Entre la buche et la couronne de houx

par C’est Nabum
mercredi 21 décembre 2022

 

Retour aux sources de Yule

 

Il fut un temps si lointain que nulle trace écrite n'évoque une histoire que la bise et la crise m'ont aimablement soufflée au creux de l'oreille. Que les esprits résolument modernes tâchent de se précipiter dans les temples païens de la consommation pour y faire emplettes et dépenses somptuaires tout autant qu'inutiles et que les autres prennent la peine de se poser près de l'âtre de la cheminée pour m'écouter.

Les humains d'alors vivaient au rythme d'une nature qui était encore pour eux source d'émerveillement et de réflexion tout en préférant les symboles pour donner des explications à ses mystères. N'ayant pas la prétention de tout savoir ou de vouloir tout plier à leur désir, ils avaient la sagesse d'observer pour mieux s’émerveiller. En cela, ils étaient bien plus sages que ne le sont nos contemporains, ceux-là même qui conduisent la planète à sa perte.

Nous étions alors au début du commencement. Les humains faisaient partie intégrante de la nature ; ils n'en étaient qu'un modeste maillon de la chaîne sans avoir la prétention de dominer l'univers. Ils allaient de par la vaste Terre et cherchait tant bien que mal à survivre. Depuis quelques lunes, le soleil semblait s'éteindre. Plus la succession des jours et des nuits avançait, plus il faisait froid et plus l'obscurité croissait et imposait sa force à une pâle clarté qui se réduisait comme peau de chagrin.

La nature accompagnait cette lente et inexorable progression vers sa fin. Les arbres avaient perdu leurs feuilles, des animaux se taisaient, d'autres se terraient, les fleurs et les fruits n'étaient plus que de très lointains souvenirs. La tristesse et la désolation devenaient le lot de ceux qui sentaient leur fin proche. Tout autour d'eux n'était que grisaille, obscurité, désolation.

Pourtant non, il y avait les houx qui restaient verts. Leurs petits fruits rouge-vif qui étaient apparus lorsque la chaleur et la lumière régnaient encore sur la terre, persistaient obstinément, miraculeusement, quand plus rien ne résistait à la nuit et à la froidure qui recouvraient la nature. À bout de confiance, une femme coupa une branche de houx pour agrémenter son misérable refuge. Elle voyait dans ce geste la volonté de réveiller le soleil, de l'honorer en célébrant le dernier fruit qui résistait encore.

Bientôt elle fut imitée en son geste. L'humain est ainsi constitué qu'il aime à copier son voisin. En cette période lointaine, il n'en allait pas autrement. Ce fut une quête générale pour cueillir le houx, une douce folie pour embellir les demeures et réjouir un peu les cœurs. Les forêts s'éclaircirent tandis que les chênes apparaissaient alors, beaucoup plus accessibles qu'auparavant.

Comme ils étaient hauts ! Comme ils étaient forts ! Comme ils étaient gros ! Mais que l'homme d'alors était démuni devant ces monstres élancés vers un ciel qui avait perdu toute vigueur. C'est un jeune enfant, plus rêveur que les autres, qui eut cette idée folle de réveiller le soleil. Il fit remarquer que nulle plante n'allait aussi haut dans le ciel et que si quelque chose pouvait réveiller le soleil, ce ne pouvait être que ce grand et bel arbre…

Le désespoir était si grand, les nuits si longues, que chaque suggestion était écoutée avec attention. La remarque de l'enfant parut redonner du courage aux siens. Il fallait abattre un géant pour envoyer un signe à l'astre qui s'endormait doucement depuis si longtemps. Les humains se mirent à l'ouvrage, ils firent tant et si bien, usant de tous les expédients qui étaient à leur disposition, qu'en quelques jours, le grand chêne chut.

Dans sa chute, il se brisa en plusieurs morceaux. Une branche s'était cassée dégageant une petite partie, grande comme un bras d'enfant. C'est vers elle que le gamin s'approcha et déclara : « Il suffit que cette bûche monte vers le ciel et le soleil reviendra ! » Non seulement, il venait d'inventer un mot nouveau ; mais il exigeait une chose qui échappait à la raison. Comment faire monter au ciel un morceau de bois ?

Il eût passé pour un demeuré, un simple d'esprit, si une vieille femme, dépositaire de la sagesse, celle qui était chargée de conserver l'amadou et la braise sacrée, n'eût déclaré qu'il fallait essayer de confier la bûche au serpent qui fait des flammes. Nous étions au soir du solstice d'hiver ; la bûche fut dévorée par le feu quand, après bien des efforts, les flammes s'élevèrent vers le ciel. Le lendemain, les jours cessèrent de raccourcir.

Pour les raconteurs d'histoires, il fallait des combats épiques, des rois et des légendes pour expliquer le monde en ces temps où la science n'avait pas encore semé les graines du scepticisme. On évoqua alors le duel du Dieu Chêne et du Dieu Houx. Le chêne en sortait vainqueur au solstice d'hiver, le houx à celui d'été. À chaque fois, un feu de joie accompagnait la victoire de l'un sur l'autre.

Puis les dieux prirent allure humaine. La domination de cette espèce supposait que tout procède par elle et c'est alors que se passa cette grande catastrophe qui décida de l'issue fatale d'une telle décision. Les humains firent les dieux à leur image même si en ce temps-là, les habitants de la Planète qui vont debout sur leurs jambes prenaient encore la précaution de caler leur calendrier religieux sur le cycle du soleil. La fête de Yule s'installa dans les esprits au soir du solstice d'hiver, le 21 décembre de notre calendrier.

Noël pas toujours aussi catholique qu'on veut bien nous le faire croire, retarda de quelques jours la célébration d'une naissance qui faisait passer la renaissance de la lumière pour un paganisme de mauvais aloi. La bûche ira dans le foyer pour célébrer le renouveau des jours tandis que le houx honorera portes et maisons pour apporter sa gaieté et l'annonce du prochain cycle. Car il en fut ainsi depuis le début des temps et il n'y a aucune raison que cela change.

L'imitation ne s'arrêta pas là. Il fallut travestir les rites des anciens pour pousser d'abord à la dévotion puis faute d'une foi véritable, à la consommation ce qui est une pratique cultuelle bien plus agréable pour des humains avides et mercantiles. Retrouvons le sens de la raison, allons réveiller ce dieu qui se désole en son domaine, menacé par le réchauffement climatique.

Il advint en ce temps très lointain qu'au Pôle nord vivait un roi puissant gouvernant le passage mystérieux du monde des vivants à celui des morts. La légende prétendait qu'il avait neuf mères, toutes vierges, ce qui avouons-le en dit bien plus sur son géniteur de père, un certain Odin au cœur d'artichaut. Gardien de l'Arc en ciel, Heimdall commandait à la fois au Soleil et à la Lune, attendant avec impatience le renouveau du soleil à l'entrée de l'hiver pour faire une couronne de houx et honorer le chêne qu'il livre lui-même dans chaque foyer pour marquer le retour de l'espoir.

Heimdall, cette nuit-là, faisait la grande tournée des popotes. Sachant venu l'époque des besoins énergétiques pour combattre les froidures de l'hiver, il livrait une bûche coupée à la bonne longueur pour s'introduire nuitamment dans les demeures plongées dans l'obscurité. Les gens y dormaient profondément, il faut dire qu'en ce temps lointain, ils n'avaient pas mieux à faire puisque nul écran ne venait baigner la nuit dans un halo bleu.

Soucieux de marquer son passage par un petit geste symbolique tourné vers les enfants, il s'autorisait une petite facétie qui fit bien des émules au fil des époques. Les enfants n'ayant pas encore de chaussons, il se tourna vers leurs chaussettes qui séchaient là, sur le sol devant la source de chaleur.

Le brave homme, ayant le don d'ubiquité savait qui, parmi les rejetons du foyer, avait été fort sage et méritait un encouragement de sa part et à rebours, n'ignorait rien des turpitudes de ceux qui n'écoutaient pas leurs parents et n'en faisaient qu'à leur tête. En bon pédagogue, Heimdall jouait de la carotte sans user du bâton, ce qui ne fut pas le cas du père fouettard, son lointain descendant.

Il glissait alors un modeste présent (l'industrie du jouet n'ayant pas encore vu le jour) dans les chaussettes des chérubins et de la cendre dans celles des diablotins. Le message était clair, les symboles avaient encore valeur éducative. Un fruit suffirait au bonheur des plus sages tandis que les autres se promettaient de s'amender pour la fête de Yule suivante.

Voilà, vous savez tout et vous pourrez déplorer tout comme moi, les insupportables travestissements de la fête qu'un falsificateur vêtu d'une pelisse rouge, se grimant derrière une longue barbe blanche postiche et mandaté par les plus grandes enseignes commerciales a imposé sans vergogne. Il serait grand temps de revenir à la raison, de couper la pompe à fric de cette course effrénée vers le désastre planétaire. Célébrons la nature et surtout pas ce nouveau Dieu des Princes de la finance : la croissance, une vieille Lune qui a cessé de faire des miracles depuis bien longtemps.

À contre-feu.


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