Gergovie est-elle l’Atlantide ?

par Emile Mourey
lundi 26 février 2007

S’il est un sujet toujours d’actualité qui intéresse tous ceux qui s’intéressent à l’Histoire, c’est bien ce mythe de l’Atlantide qui trouve son origine dans un écrit de Platon. Le nombre de thèses et de publications consacrées à la recherche de ce lieu de légende est si considérable qu’il faudrait écrire un livre pour en donner la liste.

Écoute donc, Socrate, un récit bien étrange, mais pourtant très véritable, que faisait autrefois Solon, le plus sage parmi les sept sages. Ainsi commence le Timée de Platon, puis, dans Critias, le récit prend tout son développement. Rappelons d’abord qu’il y a neuf mille ans, il s’éleva une guerre générale entre les peuples qui habitent au-delà des colonnes d’Hercule (l’Espagne et la Gaule en y accédant par l’Atlantique, ma thèse) et ceux qui habitent en deçà : c’est cette lutte qu’il faut vous raconter maintenant. Parmi ces peuples, les uns étaient dirigés par notre république qui, suivant la tradition, acheva seule la guerre ; les autres étaient commandés par les rois de l’Atlantide, cette île (la Gaule entourée d’eau, Atlantide nord, cinq provinces) que nous avons dit avoir été autrefois plus grande que la Libye (l’Afrique, Atlantide sud, cinq provinces) et l’Asie, et qui maintenant, submergée par les tremblements, ne présente plus sur toute cette mer (l’Atlantique) qu’un limon impraticable aux navigateurs d’ici...

En fait, le seul conflit que Platon († 348) pouvait avoir en mémoire est celui de l’expansionnisme grec en Méditerranée qui se heurta à des colonies phéniciennes précédemment implantées. La fondation de Marseille par les Grecs de Phocée vers l’an 600 avant J.C., l’intervention des Celtes qui sont descendus plusieurs fois du centre de la Gaule pour s’opposer aux ambitions territoriales des Massaliotes illustrent ce conflit qui n’a, semble-t-il, pris fin qu’en 509 par la signature d’un traité entre une Rome pro-grecque et une Carthage pro-phénicienne dont Polybe nous a conservé le texte.

...Poséidon (la colonisation phénicienne, ma thèse), à qui était échue l’Atlantide, établit les enfants qu’il eut d’une mortelle dans un endroit de l’île que je vais vous décrire. Du côté de la mer (dans l’esprit de Platon, Gergovie se trouve du côté de l’Atlantique) et au milieu de l’île (au centre de la Gaule) était située une plaine, qui passe pour avoir été la plus belle de toutes les plaines et remarquable par sa fertilité (la plaine de la Limagne). Près de cette plaine, à cinquante stades plus loin (à 9 km de la plaine, là où elle commence, vers Clermont-Ferrand) et toujours au milieu de l’île (la Gaule), il y avait une montagne peu élevée (la montagne de la Serre). Là, demeurait un de ces hommes, premiers nés de la terre, qui s’appelait Evénor (un autochtone)...Poséidon s’étant épris de sa fille, Clito, il s’unit à elle (union des colons avec les autochtones). Voulant clore la colline que Clito habitait (l’éperon du Crest), le dieu la creuse alentour, et forme des enceintes d’eau et de terre alternativement plus grandes et plus petites, qui se repliaient les unes autour des autres : il y en avait deux en terre et trois en eau (?), et toutes étaient parfaitement circulaires, comme s’il les avait tracées au compas à partir du centre de l’île de manière que la colline était inaccessible aux hommes... Les descendants de Poséidon et de Clito revêtirent de bronze, en guise d’enduit, tout le pourtour du mur qui entourait l’enceinte la plus extérieure ; d’étain fondu celui de l’enceinte intérieure, et celle qui entourait l’acropole elle-même d’orichalque aux reflets de feu.

Je ne retiens que la partie vraisemblable du récit. Il est bien évident que Platon s’échappe ensuite dans son "monde des idées" pour imaginer une cité idéale très puissante, ce qui rend la victoire de l’Athènes "de nos pères" d’autant plus glorieuse. Ce texte est à la fois un modèle de cité que Platon donne en exemple à ses contemporains, mais aussi une féroce critique politique de son époque qu’il juge décadente.

Les deux sources, l’une chaude, l’autre froide, ne tarissaient point, et l’agrément et la salubrité de leurs eaux les rendaient admirables pour tous les usages. Alentour, on avait construit des maisons et planté des arbres qui se plaisent près des eaux ; on avait laissé des bassins découverts, d’autres étaient fermés pour les bains chauds qu’on prend en hiver : il y en avait pour les rois, pour les particuliers et pour les femmes ; d’autres étaient réservés aux chevaux et aux bêtes de somme (pour qu’ils boivent). Et tous étaient ornés d’une manière convenable. L’eau sortait de ces bassins pour se rendre au bois sacré de Poséidon où elle arrosait des arbres de toutes espèces auxquels la fertilité du sol donnait une beauté et une hauteur prodigieuses...

La plaine de l’Atlantide, écrit Platon, était divisée en 60 000 grandes parcelles. Chaque parcelle faisait un rectangle de 2 km 24 sur 1 km 51. Dans les vastes plaines de la Limagne, déclare, de son côté, l’archéologue Vincent Guichard, la situation est tout autre (que dans le reste de la Gaule) : on observe un réseau incroyablement dense de hameaux plus modestes, éloignés de 2 à 3 km, qui se partagent la mise en valeur des terres.

Les découvertes archéologiques de Vincent Guichard, éclairées par le texte de Platon, prouvent qu’au IVe siècle avant J.C., et probablement bien plus tôt, les rois arvernes avaient cadastré toute la plaine de la Limagne. Et Platon ajoute - je résume - que chaque chef (de parcelle) devait fournir la sixième partie d’un chariot de guerre afin que le nombre en fut de dix mille ; deux cavaliers à cheval, un combattant de char et son cocher, deux fantassins puissamment armés, deux archers, deux frondeurs, trois lanceurs de fronde, trois lanceurs de javelots, soit 16 hommes multipliés par 60 000, ce qui fait une armée de 960 000 hommes si l’on suit Platon. L’armée de Bituit qui fut vaincue par les Romains en 121 avant J. C., ne s’élevant, d’après Strabon, qu’à 200 000 hommes, cela nous donne un premier coefficient d’exagération. L’armée de César ne s’élevant qu’à 40 000 hommes environ nous incite à revoir encore à la baisse le chiffre de Strabon. Mais le plus important n’est pas là ; l’important, c’est de comprendre que si Bituit a pu rassembler sous les armes une troupe aussi importante, c’est parce que sa cité était une cité organisée, cadastrée, disposant d’un plan de mobilisation et d’une agriculture structurée... d’où l’admiration de Platon.

Or que dit Strabon ? Les Arvernes étendirent leur domination jusqu’à Narbonne et jusqu’aux frontières de l’empire marseillais. Ils soumirent des peuples jusqu’aux Pyrénées, jusqu’à l’océan et jusqu’au Rhin (Géographie de la Gaule, IV, 2,3).

Bref, tout concorde. S’il tombe sous le sens que la Gergovie de Napoléon III ne pouvait être la cité qui se dressa jadis contre Athènes, en revanche la Gergovie du Crest, oui, cent fois oui !

Et puis, qu’on regarde la frise du vase de Vix : les escadrons de cavalerie succèdent aux unités d’infanterie lourde et ainsi de suite.

Voici l’armée de Gergovie !


E. Mourey

http://www.bibracte.com

Cet article est à la fois un extrait de mon "Histoire de Gergovie" et une réécriture.


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