Espéranto et langue des signes ? Des langues pour qui veut l’entendre

par Nicolas
samedi 14 juin 2008

Sont-ce des « vraies » langues ? Pour beaucoup, il s’agit encore de « machins »... à moins que...

Quel peut être le rapport entre l’espéranto et la langue des signes ? Elles ont l’internationalité comme évident premier point commun : Des sourds de pays différents et avec une langue des signes différente se comprennent très vite, y compris sur des sujets variés, car les langues de signes comportent une grammaire très proche. Les sourds, grâce à cette facilité de communication entre eux, voyagent beaucoup, en s’appuyant sur l’aide de la communauté et de ses membres. Tiens, tiens, ça ne ressemblerait pas au Pasporta Servo ? De plus, il existe une la langue des signes internationale. Mais si leur ressemblance se nichait aussi dans les chicanes qui forment leur parcours ?… La langue des signes française devance d’un temps d’avance l’espéranto, elle vient d’être admise au baccalauréat, ce que ne parviennent pas à obtenir les locuteurs de la langue internationale. Mais ne commençons pas par la fin, et essayons d’explorer au détour de l’histoire et de la psychologie ces deux "phénomènes" et tentons d’appréhender ce que l’avenir nous réserve.

Au commencement était l’aphasie… En lien étroit avec la pensée, parler, communiquer, demeure au tréfonds de notre être, que l’absence de mots –ou signes- bref le non-dit violente. Il faut être deux pour exercer ses fonctions de langage, que deux situations cependant bloquent : la différence de langue ou le dysfonctionnement des organes.

Pour pallier ce problème, les plus folles idées sont émises : les XVIe et XVIIe siècles ont vu apparaître une langue des signes et une langue "universelle".

« Nos muets disputent, argumentent et content des histoires par signes. J’en ai vus de si souples et formés à cela qu’à la vérité, il ne leur manque rien à la perfection de se savoir faire entendre. » (Montaigne Essais, Livre II, ch. 12). Mais les gestes, avant de former eux mêmes une expression, appuyaient nos mots, les accompagnaient… Quant à une langue universelle, Coménius et Descartes nous permettent de dater les fondements, plus sûrement que ne l’aurait permis le mythe babélien.

Une autre date commune importante : 1887, l’espéranto naît par son premier manuel d’apprentissage (alors que le premier livre écrit par un sourd date de 1779 : « Observations d’un sourd-muet » Pierre Desloges) tandis l’interdiction de la langue des signes bat son plein et que les derniers professeurs se retrouvent sans emploi. Les interdits qui pèseront sur l’espéranto se dans les mêmes conditions en France, datent eux de 1935.

Au début du XXe siècle, en France, se succèdent plusieurs congrès internationaux de sourds. Le parallèle avec l’espéranto est aisé, puisque le premier congrès international d’espéranto a lieu en 1905 à Boulogne sur Mer.

1971 : Sixième congrès de la Fédération Mondiale des sourds à Paris. Prise de conscience de la richesse e de l’efficacité des traductions simultanées en langue des signes par quelques entendants français. Une prise de conscience de même nature s’est elle déclenchée, à Londres, où se déroule alors le Congrès Universel d’espéranto ?

La grande secousse de mai 1968 : Le droit à la différence est invoqué et l’ensemble des évènements convergent vers une prise de conscience collective de la langue des signes comme source et instrument de la culture sourde. Du côté espéranto, 1968 marque un tournant et TEJO (association de jeunes espérantistes internationale) approuve lors de son 25ème congrès la « déclaration de Tyresö » « le sentiment que l’évolution libre de l’individu est de plus en plus mis en danger par le système coercitif établi : Si on applique par conséquent le concept de conservation de l’intégrité de l’individu, on en vient immanquablement à refuser les discriminations linguistique et culturelle de toute forme, à refuser toute soi-disant solution au problème linguistique qui se base la discrimination, et au constat qu’on ne fait pas suffisamment attention à la destruction du fond culturel et linguistique de nombreux peuples. Cette destruction n’est rien d’autre que l’instrument de l’impérialisme linguistique » Cette idée gagna peu à peu du terrain dans l’ensemble du mouvement espérantiste.

Dans les deux cas, pour l’espéranto dans les lieux de la SDN en 1922 et à Milan en 1880 pour la langue des signes, les outils de communication souffrent l’un de rejet, l’autre d’interdiction. Pour l’espéranto, c’est la possibilité d’être reconnu qui s’échappe, quant à la langue des signes, elle est considérée comme une pratique ancienne, insuffisante et régressive, empêchant d’apprendre la parole.

Ce débat est d’ailleurs toujours d’actualité  : Il faut attendre1977, pour que le Ministère de la Santé abroge l’interdit qui pèse sur la langue des signes et 1991 pour que l’Assemblée Nationale accepte par la loi Fabius sur l’utilisation de la LSF pour l’éducation des enfants sourds. De la reconnaissance envers l’espéranto s’établit sur la même période : en 1954 et en 1985, la Conférence générale de l’U.N.E.S.C.O. a voté des recommandations en faveur de l’espéranto.

Néanmoins, les lois ne font pas tout, restent leurs applications : Un article de La dépêche (2006) « A l’heure actuelle, il n’y a qu’à Ramonville que ce système existe. L’un des buts est bien sûr de l’étendre à tout le pays. Mais il y a au départ un problème de statut. En effet, les professeurs sourds qui donnent l’enseignement aux enfants, dépendent du ministère de la Santé et non de celui de l’Education avec tous les problèmes que cela implique, à commencer par le fait que les sourds n’ont pas le droit de passer les concours de l’Education nationale. Il faut absolument considérer ces problèmes comme des problèmes de langue et non comme des problèmes de handicap. Car la seule différence, c’est que les cours sont donnés en langue des signes et non en français ».

La Dépêche toujours :« Pour dire qu’une loi existe depuis près de dix ans leur assurant que l’intégration dans le cursus scolaire est possible. Mais que dans la réalité, elle demeure lettre morte. En fait, le problème de la scolarisation de ces enfants sourds n’est pas nouveau. Mais on le pensait en effet réglé avec la loi Fabius qui, en 1991, accordait aux parents « le libre choix d’une éducation bilingue », c’est à dire à la fois dans l’oralité et dans le langage des signes. Près d’une décennie plus tard, « seules trois ou quatre écoles en France, dont l’école Sajus, fonctionnent sur ce principe bilingue. Et les places sont de plus en plus rares ».

Les résistances psychologiques auxquelles se confrontent phénomènes se montrent tenaces, et se fondent souvent sur des certitudes aussi fortes que la méconnaissance est grande (du reste, c’est le sort de chaque avancée, de se retrouver décriée, le cas du téléphone n’a pas dû faire exception). Au XVIIe et au début du XVIIIe siècle, l’homme éduqué est celui qui parle bien. Pas de parole, pas de pensée : la parole est la condition préalable à tout langage On ne conçoit pas que les sourds aient le pouvoir de communiquer autrement qu’avec le langage parlé, car intérieur. Certaines nouvelles conceptions reviennent de loin…

Cependant les communauté de sourds ou d’espérantophones (ainsi que leur langue) n’a jamais cessé d’exister. La Langue des Signes Française vient de franchir un pas dans sa reconnaissance grâce à cette officialisation.

Espérons qu’il en soit bientôt de même avec l’espéranto pour sortir d’un siècle de refus et qu’enfin une estampille officielle lui assoie un statut de vraie langue, ce dont doutent encore ceux qui ne la pratiquent pas.

Pour l’espéranto, l’handicap ou le manque auquel il répond touchant tout le monde et n’étant pas physique, il est peu être plus difficile de s’en défaire, d’autant que la libération étant plus grande, les peurs s’enracinent plus profondément. Combien de jours a encore devant lui l’aveuglant analphabétisme international ?

Mais quand nous voyons le chemin parcouru par la langue des signes : « Jusqu’au XVIIIe siècle, les sourds, par la communauté entendante, n’ont pas été estimés capables de communiquer par eux-même. Dans le cas le plus courant ils faisaient partie de la vie communautaire, et étaient acceptés comme des paysans de plus ayant leur place dans la communauté ou tolérés au même titre que les ‘‘idiots du village’’, les débiles ». Source : Université Paris 8.

Sommes-nous en droit de prévoir, que même les fous d’espérantistes parviendront à se faire entendre, y compris par un gouvernement sourd à ces revendications, écartelé par un dilemme « budget » contre « diversité » ? Car ce même Gouvernement vient d’annoncer qu’il n’y aura pas de poste à l’agrégation interne d’arabe, de russe et de portugais... Un combat doit unir, celui de la liberté pour les langues.


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