Haletante ’Janufa’ à Lille

par Alain-Patrick Umucyo
lundi 4 février 2013

“On entend souvent dire que la musique de Janacek, une fois ‘découverte’, ne vous lâche plus.1” Cette remarque de Marianne Frippiat en introduction à une étude des opéras du compositeur tchèque est confirmée depuis mardi 29 janvier dans la capitale du Nord. L’Opéra de Lille présente Jenufa, oeuvre en trois actes de Leos Janacek, telle que produite en 2007 par Angers Nantes Opéra et récompensée par le Prix Claude Rostand de la même année.

Jenufa est un drame déroulé dans le microcosme d'un village où la force de la tradition se conjugue à un destin inexorable. L'héroïne éponyme tombe enceinte d'un homme qui la délaisse finalement. Elle est alors livrée au désemparement d'une mère dévote qui ne peut se résoudre à l'opprobre d'une naissance illégitime. L'urgence de la situation liée à l'emprise d'une tradition empreinte de religiosité amène la mère à commettre l'irréparable.

“La tension est sans cesse prégnante dans l’opéra, liée à une sorte d’hypersensibilité des personnages. On voit ainsi sourdre une esthétique fin de siècle : qu’il s'agisse d’une percée du désir, ou de visions et d’hallucinations, l’oeuvre accorde une place importante à la représentation des déchirements intérieurs et de la violence.1” Cela est remarquablement bien restitué à Lille grâce à la prestation de Kathryn Harries qui interprète le rôle de la Sacristine, la mère dévote désemparée. En particulier, à la fin de l'acte II, lorsque la Sacristine est tourmentée par la pensée de l'acte irréparable qu'elle vient de commettre, le jeu de la soprano sur la scène de l'Opéra de Lille est transfiguré, au point que la pensée torturée de la mère semble apparaître sur scène, visible, palpable, effrayante.

L'exceptionnelle tension dramatique de Jenufa est parfaitement entretenue par la composition de Leos Janacek. La musique parvient habilement à combler les silences et à ne les révéler que pour donner cette sensation d'une chute libre dans le vide. Dans l'acte I, l'ostinato d'un xylophone “renforce la suggestion que les personnages sont soumis à une force inexorable2”. Dans l'acte III, les tambours tiennent en haleine à mesure que la perspective d'un dénouement proche devient plus certaine. L'acte II est magistralement mené par Kathryn Harries, la musique y est tel le souffle perceptible de la fatalité qui s’abat. À chaque instant, du prélude au final en passant par les intermèdes, l'Orchestre national de Lille, dirigé par Mark Shanahan, offre une 'bande son' digne d'un film de Stanley Kubrick.

 

1FRIPPIAT, Marianne, Janacek, Opéras, mode d’emploi., éditions Avant Scène Opéra, collection Mode d’emploi, 2011., p. 67

2SEGOL, Julien, Jenufa, destins de femmes, Livret distribué par l’Opéra de Lille à l’occasion de la représentation de l’oeuvre. 

 


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