Europe, terre d’Islam ?

par Pierre de La Coste
jeudi 19 juin 2014

Poser la question de la place de l’Islam en France et en Europe, c’est poser celle de nos racines culturelles.

L’Institut du Monde Arabe, établissement public présidé par Jack Lang, organise en ce moment une « exposition-évènement » consacrée au Hadj, le pèlerinage à La Mecque, "expérience mystique individuelle, de méditation religieuse, source d’inspiration artistique et d’échanges transculturels". Cela nous a valu une campagne d’affichage dans le métro parisien que l’on peut assimiler à une véritable publicité pour le Hadj lui-même. Pour être un bon musulman français ou européen, il faut faire un pèlerinage hors d’Europe, se ressourcer sur lieux mêmes de naissance de l’Islam.

Toujours dans le domaine culturel, il faut relever une belle opération de promotion religieuse, sur Arte, avec la série britannique « De l’Orient à l’Occident », récemment diffusée. La culture arabo-musulmane aurait tiré l’Occident de la nuit du Moyen-âge. C’est grâce à « Al-Andalus », aux savants Avicenne et Averroès, que l’Occident a reçu l’héritage grec et a donc pu faire sa Renaissance. Voilà ce que nous distille la voix suave du commentateur d'Arte, sur fond de manuscrits précieux et d’arabesques enchanteresses.

Que penser d'une telle interprétation de l'histoire de l'Occident ?

Certes, dans le passé, l’apport réel des arabo-musulmans à la culture occidentale a pu être minoré ou occulté. A l’époque coloniale notamment, on préférait insister sur l’infériorité des peuples présumés encore « enfants » et censés recevoir du seul Occident les Lumières du Progrès. Vision biaisée, souvent nourrie par les clichés « orientalistes ». Mais aujourd’hui, on déforme à nouveau l’Histoire, en sens inverse, toujours pour des raisons idéologiques.

Le véritable lien entre les grecs et l’Occident, c’est Byzance. Nul besoin de traduction des philosophes grecs chez les élites d’un empire qui dure jusqu’en 1453. Les échanges sont constants, notamment via Venise, entre les deux moitiés de la chrétienté. Christianisme oriental et romain restent très proches sur le plan du dogme. Pourquoi les Universités du Moyen-âge seraient-elles passées par des érudits musulmans pour « découvrir » l’antiquité gréco-romaine ? L’héritage est aussi plus direct, par les pères de l’Eglise, grecs ou latins (Saint-Augustin). Le christianisme est un platonisme à l’usage du peuple, dit Nietzche, à juste titre.

Il est vrai que les lettrés musulmans sont de bons « passeurs », dans le temps et dans l’espace. Ils passent des manuscrits oubliés d’Aristote (et non de Platon) aux savants chrétiens. Ils passent le « zéro » indou à l’Occident. Ils propagent un certain état d’ébullition intellectuelle à d’autres milieux cultivés. Mais l’Islam ne transmet que ce qu’il veut bien transmettre. Il se refuse ainsi obstinément à passer les formes sensibles de l’art grec, puisqu’il professe l’interdit de l’art figuratif. Certes, il existe des contre-exemples, comme les miniatures persanes et leurs copies ottomanes (comme il existe, à l’inverse, l’hérésie inconoclaste, dans l’empire byzantin). Mais ces reproductions sont rares dans l’art islamique, limitées dans le temps et dans l’espace, et toujours de petite taille (pour ne pas être confondues avec la création de Dieu). Ce sont les exceptions qui confirment la règle.

L’Islam, finalement, ne se transmet pas à lui-même l’héritage grec. Si la Reconquista n’avait pas eu lieu, ni Velasquez, ni Goya n’auraient été possibles. Point de Michel-Ange en terre d’islam : il serait condamné à dessiner des motifs géométriques. De ce point de vue, comme le note Lévi-Strauss à la fin de Tristes Tropiques, l’Islam, loin d’être un trait d’union, coupe l’Europe de l’Asie.

Croyance transcendantale radicale, grandiose dans sa brutalité et sa simplicité, l’Islam est, un moment, au sommet de la spéculation abstraite, mathématique et métaphysique du Moyen-âge. Pas pour longtemps. Le dogme étouffant de la soumission à Dieu, ignorant par construction la querelle théologique essentielle du libre-arbitre et de la grâce, bride et mutile, in fine, la créativité des artistes, des philosophes, des scientifiques. La civilisation arabo-musulmane s’immobilise, dés le 13e siècle, en dépit des efforts de l’empire Ottoman pour imiter l’Occident, dans une léthargie dont seule la colonisation la réveillera, brutalement. A cette humiliation née de la colonisation s'ajoute maintenant, pour les populations immigrées en Europe, le sentiment d'appartenir à une culture marginalisée et ignorée par les élites.

La tendance actuelle, qui va probablement s’intensifier, consiste donc à redonner une fierté aux millions de musulmans qui vivent actuellement en Europe, en valorisant leur culture, à travers des expositions, des émissions, la célébration officielle des fêtes traditionnelles comme les nuits du ramadan ou l’Aïd, la banalisation des interdits alimentaires, et bien sûr la construction de nombreux lieux de cultes. Partout, en France et en Europe, les pouvoirs publics « laïcs », neutres, seront censés protéger les différentes pratiques et cultures religieuses, chrétiennes et musulmanes principalement, en les mettant, de plus en plus, sur le même plan. S’ajoute à cela un état d’esprit général, dans les médias, interdisant toute critique de fond de l’Islam, considérée comme « islamophobe ».

Une telle vision part sans aucun doute d’un bon sentiment ou de bonnes intentions, mais se heurte (ou se heurtera) simplement aux faits culturels, aux pratiques sociales et surtout aux nécessités de la transmission du savoir par l’Education. On voit mal comment expliquer Les Fleurs du mal, les Souffrances du jeune Werther, ou la Divine comédie à des femmes voilées. Toute l’histoire de l’art européen, religieux et laïque, est intransmissible à des élèves qui pensent que l'art figuratif est un blasphème.

Quelle solution préconisez-vous, me dira-t-on, la guerre de religion ? Non, simplement la liberté de dire ce que je pense de l’Islam : une religion toujours bloquée, pour l’essentiel, à l’adolescence, et qui risque de faire beaucoup de mal à nos adolescents s’ils veulent devenir adultes.

 

Dernier livre publié : « Apocalypse du Progrès »

 


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