« Gainsbourg, vie héroïque », bon film : info ou intox ?

par Vincent Delaury
lundi 25 janvier 2010

Par rapport au concert de louanges qui se répand dans la presse à propos de Gainsbourg (vie héroïque), signé Joann Sfar, je reste assez perplexe. Du 2 sur 5 pour moi. Comment dire, le film est joliment fait, les actrices sont jolies comme tout, Eric Elmosino imite bien Gainsbourg (au fait, a-t-il pensé à postuler chez Michou ?) mais le tout reste étonnement plat, comme si Sfar, fan de Gainsbourg, ne voulait absolument pas écorner l’image de Gainsbourg. Ce Fumeur de havanes, dont on dit que c’est le Français le plus connu à l’étranger avec le général De Gaulle (!), est une icône moderne, un mythe et un faiseur de mythes (la mythique Bardot lui doit quand même quelque chose) et on peut dire, histoire de paraphraser Johnny Hallyday et Michel Berger, qu’on a tous en nous quelque chose de Serge Gainsbourg. Clairement, Sfar, auteur de BD prolixe, s’intéresse, et c’est tout à fait son droit, au Gainsbourg des débuts, celui du spleen baudelairien et des caves « existentialistes » de Saint-Germain-des-Prés, mais beaucoup moins à la créature qu’est devenu Gainsbourg au fil du temps, à savoir Gainsbarre, son double provocateur et bling-bling des années 80, dites « années fric ». Or, l’un ne va pas sans l’autre, c’est le fameux Docteur Jekyll et Monsieur Hyde de l’ami Gainsbourg, personnage multi-facettes cultivant volontiers le mystère, entre exhibitionnisme warholien et pudeur de l’écorché vif abîmé par la vie, « Je ne suis pas un tombeur, je suis tombé...  ».

Le film s’étend largement sur la jeunesse de Gainsbourg (le petit Lucien Ginsburg, charmant), sur son identité culturelle croisant la France, le Juif et l’Ame russe (ce sont à mes yeux les moments les plus attachants du film), mais, après, ça se gâte largement. On assiste ni plus ni moins à un biopic chronologique déroulant les différentes étapes de Gainsbourg (ses rencontres amoureuses, son crossover avec la Jamaïque) comme autant de saynètes revenant, tel un téléfilm assez convenu, sur le trajet de la star. Le film est trop long (2h10), on suit poliment mais il n’y a aucun enjeu narratif fort, aucune dramaturgie qui vienne véritablement nous prendre aux tripes. Il se trouve que lorsqu’on est fan de Gainsbourg, et ex-fan des sixties et de sa suite, on n’apprend rien sur la vie et l’œuvre confondues du grand Serge. Diaporama officiel, dépliant touristique se contentant de faire défiler de jolies cartes postales de la chanson française (Gréco, Gall, Bardot, Birkin…), le film est certes plaisant à suivre : les images sont belles, les intérieurs sont soignés (les noirs de l’appartement de la rue de Verneuil et le sanctuaire baroque de Dalí sont au rendez-vous) et les vignettes de la vie amoureuse de Gainsbourg sont suffisamment attrayantes pour qu’on ne ferme pas l’œil mais, sur la durée, on ne peut s’empêcher de se dire que ce biopic - à tout de même 146 millions d’€, on est loin d’un film underground ! - a un fâcheux côté aquoiboniste. A quoi bon toute cette mascarade ? A quoi bon se taper pendant deux heures un sosie de Gainsbourg (beaucoup moins charmeur que le vrai) alors qu’on peut facilement remonter à la source ? Disons qu’on touche là un écueil propre à la biographie filmée et, soyons honnêtes, qui n’est pas propre au film de Sfar : pourquoi se taper sur un écran de cinéma des ersatz de Piaf, de Coluche et de Gainsbourg alors que les documents télévisuels sont légion les concernant ?

Il se trouve que j’ai vu le Gainsbourg (vie héroïque) de Sfar peu de temps après le documentaire passé récemment sur France 3 (Gainsbourg, L’Homme qui aimait les femmes, 2009, par Didier Varrod) et, qu’à choisir, j’ai préféré le doc télé à la fiction de Sfar. Peut-être qu’en se contentant d’être plus modeste (un montage des différentes apparitions médiatiques de la star), le documentaire parvient davantage à s’approcher du mystère et du naturel Gainsbourg, avec ses hauts et ses bas. Même si le biopic de Sfar est nettement meilleur, son entreprise de fac-similé filmique m’a un peu fait penser au téléfilm biographique - de fiction - sur Michael Jackson, diffusé sur M6, Michael Jackson, du rêve à la réalité (2004, par Allan Moyle), avec Flex Alexander en vague sosie du King of Pop. Idem ici, à la plate copie, je préfère remonter à l’original d’autant plus que, comme pour Gainsbourg, mais puissance 1000 cette fois, les vraies images sur un certain MJ ne manquent pas ! Ce qui me gêne avec le film de Sfar c’est par moments les grands airs qu’il se prend - Sfar déclare en entretien (Première n°394/395) : « Je me sens proche de cinéastes comme Kurosawa, Fritz Lang, Fellini, etc., qui ont pour point commun de dessiner leurs films ». Très juste, mais d’une part, je ne suis pas convaincu par le soi-disant immense talent de Joann Sfar en tant qu’auteur de BD (Le Chat du rabbin et autres Donjon me laissent de marbre, bof quant à ses cases bosselées, son trait tremblé et ses histoires à rallonge) et, d’autre part, suffit-il de glisser ici et là, dans son film, des personnages de « film d’animation » (le double « La Gueule » et « La Patate ») pour prétendre approcher ou égaler l’imagination débordante d’un Fellini ou d’un Tim Burton ?

C’est là que le bât blesse quelque peu avec Gainsbourg (vie héroïque). D’un côté, on est tiré vers Fellini (la Patate qui sort d’une affiche anti-juifs et qui se trimballe dans l’écran), vers Burton (l’Homme à tête de chou allant chez une coiffeuse semble tout droit sorti d’Edward aux mains d’argent) et vers une poésie sfaresque (le chat qui parle dans l’appart classieux de la « chatte et tigresse » Gréco, très belle apparition) et, de l’autre, le film, qui se veut un conte, retombe paresseusement sur ses pattes de biopic classique : je déroule le tapis rouge pour ma star. Sans fausses notes. On a l’impression que, pour Sfar, Gainsbourg s’arrête artistiquement à 1979 et à sa subversive Marseillaise reggae. Après, ce serait le désert ou la honte du trop gros succès populaire venant faire tache d’encre. Pour Sfar, les eighties de Gainsbourg s’arrêtent à son histoire d’amour avec Bambou ! C’est trop, selon moi, la vision coutumière du « bobo » lambda. Pourtant, le Gainsbarre des 80’s a encore de beaux restes : sa voix murmurante et susurrante des dernières années, attaquée par la nicotine, a une forte personnalité ; ses albums funky Love on the beat (1984) et You’re under arrest (1987) ont du chien et du style ; son travail sur l’image (la superbe pochette androgyne, signée William Klein, de Love on the beat et ses beaux « ratages » cinématographiques (Equateur, Charlotte for ever, Stan the Flasher)) ne manque vraiment pas d’intérêt. Et, si Sfar « déteste » ce Gainsbarre-là - celui provocateur et putassier des plateaux TV, au bord parfois, du pathos chez Patrick Sébastien, Anne Sinclair (le billet de 500F cramé en direct) ou chez Drucker (le « Oh my goodness ! » de Whitney Houston) -, ça aurait été bien que ça transparaisse dans son biopic : ainsi, on aurait pu voir davantage la créature Gainsbarre phagocytant le poète caméléon et pygmalion Gainsbourg. Il y aurait eu un climax dans le film, quelque chose du joli conte mordoré sur un dandy germanopratin virant dans le noir poisseux des vapeurs de l’alcool et des nuages de fumée de la célébrité cathodique ; remember  : « Gainsbourg se barre, Gainsbarre se bourre », dixit l’ami Serge. Or, Sfar, certainement trop respectueux du mythique Gainsbourg, passe à côté de la noirceur graveleuse du Gainsbarre de la fin, celui déchiré - mais aussi passionnant - entre l’underground des débuts et la mise violente à la Une des médias.

Au final, les meilleurs moments du film sont quand Sfar se lâche, s’amuse, voire invente (les Frères Jacques planqués chez Boris Vian ; le chat de Gréco qui parle ; les « Shebam ! Pow ! Blop ! Wiizzz ! » de la pop Bardot/Casta ; les parents tout fiers que leur fils se tape initials B.B. !). Par contre, quand Sfar se contente d’aligner des cases convenues sur Gainsbourg pour répondre à son cahier des charges de biopic, on est au bord de la platitude linéaire absolue ; la palme de la fadeur revenant certainement à l’actrice Lucy Gordon qui ne capte absolument rien du sex-appeal évanescent de Jane Birkin. Encore une fois, à la pâle copie, je préfère très nettement l’originale.   

 

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