Grand incendie de Rennes : qui trop embrase mal éteint !
par Fergus
mercredi 23 décembre 2020
Il y a 300 ans, ce n’est pas un Noël de joie familiale et de fête religieuse recueillie qu’ont connu les Rennais, mais le spectacle effroyable d’une « mer de feu », comme l’ont décrit des témoins de l’époque. Entre le 23 et le 28 décembre 1720, ce sont en effet des milliers de maisons qui ont été détruites par le plus grand incendie qu’ait connu l’ouest de notre pays...
On ne dénoncera jamais avec assez de force les méfaits de l’alcool ! En cette soirée du 23 décembre 1720, le menuisier Henri Boutrouel, surnommé par ses amis « La cavée » sans que l’on sache d’où lui vient ce sobriquet, a quelque peu abusé de la bouteille. Ivre de vin, peut-être de pommeau, voire de lambig – allez savoir ! –, cet homme se prend de querelle avec son épouse, probablement pour un futile motif, comme c’est souvent le cas dans les couples. Petite cause, grand effet : s’ensuit entre les conjoints une funeste dispute au cours de laquelle l’artisan, rendu maladroit par son état d’ébriété, laisse malencontreusement tomber une bougie allumée sur un tas de copeaux mêlé de sciures. Le bois sec s’embrase aussitôt. Très vite, c’est la maison qui s’enflamme. Puis les habitations voisines se mettent à brûler les unes après les autres. Redoublant d’intensité, l’ardent brasier gagne ensuite le quartier tout entier avant, au fil de ces jours et de ces nuits d’apocalypse, d’étendre sa morsure fatale à une grande partie de la ville haute de Rennes…
En réalité, cette histoire, dont il existe plusieurs versions, relève d’une légende à laquelle, profitant de la licence de l’auteur, je n’ai fait ci-dessus qu’apporter ma modeste touche. Certes, l’on sait par différents témoignages d’époque qu’il arrivait à Henri Boutrouel de boire un peu plus que de raison. Mais sans doute pas dans des proportions pires que la plupart des autres artisans établis ici et là dans les rues et ruelles de la bonne ville de Rennes. Aucun élément factuel ne permet donc d’affirmer que le menuisier ait commis en ce soir du 23 décembre une maladresse fatale sous l’emprise de l’alcool. Bref, nul ne connait les circonstances du départ de cet incendie qui allait devenir le plus grand brasier de l’ouest d’un Royaume de France alors administré par le régent Philippe d’Orléans. Une seule certitude est rapportée dans les documents officiels de la ville de Rennes : le feu a bel et bien pris, pour une raison inconnue, dans l’échoppe d’Henri Boutrouel, alors sise au mitan de la rue Tristin (au n°3 de l’actuelle rue de l’Horloge).
Rien de plus terrible que le feu lorsqu’il prend dans un secteur d’habitat ancien, le plus souvent vétuste et mal entretenu. A fortiori lorsque le quartier est doté de conduites d’adduction d’eau fréquemment hors d’usage. Or, la rue Tristin, comme la plupart des autres voies de la vieille cité bretonne, est étroite et constituée d’habitations à pans de bois et à encorbellements bâties, pour la grande majorité d’entre elles, durant le Moyen Âge et la Renaissance. Des maisons qui, constate un chroniqueur de l’époque, « se touchent presque l’une l’autre » au niveau des toits pour protéger les colombages de la pluie et gagner de la place habitable, au risque d’occulter presque totalement la lumière et de contribuer à rendre les rues insalubres. Comme chacun sait, cette promiscuité architecturale favorise la propagation des incendies, et la ville de Rennes n’échappe pas au sort commun de nombreuses villes ou quartiers médiévaux détruits par le feu, à l’image de Londres en 1666. Si l’on ajoute à cela le manque cruel de prévoyance de la part des édiles et le comportement égoïste de propriétaires qui refusent de voir leur maison détruite en guise de pare-feu pour limiter la propagation du sinistre, on a tous les ingrédients d’un drame de grande ampleur.
Et c’est ainsi qu’un banal accident domestique a engendré la plus grande catastrophe urbaine que la Bretagne ait eu à connaître. Du 23 au 28 décembre, le feu s’est propagé de toit en toit, de rue en rue, de quartier en quartier sous le regard impuissant des Rennais. Équipés de deux modestes pompes, les préposés aux secours ont été incapables de contenir le brasier malgré le sacrifice de quelques maisons, abattues dans l’urgence pour faire la part du feu. Il a fallu attendre le 29 décembre pour voir la pluie venir définitivement à bout des innombrables braises de cet effroyable incendie. Au total, le feu a détruit, partiellement ou en totalité, 32 rues, et carbonisé environ 850 maisons privées et quelques bâtiments publics. Plus de 8 hectares de tissu urbain ont été irrémédiablement ravagés par les flammes ! Quant au bilan humain, nul ne le connait précisément, mais sans doute a-t-il été fort heureusement limité – on évoque le plus souvent 10 à 12 victimes –, la grande majorité des habitants ayant, par chance, pu se mettre hors de portée de l’incendie au fur et à mesure de sa progression. Sauvés mais sans-abri, tel a été le sort de 8 000 Rennais, soit approximativement le tiers de la population de 1720. Outre l’aide accordée à la ville de Rennes, la Couronne de France leur fit distribuer 40 000 écus.
Quelques monuments remarquables ont disparu dans le brasier. Parmi eux, la chapelle Saint-James – seul édifice religieux détruit dans l’incendie – et sa voisine, la Tour de l’Horloge qui, du haut de ses 67 mètres, dominait la ville et abritait une cloche fameuse, « Madame Françoise », également dénommée « La grosse Françoise », dont le nom féminisé faisait référence à son parrain, le duc François II, père de la duchesse Anne. Cette cloche avait une voix « si puissante et épouvantable qu’elle [pouvait] faire avorter les femmes enceintes » si l’on en croit les carnets de voyage en Bretagne de Dubuisson-Aubenay. Autre perte notable : le Présidial, principale juridiction de Rennes. A contrario, le palais du Parlement de Bretagne a pu échapper aux flammes, malgré la proximité de nombreuses maisons anciennes qui, elles, ont toutes été détruites. Un homme doit en être remercié : le Premier président du Parlement Pierre de Brilhac : conscient du danger pour l’édifice, il fit remplir d’eau les « plombs », autrement dit les fosses d’aisance, qui entouraient l’édifice. Bien lui en prit : le parlement n’eut à subir que de faibles dommages*.
En définitive, cet incendie a été un mal pour un bien. Outre les nombreux quartiers de Rennes qui conservent des maisons médiévales à pans de bois – on en compte 286 dans la métropole bretonne ! –, les quartiers incendiés de 1720 ont permis de dégager de belles places classiques, de tracer des rues plus larges et rectilignes et de jeter les bases d’un habitat classique dont la métropole bretonne s’enorgueillit aujourd’hui à juste titre.
Pour terminer, et pour le plaisir, je vous invite à lire ce joli texte issu du travail d’un collectif d’enfants à l’initiative du Centre régional de documentation pédagogique de Bretagne : La légende « 23 décembre 1720 ».
* Il n’en a pas été de même en 1994. Lors d’une manifestation de marins-pêcheurs, une fusée éclairante pénètre sous les ardoises du bâtiment et met le feu à la charpente. L’effondrement de celle-ci provoque d’énormes dégâts dans plusieurs pièces du monument. Le bâtiment a été restauré à l’identique et rouvert 10 ans plus tard.
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