Fin d’un monde

par jack mandon
samedi 12 octobre 2013

C'est au 19e siècle que F. Nietzsche imposa au monde sa vision radicale, crépusculaire, « le crépuscule des idoles. » allusion parodique au Crépuscule des dieux de R. Wagner, quatrième opéra de la tétralogie de l’Anneau de Nibelungen (1869-1874). C’est dans la provocation et le rire qu’il convient de rechercher la pensée de Nietzsche. Son intention était de rompre avec les idéaux anciens, philosophiques et religieux. Cependant, ses références furent essentiellement issues de la Bible et de Schopenhauer. Ses attaques contre les religions monothéistes issues du Judaïsme furent conduites avec la même véhémence que Moïse plus de trois millénaires auparavant contre l'ennemi d'alors.

L'ennemi d'alors (et de toujours), pour Moïse et Nietzsche était l'idolâtrie.

Par les commandements canoniques 1,2,3 du décalogue, Moïse le légaliste, sanctionna son peuple et sonna le glas, au moins pour un temps, de toutes formes de spontanéités créatives de l'humanité. Adoration obligatoire d'un dieu unique, abrogation de toute forme d'expression artistique, condamnation de l'amour libre et fusionnel, voire même de la liberté d'aimer. Rejet et rupture avec la culture orientale et helléniste, qui réalisait une subtile harmonie entre la nature et la culture. Mise en scène et activation involontaire de la cruauté et de la rébellion. Deux modes d'action qui se prolongent et se complètent.

« Tu n'auras pas d'autres dieux devant Ma face. Tu ne te feras pas d'image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre. Tu ne te prosterneras pas devant elles, et tu ne les serviras pas... »

Le légalisme rigide, c'est un pléonasme, conduisit à l'interprétation fallacieuse réactive. Plus tard, la vision christique nous engagea à vivre d'une manière éthique et non morale, à travers notre libre arbitre, la foi prolongeant et dépassant la loi. Dans un esprit de modélisation conforté, les rois, empereurs et autres tyrans politiques ou religieux, évoluèrent dans l'ombre du droit divin et de l'investiture canonique. Le fanatisme et la propension humaine à mélanger le profane, le sacré et le divin s'enlisa dans la contradiction, le paradoxe et l'iniquité. Le grand livre discutable voire même contestable, la bible, et particulièrement l'ancien testament, engendra quelques bâtards littéraires à son image et des dérives folles innommables dans le monde post christique jusqu'à nos jours.

Jésus, le révolutionnaire, avait déclaré « Je suis Roi », et : « Mon royaume n'est pas de ce monde », Jn 18-36. cela devant Ponce Pilate, le gouverneur de la Judée et représentant de César. Il évoquait le monde de l'esprit, immatériel, infini et le monde terrestre dans sa finitude. Il avait insisté auprès des siens, les pharisiens, politiques et philosophes : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » Matthieu 22, 15-21 Toujours deux mondes juxtaposés en rivalité. Nécessité de dissocier le spirituel du politique. Les fondements de son enseignement se résume à la reconnaissance de l'autre en restant à son écoute. « Aime ton prochain comme toi même. » Matthieu (Mt 22, 34-40) Ce que j'ai fait pour toi, fais le circuler, nous sommes des passeurs d'énergie. Va et fait de même. L'autre c'est aussi toi, ton miroir. Relation subtile entre l'ego et l'alter ego. Fondement de la reconnaissance, du partage, de la continuité dans le temps et l'espace. A la femme prise en flagrant délit d'adultère, une invitation à grandir, avec le pardon à la clé, «  Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus. » ( Jn 8, 1-11) Le pardon

Les modes changent mais l'homme est, au pire, une chimère qui empoisonne son prochain, au mieux c'est un idolâtre qui reste dans sa bulle, là c'est son droit et sa liberté absolue. Il n'y a donc rien de nouveau, quant au fond, sous le soleil...de Satan. Mais retrouvons Nietzsche et ses visions libératrices et sages « La volonté est une force aveugle qui pousse tous les êtres vers des buts, des désirs dont ils ne perçoivent pas le sens. » Une fois atteints, d’autres les remplacent et ainsi indéfiniment. « Vivre, c’est vouloir, désirer »Cette volonté fait de l’homme un jouet, inconscient de ce qui le meut. Aussi pour éviter de souffrir il faut s’efforcer de renoncer au désir, au monde sensible, de nier la volonté. « Le désir-volonté fait vivre et souffrir. »

Nietzsche, en revanche, prétend que l’homme doit affirmer le désir dans ce qu’il a de terrible et de douloureux. Voici l’affirmation dionysiaque.

Au fil du temps et des expériences humaines se produisit la mutation, la métamorphose de l'idole. Si Nietzsche vivait aujourd'hui, que penserait il de la mondialisation qui tend à diluer l'identité humaine, et de la finance qui parfait la déshumanisation ainsi que de la dérive sectaire de certaines religions. Voici bien là des formes nouvelles de l'idolâtrie, en prise avec leurs corrélations, oppositions et prolongements dans des symétries destructrices de l'humanité. En un mot la barbarie politique et religieuse assurée pour demain. Une forme de régression à la limite de l'anomalie et de la folie. Jadis, chez les hébreux, on appelait cette réalité de l'âme « Mammon », en Araméen, qui personnifie l'argent qui asservit le monde. Le veau d'or, dans l’Égypte ancienne, symbole de l'idolâtrie. L’idole de tout les temps, est le faux dieu que l’homme a lui-même créé et qu’il adore, oubliant qu’il se soumet ainsi à ses propres désirs, à ses rêves voire à ses défauts. À l’exemple de Moïse, Nietzsche se présente comme le destructeur des idoles et tous les deux, à leur manière, sont des créateurs d'idoles plus abstraites qui viennent remplacer celles qu'ils anéantissent. Elles sont infiniment plus puissantes. Représentatives de ces maladies nouvelles qui repoussent toujours les limites du génie et l'inventivité des chercheurs. Une petite analyse suffit à démontrer, que ceux qui passionnément dénoncent et combattent l'idolâtrie, du haut de leurs certitudes émotionnelles et morales, sont enclins à la pratiquer et à engendrer en retour la même exaltation, la même violence, les mêmes dérives. Qui n'est pas angoissé à l'idée que la finance, cette boite de Pandore moderne, se dérobe à tout entendement humain. Un monstre créé par les spéculateurs qui échappe partiellement et sans doute complètement au contrôle politique des grands responsables de l'humanité. Préface, trad. Éric Blondel, Ed. Hatier, 2001, p. 6] : « Il y a plus d’idoles que de réalités dans le monde » « Elles changent de nom, mais elles sont éternelles ».

Ainsi l’image des idoles renvoie à la notion de valeur, c’est-à-dire une manière de penser qui paralyse l’esprit critique. L’idole, ainsi, désigne une valeur en décalage avec la réalité. De par son autorité usurpée, elle est hostile à la réalité. Il faut rendre ses droits à la réalité, à la vie. Nietzsche déclare qu’il est : « l’ultime disciple du philosophe Dionysos, l’éternel retour... » ...être soi-même, l’éternelle joie du devenir.

Aucune religion n'a fait de la liberté une divinité, voire une idole. Le rapport de servitude qu'elles établissent entre les êtres humains et les entités supérieures, d'une part, et entre les hommes et les femmes d'autre part contribue à aliéner les humains qui assument ce choix.

« L'idolâtrie est liée à l'absolutisation, totale ou partielle, de ce qui est relatif et qui n'est donc pas un absolu. Rien de ce qui fait partie de l'univers et aucun être humain n'est un absolu, de par leur finitude. L'univers lui-même n'est pas non plus un absolu, car il est relatif à ses lois physiques et celles-ci ne sont rien sans l'univers. Rien de ce que fait l'homme n'est un absolu, ne serait-ce du fait que les créations de l'homme possèdent aussi leurs finitudes. Rien de ce que pense l'homme n'est un absolu, ne serait-ce du fait que le langage est relatif. Mais l'homme peut considérer quelqu'un ou quelque chose de relatif comme étant un absolu. En-deçà de l'idolâtrie, il y a donc une ou des croyances qui ne sont pas ajustées à la réalité ou à la raison. »

éd. GF Flammarion, 2005 Crépuscule des idoles, éd. GF Flammarion, Paris 2005,


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