scène Ivo Van Hove - avec Claude Mathieu, Cécile Brune, Sylvia Bergé, Éric Génovèse, Bruno Raffaelli, Denis Podalydès, Elsa Lepoivre, Julie Sicard, Loïc Corbery, Suliane Brahim, Benjamin Lavernhe, Didier Sandre, Christophe Montenez, Rebecca Marder, Gaël Kamilindi et les comédiens de l’académie de la Comédie-Française Peio Berterretche, Pauline Chabrol, Olivier Lugo, Noémie Pasteger, Léa Schweitzer - Comédie Française / Salle Richelieu