Guillaume Tell : une ode ŕ la liberté

par Fergus
mercredi 25 mai 2022

Le 18 juin débutera dans le théâtre de verdure d’Interlaken (Suisse) le cycle des représentations* des Tellspiele adaptés du Wilhelm Tell de Friedrich von Schiller. Organisé chaque année depuis 1912, ce somptueux spectacle de plein air n’est pas une simple pièce de théâtre, il commémore avec beaucoup d’émotion la naissance de la Confédération Helvétique… 

Tell face à Gessler

En ce temps-là, les états forestiers (Waldstätten), jusque-là autonomes, ont été envahis et occupés par les troupes autrichiennes. Pour symboliser la domination de l’empereur d’Autriche, Rodolphe 1er de Habsbourg, un chapeau du bailli de Schwyz, Hermann Gessler, a été placé sur un mât au centre du village d’Altdorf, le chef-lieu du canton d’Uri. Ordre est donné par le bailli à tous les habitants du village de saluer impérativement ce chapeau lorsqu’ils traversent la place comme si le représentant de l’Autriche était physiquement présent. Survient Guillaume Tell qui refuse de céder à cette humiliation. Arrêté par les hommes d’armes du bailli, il est condamné par Gessler à être exécuté, sauf s’il se montre capable d’atteindre d’un trait d’arbalète une pomme placée à distance sur la tête de son fils Walter.

Le jour dit, contraint par la soldatesque autrichienne, Tell se soumet à cette exigence et transperce la pomme d’un tir magistral. Mais Gessler se rend compte que l’arbalétrier a dissimulé un deuxième carreau. Questionné sur l’usage qu’il comptait en faire, le tireur avoue que ce carreau était destiné à tuer le bailli si par malheur Walter avait été atteint. Saisi par les Autrichiens, Tell est emmené en bateau pour être emprisonné au château de Küssnacht. Mais une tempête de foehn se lève sur le lac des Quatre-Cantons. Tell, délivré de ses chaînes par les Autrichiens pour piloter le bateau dans la tourmente, jette l’embarcation sur les rochers du rivage et parvient à s’échapper. Peu après, il tue Gessler auquel il a tendu une embuscade dans un chemin creux. Le soulèvement des Waldstätten peut commencer…

C’est cette histoire, bâtie comme de nombreux autres récits épiques sur la cristallisation de faits réels et de mythes, que raconte un Schiller rongé par la tuberculose dans sa célèbre pièce. Il y mêle la légende de Tell à la réalité de la révolte contre l’envahisseur autrichien, symbolisée par l’acte fondateur de la Confédération helvétique : le serment du 1er août 1291. Ce jour-là, sur la prairie du Rütli au bord du lac des Quatre-Cantons, des représentants des cantons d’Uri, Schwyz et Unterwalden se réunissent et, par l’intermédiaire de leurs chefs Walter Fürst, Werner Stauffacher et Arnold de Melchtal, prennent, entre autres engagements, celui « de s’assister mutuellement et de se porter secours envers quiconque tenterait de leur faire violence et de porter atteinte à leurs personnes ou à leurs biens ».**

Dès sa création à Weimar le 17 mars 1804, la pièce a connu un succès qui ne s’est jamais démenti et qui, tout naturellement, s’est perpétué en Suisse où elle fait désormais figure de monument national bien qu’elle ait été écrite par un Allemand et non par un natif de la Confédération. Le bicentenaire de la pièce a même donné lieu en 2004 à Schwyz à une représentation exceptionnelle sur la prairie historique du Rütli par la troupe du Théâtre national allemand de Weimar, venue tout spécialement de Thuringe. Mais cet évènement mis à part, le grand moment reste, année après année, les Tellspiele d’Interlaken que l’on vient voir de très loin, non seulement des pays voisins, mais aussi d’Amérique et parfois des antipodes ! Il est vrai que les thèmes de la liberté et de l’oppression sont universels et intemporels.

L’action se passe sur une vaste scène en plein air adossée aux contreforts boisés du mont Rugen. Sur fond de forêt se dressent des maisons médiévales en bois et les murs imposants d’un château-fort en construction. Le spectacle débute par le retour du bétail, descendu de l’alpage où il a passé l’été. Conduits par les vachers et les chevriers, les animaux traversent la scène au son des clarines, sous les yeux et les clameurs joyeuses des villageois et de leurs enfants. Suivent peu après les chevaux du bailli Gessler et de ses hommes d’armes, venus ficher en haut d’un mât le chapeau de l’humiliation… Tous les acteurs et figurants, sans la moindre exception, sont des amateurs : des habitants d’Interlaken et des communes environnantes. Certains sont des employés, des ouvriers, des techniciens. D’autres sont des commerçants, des artisans ou des collégiens. Tous sont épatants de naturel.

Ce spectacle, nous l’avons vu trois fois à plusieurs années d’intervalle, mon épouse et moi ; et nous sommes sortis enthousiasmés de chacune des représentations, bien que n’étant pas (ou peu) germanophones. Car au-delà d’une simple pièce de théâtre, c’est une véritable ode à la liberté, colorée, foisonnante, intelligente et superbement interprétée, qui est célébrée année après année par les 170 habitants d’Interlaken présents sur la scène et habités d’un devoir de mémoire sincère et communicatif. Quant aux spectateurs, pas de souci pour eux : si la vaste scène de verdure est exposée aux possibles intempéries, les 1700 places assises sont toutes couvertes, confortables et offrent une vue parfaite sur le village médiéval. Mais chut, le spectacle va commencer : les lumières des tribunes ne sont pas encore éteintes que déjà résonnent les clarines du bétail en approche sur les pentes du Rugen…

Le plus étonnant dans le personnage de Guillaume Tell tient sans doute au fait qu’il ait été élevé, bien que très probablement issu de la rencontre de différentes mythologies, au rang de champion de la liberté dans notre monde occidental (y compris par les révolutionnaires français, russes et espagnols). Et cela au côté de figures aussi puissantes et charismatiques que Jeanne d’Arc, Robert Bruce ou George Washington. Sans doute parce que Tell constitue un archétype de ce héros dont, plus ou moins consciemment, nous rêvons tous. Un héros à la fois rebelle et juste, déterminé et intuitif, prêt à offrir sa vie pour sa liberté et celle des siens sans calcul. Un héros dont l’image reste toujours d’actualité dans un monde régulièrement soumis à d’intolérables et criminelles agressions de nature impérialiste.

* Il y aura en 2022 vingt représentations du spectacle. Deux d’entre elles, données en avant- première, seront, comme chaque année, réservées au public scolaire.

** Extrait du pacte de 1291 conservé aux archives de Schwyz.

Lien : Vidéo d’extraits du spectacle


Lire l'article complet, et les commentaires